Punk et rebelle, la nouvelle droite occidentale

Publié le 4 novembre 2022
Cela donne le tournis, c’est vertigineux. A chaque minute, nous arrive une information qui aurait pu figurer dans «La rébellion est-elle passée à droite?» de Pablo Stefanoni. Oui, c’est sec à l’os tout autant que cela semble complètement délirant. S’opposer au système est aujourd’hui de droite!

Oui, à présent, la néo droite a récupéré à son profit le décalé, le rebelle et le subversif en adoptant un langage dissident, un vocabulaire transgressif, des références et des modes d’action inédits qui fabriquent une contre-culture violente et tapageuse. L’ultra-right combine désormais nationalisme et antiétatisme, racisme, sexisme, climatoscepticisme et préoccupations écologistes et s’est doté d’une capacité notable à passer rapidement sur la plupart de ces sujets de la marginalité à la viralité.

Un Joker à la Maison Blanche?

L’auteur place Joker (2019), le film de Todd Phillips, joué magistralement par Joaquin Phoenix, en ouverture de sa démonstration. Ce film a rapporté un milliard de dollars. Pourquoi? Parce qu’en incarnant la révolte des blancs pauvres en colère, il décrit avec acuité la façon dont, après nous avoir lavé le cerveau, on nous pousse à une vie vouée à la consommation, vie qui crée un terrain propice à la solitude, au désespoir et aux maladies mentales et qu’on nous a appris que les personnes qui pensent différemment sont un danger pour la société et doivent être ostracisées à tout prix?

Dans cette perspective, le «nous», ce sont les incels, les fameux célibataires involontaires qui finissent par prendre une arme et tirer au hasard dans la foule, les hommes blancs laissés-pour-compte, les mâles bêta, une jeunesse exaspérée par la banalité du bien et son paternalisme sermonneur, les vieux perdants d’une Amérique profonde toujours si méprisée par d’éternelles arrogantes élites.

Donald Trump en est la version parfaite, lui qui a obtenu pendant la durée de son mandat que le monde entier soit suspendu à ses tweets. Sa campagne de 2016 a attiré non seulement tout l’alt-right, un mouvement de conservateurs qui n’ont plus rien à conserver, mais aussi des nazis purs et durs. Il appelle un chat un chat, privilège qui dans les cours médiévales était réservé aux bouffons, et a repris à son compte le fameux slogan de Mai 68, il est interdit d’interdire. Il a compris que la véritable ligne de clivage passait aujourd’hui entre les mondialistes et les antimondialistes. Hillary Clinton représentant les élites transnationales. Son triomphe a donc redynamisé une droite qui remet toutes les orthodoxies en question, y compris la démocratie elle-même. Son moteur n’était pas l’idéologie mais la psychologie. Aucun autre politicien de l’histoire américaine n’a jamais été aussi habile à exploiter les ressentiments refoulés et à les commercialiser sous une marque personnelle.

Ses électeurs ont dit non à la combinaison mortifère d’austérité, de libre-échange, de dette prédatrice et de travail précaire sous-payé, toutes choses qui caractérisent le capitalisme contemporain, son néolibéralisme progressiste, y compris cette alliance entre les courants dominants des nouveaux mouvements sociaux genre féminisme, antiracisme, multiculturalisme et droits LGBTQ et d’autre part, le secteur privé des services et de la production symbolique haut de gamme style Wall Street, Silicon Valley et Hollywood.

Désormais, la droite est punk et la gauche puritaine

Pablo Stefanoni nous présente donc le portrait d’une droite décomplexée au look renouvelé et décoiffant, une droite punk, qui dénonce l’élite bien-pensante et démoniaque qui ne cesse de malmener l’homme blanc en le forçant à uriner assis, en proscrivant les boissons gazeuses, les cigarettes, les barbecues, en interdisant à quiconque de s’inquiéter de l’immigration ou en traitant d’homophobe qui est contre le mariage pour tous ou contre la PMA, en discriminant les amateurs d’armes à feu, ceux qui refusent un régime à base de quinoa, en se moquant de la Bible mais jamais du Coran, en qualifiant d’appropriation culturelle tout et n’importe quoi, genre les costumes d’Indiens des enfants. 

La force du message de cette nouvelle droite réside dans sa capacité à lier nationalisme et populisme, la nation contre l’«Autre» et le peuple contre les élites.

Lost: Les Disparus

D’après notre auteur, aux Etats-Unis, le wokisme, et ses cinquante nuances de susceptibilité se nourrit de l’espoir d’une rédemption du pécheur. Outre ce côté born again, il s’agit aussi d’îlots progressistes sis dans des campus et jouissant d’une caisse de résonance médiatique sans aucune commune mesure avec leur poids réel dans la société. C’est lors de la révolution conservatrice de Ronald Reagan qu’une bonne partie de la gauche états-unienne s’est repliée dans les universités mais c’est bien après qu’elle a déplacé son engagement en faveur de la classe ouvrière vers celle des minorités et qu’elle a remplacé la mémoire des luttes par la mémoire des victimes. Socialisme ou barbarie, le slogan de Rosa Luxemburg, n’est plus d’actualité. La gauche défend maintenant la barbarie d’aujourd’hui contre la barbarie de demain, le capitalisme tel qu’il est contre celui qu’il risque de devenir. 

