Petit massacre sororiel: les lendemains qui chantent du nouveau féminisme

Publié le 14 octobre 2022
La femme est une et indivisible. Elle n’a pas d’autre dieu qu’elle-même. Elle tua son père avec beaucoup de dextérité, en l’épluchant comme une patate, à l’exemple de l’héroïne d’un polar commis par Sandrine Rousseau, sorcière en chef des boutefeus écolos français. Avec fureur et détermination, chaque femme digne de ce nom se voue désormais à traquer la fumée des barbecues virils et à buter jusqu’à dans les chiottes le reliquat du patriarcat blanc hétéronormé, responsable, comme tout enfant le sait, de la crise climatique, suivant l’érudite théorie de «l’androcène».

Mais pas que. La femme, la vraie, celle qui souffre de l’oppression masculine, se doit in fine de flinguer aussi sa mère. Et voici la grande réforme du catéchisme néo-féministe. D’une mère non-racisée, bourgeoise, et de surcroît favorable au maintien en vie des spécimens mâles de l’humanité, autrement dit d’une collabo, la jeune génération ne veut pas. Qu’on la lapide! A minima, qu’on la fasse taire! Aussi utile qu’elle soit à ses buts politico-partisans, la grande fiction de l’unanimité féminine a volé en éclats avec le tollé provoqué par les propos qu’Elisabeth Badinter a tenus sur l’antenne de France Inter.

Au nom de celleux qui souffrent, ferme-la!

Nul n’ignore que du féminisme, nous avons vu déferler des vagues, apparaître et disparaître des courants, monter des marées. Cantonnés plus ou moins dans les pages des revues militantes, les combats internes ne passionnaient que les initiées. Il aurait pourtant peut-être fallu y fourrer le nez pour mieux contrer la propagande néo-féministe actuelle qui s’ingénie à faire croire aux femmes des quatre coins du monde qu’elles pensent et veulent exactement la même chose, qu’importe leur éducation, leur statut économique ou histoire personnelle. Parti de la mutinerie d’une poignée de stars hollywoodiennes malmenées par ce vieux satyre de Harvey Weinstein, le mouvement #MeToo dont on fête le cinquième anniversaire, s’est en effet à ce point enivré de son fulgurant succès médiatique qu’il a d’emblée visé une sororité universelle. Il faut reconnaître que ses déclinaisons régionales avec, notamment, #BalanceTonPorc en France, ont créé l’illusion d’une expérience commune à toutes les femmes: harcèlement sexuel, viol, violence. Pis, il s’agirait de faits si répandus, banalisés, voire institutionnalisés, qu’il y a lieu de dénoncer la «culture du viol». Pas au Pakistan ou au fin fond du Continent noir, ah non! Plutôt rue du Faubourg Saint-Honoré ou dans le sud de Manhattan. 

C’est dans ce contexte, que Le Monde a publié en 2018 la fameuse tribune défendant, tenez-vous bien, une «liberté d’importuner indispensable à la liberté sexuelle», cosignée, entre autres, par Catherine Deneuve, Catherine Millet et Catherine Robbe-Grillet. Un premier coup de pioche dans le mur de «nous toutes». Sans réussir à le faire ébranler, l’historienne Bibia Pavard, auteure du remarqué Ne nous libérez pas, on s’en charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nous jours (La Découverte, 2020) a mis noir sur blanc une évidence habilement escamotée: «Il n’y a jamais eu dans l’histoire un féminisme unifié, mais des positionnements féministes antagonistes».

Petit à petit, les divergences des points de vue et des convictions profondes apparaissent au grand jour. Entre sœurs bienveillantes, on a quand même cloué au pilori J.K.Rowling, celle-là même qui a signé les aventures de Harry Potter, pour avoir affirmé publiquement qu’il existe une différence biologique des sexes. Si la synergie des combats féministes et LGBT n’a rien de nouveau, datant encore des années 70, à présent elle explose en plein vol sur les questions transgenre. Pour faire court, les expressions telles que «personne qui ont des règles» ou «personnes enceintes» font grimper au rideau, et à juste titre, les féministes boomer. Il en est ainsi car aussi hallucinantes qu’elles soient, les fantaisies trans posent des problèmes concrets: faut-il laisser entrer dans les vestiaires ou les prisons réservées aux femmes, les transgenres qui se sentent femmes mais gardent leurs organes génitaux de naissance? Bienvenue dans le meilleur des mondes! Ajoutez à ce stock de nitrate d’ammonium féministe la question du port du voile islamique et vous entendrez une assourdissante détonation. Tandis que les féministes universalistes condamnent le voile, symbole, selon elles, de l’oppression masculine et religieuse, les néo-féministes postcoloniales le chérissent au nom d’une liberté individuelle et d’une légitime émancipation de l’impérialisme blanc. Les Iraniennes qui, au risque de leur vie, brûlent leurs tchadors dans la rue, doivent sans doute apprécier.

