Punir les Palestiniens alors qu’ils sont massacrés? La folle idée du Parlement suisse

Ignorance? Déni de la réalité? Calculs cyniques? Mystère. Revenons au départ. Le fait est que la Palestine, au-delà des frontières reconnues de l’Etat d’Israël, est sous contrôle ou sous occupation militaire depuis des décennies, en violation du droit international. L’UNRWA, créée en 1949 par les Nations Unies, a pour but de répondre aux besoins essentiels des réfugiés palestiniens en matière de santé, d’éducation, d’aide humanitaire et de services sociaux. Soutien international indispensable à une population privée de facto d’un propre Etat, brimée par son isolement forcé, harcelée par la colonisation brutale de la Cisjordanie. La Suisse participe à ce financement onusien depuis le début.
Et voilà qu’à la suite de l’attaque terroriste horrible du Hamas le 7 octobre, la bande de Gaza est devenue «l’enfer sur terre», comme dit le dirigeant de l’UNRWA, le Suisse Philippe Lazzarini. Ce minuscule territoire, long comme de Lausanne à Nyon, large de 5 à 10 km, surpeuplé avec 2,5 millions d’habitants, est bombardé jour et nuit. Il y a été déversé plus d’explosifs en un mois qu’en deux ans sur l’immense Ukraine. On parle de 17’000 morts, des enfants pour une grande part, et des centaines de milliers de blessés. Chiffres confirmés par l’ONU. Tout manque: l’eau potable, les aliments, les médicaments, le carburant pour les générateurs. Cette tragédie inouïe, sous nos yeux, appelle un effort humanitaire total. Devoir d’humanité qui s’impose à tous, quels que soient les penchants politiques.
Or c’est ce moment qu’a choisi une coterie de parlementaires pour convaincre les deux Chambres de priver l’UNRWA des 20 millions fixés par le Conseil fédéral. Sous prétexte que cet organisme aiderait des mouvements dits terroristes, comme ne cesse de l’affirmer le gouvernement de Netanyahou. Philippe Lazzarini proteste énergiquement. Tous les donateurs contrôlent l’activité et les dépenses de l’organisation. D’ailleurs aucun autre pays, même parmi les soutiens inconditionnels d’Israël, comme l’Allemagne, ne partage ces accusations et n’envisage de telles coupes budgétaires. Ces «fake news» – Lazzarini dixit – sont jugées sans fondements et sont du ressort de la propagande de guerre israélienne.
Celle-ci a d’efficaces relais en Suisse. La proposition est partie du conseiller national UDC d’Appenzell Rhodes-Extérieures, David Zuberbühler, par ailleurs membre du groupe parlementaire Suisse-Israël. A noter que cet «intergroupe», qui compte 37 parlementaires de l’UDC et du PLR principalement, a pour but, dans ses statuts, de «défendre les positions israéliennes dans les domaines de la politique, de l’économie, de la société et de la culture».
Reste, quelle que soit l’issue de cet épisode, un dégât d’image réel. Philippe Lazzarini le résume dans l’émission Forum: «Dans la région le message serait catastrophique. Une Suisse qui prend parti. Une Suisse qui dit: à partir d’aujourd’hui le droit humanitaire est à deux vitesses.» Il vaut pour tous. Mais pas pour les Palestiniens.
Les réactions ne se font pas attendre. L’ambassade d’Israël à Berne applaudit la tentative de couper les vivres à l’UNRWA, espérant qu’elle aboutisse finalement grâce à un nouveau vote du Conseil national. Et dans les pays arabes dont on sait pourtant combien les gouvernements sont réticents à soutenir la cause palestinienne, la grogne monte envers la Suisse.
Un groupe nommé golf-can.com qui se dit «coalition du golfe contre la normalisation» diffuse sur Instagram une série d’attaques (voir ci-dessus), non seulement sur la question de l’UNRWA mais sur sa politique dans le conflit actuel. On y dénonce «l’art de la manipulation», les «voies tortueuses de la neutralité factice», «la criminalisation de la résistance palestinienne». L’accent est mis aussi sur les activités de sociétés suisses, ou basées en Suisse, dans les territoires occupés illégalement par Israël. La collaboration militaire entre les deux pays est vivement critiquée. Il en résulte un appel au boycott économique et touristique. Pas de panique: la page n’a pour l’instant que 2’137 followers! Mais c’est un signe à ne pas négliger.
Conclusion: tout doit être fait pour que la droite du Conseil national ouvre les yeux sur la tragédie, se ressaisisse et assume dans la dignité la politique humanitaire de la Suisse dont nous sommes si fiers.
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