Bref, le présent étant devenu inaccessible et le futur étant de plus en plus perçu comme une menace, la gauche se retrouve sur la défensive, retranchée dans le politiquement correct et ralliée à l’Etat providence, et elle n’est absolument plus capable d’aucun projet crédible de transformation du monde.

Les libertariens et l’extrême droite

Enormément de gens disent détester les politiques. L’abolition du politique était l’un des buts du marxisme. Elon Musk, le nouveau patron de Twitter, est libertarien. C’est tout dire. La période allant de 1968 à l’investiture de Reagan en 1983 fut l’âge d’or des libertariens aux Etats-Unis. Dans sa version classique, c’est une aspiration à éliminer l’emprise de l’Etat, le droit à consommer des drogues et à s’adonner à tous les rapports sexuels consentis.

Pour eux, la manière dont la crise de 1929 a été résolue a marqué un tournant négatif dont la société n’est sortie qu’avec cette révolution conservatrice. Les néo-cons parlaient de la fin de l’histoire. Ronald Reagan et Margaret Thatcher considéraient qu’ils avaient gagné la guerre froide.

A l’inverse, la droite actuelle, qui a construit de toutes pièces l’image d’une élite de gauche qui gouvernerait le monde, s’auto-définit comme un mouvement de résistants contre le politiquement correct. Son nouveau côté paléolibertarien est une synthèse entre les anciens principes libertariens et les éternelles idées conservatrices. L’objectif de l’abolition de l’Etat demeure mais va désormais de pair avec le renforcement des institutions sociales, telles que la famille, les Eglises et les entreprises. Pour eux la question n’est plus de croire en Dieu ou pas mais de défendre la culture occidentale. L’Etat providence étant comparable à un vol organisé et l’éthique égalitaire une aberration morale, les valeurs judéo-chrétiennes sont le minimum nécessaire pour assurer un ordre libre et civilisé.

Greenwashing

La Toile a vu également émerger l’écofascisme avec comme caractéristiques les plus fréquentes le véganisme, le nationalisme blanc, l’anti culturalisme, l’inusable antisémitisme et souvent un intérêt passionné pour la mythologie nordique ainsi que la diffusion de mèmes tels que: «Planter des arbres; sauver les océans; expulser les réfugiés.»

En janvier 2020, en Autriche, le conservateur Sebastian Kurz s’allie aux Verts. «Nous avons réuni le meilleur des deux mondes, déclare-t-il. Il est possible de protéger à la fois l’environnement et les frontières.» L’Allemagne nazie ne fut-elle pas le premier pays à interdire la vivisection des animaux à des fins d’expérimentation scientifique? Hitler, végétarien, ne prônait-il pas une énergie hydroélectrique respectueuse de l’environnement et la production de gaz à partir de déchets et ne déclarait-il pas que l’eau, le vent et les vagues étaient les sources d’énergie de l’avenir?

Pinkwashing

En 2014, Florian Philippot, chef en second du Front National, se promenant dans les rues de Vienne avec son petit ami, fait la Une du magazine people Closer. En Allemagne, l’une des dirigeantes de l’AfD, parti populiste de droite, Alice Weidel, est une lesbienne déclarée. Pim Fortuyn, assassiné en 2002, précurseur batave des droites reliftées, était homosexuel. En Autriche, Geert Wilders, l’homme qui voulait désislamiser son pays, est mort dans un accident de voiture en quittant un bar gay. 

Mais le plus fort de tout cela se passe à Tel Aviv. Qui aurait pu imaginer qu’Israël pourrait un jour abriter des oasis gays? Soutenu par des fonds publics abondants et visant à renforcer l’image de démocratie, de progrès et de modernité que l’Etat hébreux cherche à projeter face à l’arriération supposée de ses voisins arabes, la marche des fiertés de Tel Aviv, nouvelle capitale mondiale du tourisme gay, est un mégaévènement qui rassemble des centaines de milliers de personnes alors qu’en réalité, il n’y a pas de mariage civil en Israël et que dans la vaste sphère religieuse, le mariage gay est totalement rejeté et l’homophobie, la norme.

En France

L’auteur nous apprend, et c’est un vrai scoop pour nous, que le terme Woke, importé en France au cours du quatrième trimestre 2021, n’est utilisé nulle part ailleurs, à l’exception des Etats-Unis bien sûr. Oui, ces deux pays, étant en concurrence pour ce qui est de l’universalité éthique, se le disputent âprement. C’est à qui sera le mieux bien-pensant, le plus droit-de-l’être-humain! 

Renaud Camus, l’auteur du concept de grand remplacement est français. Ce concept, plus la dénonciation des boomers soixante-huitards, avec leur dérision à la Charlie Hebdo, leur déconstruction à la Derrida et leur destruction nihiliste de toutes les valeurs qui ont, selon lui, condamné la France de l’après 68, ont permis à Eric Zemmour de faire le buzz lors de la dernière campagne présidentielle locale. 

Et ce concept aussi est disputé. Tucker Carlson, présentateurs de Fox News, l’a cité, paraît-il, plus de quatre cents fois en un an. 

Voilà. En guise de conclusion, disons qu’avant les élections présidentielles de 2027, si elle veut éviter que son pays ne suive l’exemple de l’Italie, il ne reste que cinq ans à la gauche française pour inventer et proposer une formule capable de barrer le chemin à la challenger gay friendly et éleveuse de chats de race, Marine Le Pen.


«La rébellion est-elle passée à droite?», Pablo Stefanoni, Editions La Découverte, 318 pages.

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