Les semenciers bio, un enjeu de durabilité et d’indépendance nationale

Publié le 27 mai 2022
Crise alimentaire, crise sanitaire, crise écologique ou simplement envie d’apporter un peu de biodiversité et de nature autour de chez soi, le nombre de «mains vertes» se sont multipliées ces dernières années en Suisse, ainsi qu’en Occident de manière générale. L’envie de pouvoir produire une partie plus ou moins grande de son alimentation en respectant au mieux la biodiversité est une tendance de plus en plus implantée dans la population et plusieurs petites entreprises ont su en tirer parti. C’est le cas notamment de Zollinger Semences Bio, mais aussi Sativa, Semences de Pays ou Le Grainier SARL.

Par Nicolas Depraz, diplômé en géographie et animateur à Radio Libre, partenaire de Bon Pour La Tête.


Basée dans le chablais valaisan, Zollinger Semences Bio est une petite entreprise familiale dont la taille a presque triplé depuis la reprise de l’activité par les enfants du couple fondateur. Pour se rendre compte du phénomène, il suffisait simplement de se rendre au marché aux plantons organisé par le semencier dans ses serres entre le 11 et le 15 mai dernier. Des retraités, des jeunes urbains, des mères de famille, des actifs, propriétaires ou locataires, toutes les catégories de la population étaient représentées dans cette dynamique, qui touche toutes les couches de la population ou presque.

Si l’aspect «jardinage, bien-être et loisirs» de cette entreprise est facilement identifiable, elle n’en reste pas moins un actif stratégique de «haute technologie» pour la Suisse. Pourquoi de «haute technologie»? Tout simplement car Zollinger, comme d’autres semenciers bio, travaille en partenariat avec la banque de gènes nationale et l’Office fédéral de l’agriculture afin de conserver la biodiversité des plantes cultivées, développée depuis des centaines, voire des milliers d’années dans nos régions. «Un pilier très important de notre entreprise, c’est la très étroite collaboration avec la banque de gènes fédérale et l’office fédéral de l’agriculture. Quand on pense biodiversité, on pense souvent aux étangs, aux oiseaux et on oublie souvent que les plantes cultivées font également partie de cette biodiversité. C’est un patrimoine qui a été élaboré sur des générations, qui est très précieux et qui vaut la peine d’être sauvegardé», souligne Tulipan Zollinger, à la tête de l’entreprise familiale. «Si, par exemple, un nouveau pathogène arrive, une nouvelle « maladie de plantes », il se peut qu’une de nos anciennes variétés qui est stockée dans la banque de gènes, ait une résistance. C’est comme un back-up, une sauvegarde qui permet de revenir en arrière», complète le jeune chef d’entreprise. 

Innover pour la biodiversité

Adaptation des cultures à des conditions climatiques de plus en plus extrêmes, conservation de variétés anciennes ou menacées, sélection des espèces les plus résistantes ou productives, le métier de semencier requiert un véritable savoir-faire technologique qui permet à notre biodiversité d’être préservée et de «s’armer» contre ses nombreuses menaces. Les machines «high-tech» qu’ils utilisent dans leurs entrepôts démontrent d’ailleurs qu’ils savent utiliser les innovations matérielles au profit de leur activité. Zollinger ne sont d’ailleurs pas les seuls dans ce secteur d’activité en Suisse. Sativa, Semences de Pays, Le Grainier SARL ou encore des coopératives paysannes, de plus en plus de semenciers bio proposent des semences bio sur tout le territoire.

Si leur clientèle est en majorité composée de particuliers, un nombre croissant de maraîchers professionnels ou permaculteurs choisissent de se fournir chez ce type d’acteurs, notamment grâce à la variété de leurs catalogues qui compte des centaines variétés de plantes cultivables ainsi que de nombreuses spécialités. Selon Tulipan Zollinger, les maraîchers représentent actuellement 5 à 7% du chiffre d’affaires de son entreprise.

La menace de la privatisation des semences

Récemment, le directeur général de Syngenta, Erik Fyrwald, a fait polémique en appelant à abandonner l’agriculture biologique afin de lutter contre la future pénurie alimentaire qui se dessine à la faveur des crises climatiques, écologiques, économiques, sanitaires et de la guerre en Ukraine, grand producteur et exportateur de céréales. Si Tulipan Zollinger comprend pourquoi le patron de ce géant de la chimie et de l’agroalimentaire tient ce genre de discours, il rappelle que dans beaucoup de cas, on observe peu de différences de rendements entre l’agriculture conventionnelle et son pendant biologique. Il ajoute cependant: «A long terme, le lessivage et l’épuisement des sols par les méthodes d’agriculture conventionnelle fait peser un vrai risque sur nos capacités de production et d’approvisionnement alimentaire.»

Car depuis des années, une des grandes menaces qui plane sur la production alimentaire, c’est la privatisation des semences, donc du vivant, par des grandes entreprises de la chimie et de l’agroalimentaire telle que Syngenta par exemple. Pourquoi? Parce que le manque de diversité génétique, couplé à une situation de quasi-monopole dans laquelle sont coincés les agriculteurs ralenti considérablement l’innovation et la résilience dans l’agroalimentaire. Exemple: si une variété de maïs transgénique nécessite certains produits pour pousser et produire correctement, l’agriculteur se retrouve abonné de fait aux services proposés par le semencier agro-industriel. Et il suffit que cette variété se trouve être sensible à une nouvelle pathologie ou un nouveau ravageur pour que toute la monoculture soit mise en danger sans possibles alternatives pour le producteur. La réduction de la variété génétique (donc de la biodiversité) de certaines espèces structurantes pour notre alimentation fait courir des vrais risques de production et d’approvisionnement à court, moyen et long terme à nos sociétés. Et c’est en ce sens que l’agriculture biologique, approvisionnée en graines en partie par les petits semenciers bio et locaux, représente une solution à de nombres de ces problématiques, surtout que depuis quelques années, il ne se limite plus à la production de semences strictes.

Dépendance aux importations de semences

En effet, l’innovation ne cesse jamais dans le secteur des semenciers pour valoriser au mieux leur production. Si la majorité de l’activité des entreprises est tournée vers la production de graines, ils cherchent maintenant à valoriser, sous différentes formes, leurs «déchets» à savoir les plantes qui servent à produire les semences. Zollinger, par exemple, a développé une marque de cosmétiques bio, soit un bel exemple d’économie circulaire en interne mais aussi une collaboration mutuellement profitable avec des chercheurs et laboratoires. Néanmoins, il est à noter qu’aujourd’hui, la Suisse est encore très dépendante de ses importations de semences pour couvrir les besoins de son agriculture, encore très majoritairement conventionnelle et qu’en période d’incertitude comme nous le vivons aujourd’hui, c’est un point sensible qui rend d’autant plus stratégique le développement d’alternatives à la fois locales, rentables et naturelles, donc résilientes.


Pour en savoir plus sur ce type d’activités et d’entreprises, le podcast «Durabilité : et maintenant, qu’est-ce qu’on fait?» dédié à Zollinger est disponible en libre écoute sur Radio Libre.

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