Les lobbies entrent au gouvernement

C’est presque joué. Le rival du Bernois, le Zurichois Hans-Ueli Vogt, est mal aimé du Parlement qu’il a quitté de son plein gré l’an passé, déclarant qu’il s’y sentait «comme un joueur de tennis sur un terrain de football». De plus il lui est arrivé de prendre des positions contraires à celles de son parti. Quant à la candidate jurassienne, Elisabeth Baume-Schneider, elle est fort appréciée, aimable et courageuse. Mais les Alémaniques, qu’ils en conviennent ou pas, ne veulent pas se voir en minorité au Conseil fédéral, avec quatre «Latins» sur sept. Ce qui est un réel problème au vu de la représentativité des régions linguistiques prévue dans la Constitution.
En outre Eva Herzog, de l’aile droite de son parti, a tout pour plaire au camp bourgeois. Elle a été pendant quinze ans ministre des Finances du demi-canton de Bâle-Ville. Il en est résulté une extrême proximité avec les géants pharmaceutiques, Novartis et Roche en tête, qui y ont leur siège. Un cadre de son propre parti a même lâché un jour qu’elle est en fait «la porte-parole médiatique des pharmas». Certes il n’y a pas de lien formel entre elle et ces entreprises, mais ce sont bien celles-ci qui ont imprégné la vision économique de la candidate, d’ailleurs fort compétente. Or deux dossiers chauds se présentent. Le prix des médicaments et la répartition des nouveaux impôts qui frapperont les multinationales. Toutes les tentatives de libéraliser le commerce pharmaceutique, d’autoriser les importations directes de produits beaucoup moins chers à l’étranger, ont échoué. Mais le sujet reviendra. On connaît d’avance l’avis de Mme Herzog. Très actuelle, la modification de la taxation des géants, que l’OCDE impose à ses membres: 15% au moins sur les bénéfices des entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions. La Suisse qui en est membre doit suivre. Nous devrons voter sur cet objet l’an prochain. Inutile de dire que les mastodontes ne sont pas chauds, une partie du camp bourgeois non plus. La partie sera serrée. Le Conseil fédéral devra se montrer convaincant. Or les deux nouveaux en vue sont pour le moins réticents!
Et où iront ces milliards de recettes supplémentaires? La loi prévoit 75% aux cantons, le reste à la Confédération, mais cela se discute. Eva Herzog déclare déjà qu’ils doivent aller principalement aux cantons, ce serait un pactole inouï pour Bâle qui compte entre 50 et 70 entreprises concernées. D’autres voix réclament une répartition plus favorable aux régions moins peuplées. Ou, pourquoi pas, aux transports. On imagine déjà les débats au sein du nouveau Conseil fédéral…
Quant à Albert Rösti, c’est plus simple: depuis de longues années, il est lobbyiste de métier. Il représente les intérêts de seize groupements privés, entités administratives et associations. Pour quelle somme? Il ne le dit pas, affirmant cependant qu’au total, c’est moins que la rétribution d’un conseiller fédéral. Parmi ses principaux mandats: Auto-Schweiz, l’association des importateurs d’automobiles, et Swissoil, l’association des marchands de produits pétroliers, dont il fut le président. La mention de cette dernière a soudainement disparu de la page du candidat.
Comme pour les médicaments, notre porte-monnaie est en jeu. Les automobiles et les pièces de rechange sont plus chères en Suisse que chez les voisins en dépit de leur taux de TVA plus élevés. Cela grâce au monopole de fait des importateurs. Tout ce business est conçu pour décourager l’achat direct à l’étranger, théoriquement possible. Des relations commerciales plus libérales profiteraient aux consommateurs. Mais la droite helvétique a ses arrangements avec le libéralisme…
En cas d’élection Albert Rösti se défera bien sûr de ses liens avec des intérêts particuliers. Mais quand on les a servis si longtemps, quand on est entré dans leur logique, on ne se refait pas. Même en accédant au pouvoir.
Le plus frappant, c’est l’indifférence de tous les partis à cette problématique. Chacun regarde l’échiquier politicien, avance ses propres pions et il ne se trouve guère de voix pour poser les questions de principe. Parce que chaque famille a ses petits arrangements? Ici comme ailleurs, on parle beaucoup de la transparence en politique. En Suisse, c’est pour rire.
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