Pourquoi les jeunes générations se contre-fichent du défi européen?

Les raisons? La réalité de la construction européenne, quoi qu’on en pense, est largement ignorée. Les médias en parlent peu au-delà du piteux feuilleton diplomatique CH-UE. Les ténors des partis, lorsqu’ils l’évoquent, préfèrent le plus souvent le «bashing». Dans tous les camps. On parle ici et là de l’UE comme «une construction bancale». «Si tel était le cas, elle se serait effondrée depuis longtemps. Or, elle existe depuis 70 ans, ayant survécu à toutes ses crises», rappelle Couchepin. Il se souvient qu’il a fallu aussi des siècles pour que la Confédération helvétique trouve une forme viable, au-delà des différences et des tensions entre cantons et régions, entre langues et religions.
Les jeunes Suisses sont pourtant d’ores et déjà touchés par l’impasse actuelle. Ils ne participent plus aux programmes d’échanges d’étudiants et d’apprentis (Erasmus) qui avaient pourtant connu un réel succès lors de leurs lancements auxquels nous étions associés. Anecdote: les responsables européens de l’opération ont tenu une réunion… en Turquie, car celle-ci est encore «membre candidat». Le Liechtenstein y était convié en tant que membre de l’EEE. Pas la Suisse. Il est vrai qu’avec de l’argent, les étudiants helvétiques trouvent encore d’innombrables universités prêtes à les accueillir à travers le monde. Et l’Etat donne alors un coup de pouce. Mais cette exclusion reste pénalisante pour beaucoup. Quant aux plus avancés des jeunes universitaires, ils n’ont pas à se réjouir de voir les instituts de recherche coupés de la reconnaissance et du financement du vaste réseau «Horizon Europe». Même si la Confédération lâche quelques centaines de milliers de francs pour compenser le trou.
On en vient là au sentiment diffus, quasiment général: la Suisse est si riche, si performante, si sûre d’elle, qu’elle peut se passer des autres, qu’elle est indispensable aux autres, que d’autres puissances, les Etats-Unis, la Chine, lui tendent les bras. Leurres grossiers évidemment. Là encore Couchepin trouve les mots: «il faut éviter le langage de la grenouille qui se voulait plus grosse que le bœuf». De rappeler que la moitié de nos exportations vont vers l’UE, alors que celles de l’UE vers la Suisse ne représentent que 10%. Nul besoin de faire la liste des secteurs touchés par l’érosion en cours des accords en bout de course. Ne pas voir qu’à terme, si le dossier continue de pourrir, l’emploi sera touché, c’est s’enferrer dans les illusions euphoriques. Celui des jeunes le sera aussi.
Leur situation est aujourd’hui, grosso modo, fort bonne. Lorsqu’ils tardent à empoigner un job, parfois par choix plus que par nécessité, les parents, d’une génération comblée, sont là pour les soutenir. Ce phénomène, qui connaît certes des exceptions, tend à amortir les chocs, tant mieux, mais aussi à s’éloigner de la réalité dans sa dimension la plus crue. Les emplois se raréfient dans l’industrie, dans les services en raison de la digitalisation… tous les signaux ne sont pas au vert. On s’arrache sans doute les informaticiens mais tout le monde n’est pas champion en maths. Le secteur public continue d’embaucher à tour de bras mais l’économie n’a pas forcément à s’en réjouir. Il est vrai aussi qu’hôtels et restaurants, ces temps-ci, manquent de bras. Mais tiens, tiens, cela ne tente guère nos chers enfants et petits-enfants.
L’indifférence des jeunes Suisses peut s’expliquer aussi par les lacunes de l’enseignement. L’histoire du XXème siècle occupe généralement peu de place dans les programmes. La construction européenne encore moins. Les enseignants ont le plus souvent tendance à éviter les sujets controversés. Les dernières décennies vécues par la Suisse passent à la trappe. Quant aux réseaux sociaux si prisés, de Tik Tok à Instagram, ils sont peu connus pour dépasser le vacarme immédiat!
Autre explication possible. La jeunesse, où l’individualisme ne domine pas forcément, aspire à des idéaux. On le voit avec son engouement pour l’écologie. Or l’Europe manque d’un narratif, d’un récit porteur de promesses. En Suisse, le discours dominant à son propos est au contraire celui du scepticisme. Il serait pourtant possible d’en déployer un autre. Sur l’entente entre les peuples, l’action commune et le débat serein entre les membres de la communauté. Plutôt que les chamailles nationalistes, telles celles qui s’enveniment entre la France et la Grande-Bretagne du Brexit.
Des jeunes intéressés par la politique, on en trouve partout et en nombre heureusement. Mais les thèmes en vogue, aussi importants soient-ils, finissent par éclipser les autres. Climat, genres… On finit par ne plus voir que cela. Il y a aussi celles et ceux qui décident tôt de faire le pas, d’entrer dans un parti. Mais là, chacun serine ses sujets favoris dont l’Europe ne fait guère partie.
Et en plus l’obsession sanitaire! Surcharge des hôpitaux, craint-on, mais évitons aussi celle de nos têtes. Juvéniles ou chenues.
Bref on n’est pas sorti de l’auberge renfermée, mais nous sommes néanmoins nombreux, jeunes ou pas, à pousser la porte afin de découvrir ce que mijotent les voisins, prêts à se mettre à la table avec eux. Combien? On ne le sait pas au juste puisque le Conseil fédéral a enterré l’accord-cadre sans débat parlementaire et, un comble, sans consultation populaire. Ce qui fait dire à Pascal Couchepin: «Le gouvernement n’est pas un institut de sondage, il doit poser la question au peuple». L’ambassadeur de l’Union européenne à Berne, Petros Mavromichalis, a renforcé le propos du tenace Valaisan avec ce mot: «il n’est pas acceptable que la Suisse soit un passager clandestin de l’UE». Et Tok, comme dit Claude-Inga Barbey à la fin de ses sketches.
PS: Si des parents poussent l’audace jusqu’à faire entrevoir l’Union européenne à leur progéniture, un conseil. Aller visiter le Parlement européen à Strasbourg. Les enfants, les ados y sont particulièrement bien accueillis. Des étudiants bien informés s’y trouvent prêts à donner les explications souhaitées…
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