Last but not least, le sexe autrefois appelé faible, se déchire sur les méthodes de lutte émancipatrice. Et c’est là que nous revenons aux propos d’Elisabeth Badinter. En somme, au micro de Léa Salamé, la philosophe, spécialiste du siècle des Lumières, s’est opposé vigoureusement à l’idée de modifier les délais de prescription pour les violences sexistes: «Si on en finissait avec la prescription, cela voudrait dire qu’on assimile les violences sexistes à des crimes contre l’humanité. Ce n’est pas possible. Il faut être un peu logique. Les violences faites aux femmes sont punies. Mais enfin, ce sont des crimes contre l’humanité? Il ne faut pas exagérer, c’est même indécent à mon avis…»

Rappelons qu’en 2017, la prescription est passée en France de dix à vingt ans. Pas assez, à en croire les victimes présumées de Patrick Poivre d’Arvor, directement concernées par le sujet et premières à jeter la pierre à Badinter qui se présente d’ailleurs comme «fille spirituelle de Simone de Beauvoir». Après avoir signé une tribune collective dans Le Monde, en juillet 2021, pour dénoncer la lenteur de la justice dans ce type d’affaires, cette fois-ci elles ont attaqué en ordre dispersé. Ainsi Cécile Delarue, une des accusatrices de PPDA, a envoyé sur le champ un bon scud: «Naufrage d’Elisabeth Badinter ce matin. Qualifier d’indécent le mouvement des femmes qui parlent aujourd’hui des viols qu’elles ont subis hors délai de prescription. INDECENT! Oser la comparaison avec les crimes contre l’humanité! C’est honteux. Et pour le coup, INDECENT!». De son côté, Jeanne Bazelaire, comédienne, a souhaité s’exprimer dans les pages de Libération au nom de «tous.tes celleux qui n’ont pas été entendu.e.s», ce qui hélas fait plutôt penser aux personnages de fiction de Philip K.Dick qu’aux victimes réelles de violences sexuelles, confrontées «au temps infernal et long de la justice, à l’inhumanité abjecte qui règne dans cette institution et ses bureaux.» Institution pourtant, rappelons-le, féminisée à quelque 65%… N’empêche, le ton est donné, le climat difficilement respirable. Face aux «celleux» méprisés par les tribunaux de la République, comment ne pas comprendre, et d’évidence excuser, le recours à la justice expéditive des réseaux sociaux? Au grand dam de l’utopie néo-féministe, Elisabeth Badinter a eu le courage rare de fustiger les dérives des justicières et des vengeresses des plus acharnées. 

Je pleure donc je suis

Au moment du lancement de #BalanceTonPorc, son instigatrice, Sandra Muller, a imposé les nouvelles règles du jeu, en abolissant les précédentes, à commencer par le principe de la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable, au fondement de toute société démocratique et civilisée: «Toi aussi raconte en donnant le nom et les détails d’un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends.»

Le temps est venu pour la peur de changer de camp, nous disent ces innocentes. Si la colère des milliers des femmes qui ont subi les agissements déplacés de leurs patrons ou collègues se défend de toute critique, la dénonciation publique, et jusqu’à preuve du contraire arbitraire, d’un supposé oppresseur, a de quoi effrayer. Pourquoi diable s’arrêter en si bon chemin, en se refusant de procéder à des castrations sommaires des désignés coupables? La ligne de démarcation entre le féminisme et le néo-féminisme se situe donc sur la crète de la radicalité. Et décidemment, la vertu de l’extrémisme féministe séduit jusqu’au sommet du pouvoir, compte tenu de la déclaration du Président Macron, le lendemain de la parution du livre de Camille Kouchner: «On est là. On vous écoute. On vous croit. Et vous ne serez plus jamais seules.» Reprenant mot pour mot le slogan des Colleuses néo-féministes, celui qui, par sa fonction, est le garant d’un Etat de droit, a choisi de se placer dans le sens du vent de l’Histoire. Certes, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs.

Gare aux autres dépassés qui n’auraient pas encore saisi ce qui se trame. La Relève féministe est en marche, comme nous en avertit le collectif éponyme dans les colonnes de Libération: «Aux masculinistes et à leurs allié.e.s, aux complices de ceux qui se taisent, nous disons que l’heure de l’impunité et de la toute-puissance est révolue. Puisque vous êtes incapables de faire mieux, il est temps de passer la main. Alors, sur tous les fronts, la relève sera féministe!»

Il faut en déduire que Jean-Luc Mélenchon a d’ores et déjà préparé sa petite valise et un guide du Routard pour sa retraite anticipée de la vie politique: le soutien qu’il a porté à Adrien Quatennens ne lui sera pas pardonné. Inutile d’argumenter que si toutes les violences sont condamnables, elle ne se valent pas toutes, et qu’une gifle que le jeune député de la France Insoumise a reconnu avoir envoyée à sa femme n’a rien à voir avec une agression sexuelle et encore moins avec un viol. Selon les évangiles féministes il n’y a pas de fautes plus ou moins graves. Au contraire, il existe un continuum entre toutes les violences. C’est cet ultracisme ivre de ses propres promesses qu’Elisabeth Badinter a osé contester.

L’extrémisme post-MeToo porte en France le nom de Sandrine Rousseau, ancienne apparatchik d’EELV, devenue personnification ultramédiatisée de l’écoféminisme. Clivante jusque dans les rangs de son propre parti, elle ne risque pas de disparaître des radars, passée championne en communication de l’outrance et de la provocation. Elisabeth Badinter n’est certainement pas allée trop loin sur l’antenne de France Inter, imputant à la députée verte de vouloir «faire tout flamber»: «Où sommes-nous pour mépriser à ce point la justice? Madame Rousseau est dans la toute-puissance et se permet de contrer la justice.»

Le pire, c’est que Madame Rousseau n’y est pas seule. D’un côté épaulée par le génie lesbien d’Alice Coffin, de l’autre par une fanbase jeune et non négligeable en nombre, la députée de Paris semble prête à tout, y compris au prix de la dissolution de la Nupes. Quand elle n’a plus de cartouches à tirer, il lui reste toujours un réservoir de larmes à déverser en direct sur un plateau télé, ce qui dans son cas relève d’une véritable vision politique: «A trop retenir nos larmes, nos peurs et nos colères, nous nous empoisonnons.»

Nous voilà mis au parfum. Une fois la grande œuvre de la déconstruction des mâles achevée, Sandrine Rousseau noiera le reste des opposants, homme ou femme, dans ses propres larmes. Le totalitarisme néo-féministe n’est pas mou, il est dangereusement mouillé.

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