Les Gilets jaunes auraient-ils pu voter pour Trump?

Publié le 2 mai 2019

«Le mouvement des Gilets jaunes contre Macron représente essentiellement les manifestants qui ont plus ou moins voté pour Trump ici.» – © Flickr

L’ambassadeur de France outre-Atlantique a pris sa retraite il y a un peu plus d’une semaine. Coutumier des déclarations qui fâchent tout au long de son mandat, Gérard Araud en a remis une couche avant de mettre les voiles, histoire d’arranger un peu plus les relations entre les Etats-Unis et l’Hexagone. Dans une interview avec «The Atlantic», il a notamment raillé Trump, écorché Kushner et descendu Bolton, tout en faisant des comparaisons avec son pays d’origine. Moments choisis.

 

Gérard Araud. © Wikipédia

Depuis 2014, Gérard Araud était ambassadeur de France aux Etats-Unis. Après avoir été ambassadeur en Israël de 2003 à 2006, puis représentant permanent de la France aux Nations Unies. Des postes stratégiques d’importance qui ne l’ont apparemment jamais convaincu de mettre sa verve en sourdine. Connu pour sa faculté à parler (et tweeter) sans s’embarrasser du qu’en pensera-t-on, Gérard Araud n’a pas hésité à vider son barillet avant de prendre sa retraite, le 20 avril dernier.

Dans sa ligne de mire notamment, Jared Kushner, le gendre de Donald Trump, chargé de définir la politique moyen-orientale des États-Unis et plus précisément le conflit israélo-palestinien: «Il est totalement rasoir, assène Gérard Araud à la journaliste de The Atlantic. Très intelligent, mais sans le moindre cran. Il ne connaît pas l’histoire. Et, dans un sens, c’est bien – nous ne sommes pas là pour dire qui a tort ou qui a raison; nous essayons de trouver une solution. Dans un sens, j’apprécie cela, mais en même temps il est tellement rationnel et tellement pro-Israélien qu’il en oublie le fait que si on offre le choix aux Palestiniens entre la reddition et le suicide, ils pourraient bien choisir le second. Quelqu’un comme Kushner est incapable de comprendre ça.»

Quant à la politique de Trump, Gérard Araud a également son opinion et ne mâche pas ses mots: «C’en est fini du libre-échange. Trump fait les choses à sa façon. Brutale, un peu primitive, mais dans un sens il a raison. Ce qu’il fait avec la Chine aurait dû être fait bien avant, peut-être d’une manière différente. Trump a ressenti la lassitude des Américains. Obama l’avait ressentie également. Le rôle des Etats-Unis en tant que police du monde est terminé. Obama avait fait le premier pas, Trump a continué. On l’a vu avec l’Ukraine, on le voit tous les jours avec la Syrie. Les gens ici défaillent lorsqu’on évoque l’OTAN, mais lorsqu’il demande: ‘pourquoi devrions-nous défendre le Monténégro?’, c’est une question sincère. Je sais que ça ne va pas plaire aux gens de Brookings ou de l’Atlantic Council (groupes de réflexion influents aux Etats-Unis, ndlr), mais oui, vraiment, pourquoi devriez-vous le faire? Ces questions sont mises sur la table par Trump de façon brutale et primitive, mais ce sont de vraies questions.»

D’ailleurs, Gérard Araud n’hésite pas à faire un parallèle avec la crise qui ébranle actuellement la France: «Le mouvement des Gilets jaunes contre Macron représente essentiellement les manifestants qui ont plus ou moins voté pour Trump ici. Ce sont des gens issus de petits villages, de milieux ruraux, la classe moyenne à faible qui affirme ‘Nous sommes laissés pour compte’. Et notre parti conservateur (la droite française, ndlr) avance dans la même direction que les Républicains ici. Tout à coup, ce parti traditionnellement conservateur devient protectionniste, obsédé par l’immigration et par les questions identitaires. Vous savez, affirmer que la France est un pays judéo-chrétien revient à dire antimusulman. Il y a une uniformité dans la crise, on le voit également avec le Brexit.

Ce n’est pas un hasard si votre président (Trump, ndlr) a été élu par la Pennsylvanie, le Wisconsin et le Michigan, (Etats faisant partie, pour la majorité de la population, de la fameuse «Bible belt». «La ceinture biblique» bien connue aux Etats-Unis, ndlr) tandis que notre «Rust Belt» («ceinture rouillée», en parallèle avec la précédente, ndlr), dans le nord de la France, a élu cinq des six membres d’extrême-droite au Parlement (…) Une idée fausse partagée par les Français comme les Américains est de penser que Trump n’est qu’un accident et que tout rentrera dans l’ordre une fois qu’il aura quitté le pouvoir. C’est le rêve qu’entretient Washington.»

Gérard Araud n’épargne pas non plus John Bolton, conseiller à la sécurité nationale: «Le mec est un vrai professionnel, mais c’est également un idéologue, donc c’est un peu compliqué. Cela fait 40 ans qu’il travaille dans la politique étrangère… ce qui n’est pas le cas du secrétaire d’Etat. C’est vrai qu’il faut connaître les étroites limites du travail en commun – son nationalisme, le fait qu’il déteste les organisations internationales. Mais sur certains sujets, il est réaliste, donc il est possible de travailler avec lui. La Syrie en est le parfait exemple. Le président a pris la décision d’un retrait de Syrie sans consulter personne. Bolton n’avait aucune idée de la décision qui serait annoncée. Ensuite, ils ont essayé de réduire les conséquences de cette décision sans la remettre en cause.»

 


 

Lire l’article original ici.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

Et si l’on renversait la carte du monde!

Nos cartes traditionnelles, avec le nord en haut et le sud en bas, offrent un point de vue arbitraire et distordu qui a façonné notre vision du monde: l’Afrique, par exemple, est en réalité bien plus grande qu’on ne le perçoit. Repenser la carte du globe, c’est interroger notre perception (...)

Guy Mettan
Politique

En Afrique, à quoi servent (encore) les élections?

Des scrutins sans surprise, des Constitutions taillées sur mesure, des opposants muselés: la démocratie africaine tourne à la farce, soutenue ou tolérée par des alliés occidentaux soucieux de préserver leurs intérêts. Au grand dam des populations, notamment des jeunes.

Catherine Morand
Economie

Où mène la concentration folle de la richesse?

On peut être atterré ou amusé par les débats enflammés du Parlement français autour du budget. Il tarde à empoigner le chapitre des économies si nécessaires mais multiplie les taxes de toutes sortes. Faire payer les riches! Le choc des idéologies. Et si l’on considérait froidement, avec recul, les effets (...)

Jacques Pilet
Sciences & Technologies

La neutralité suisse à l’épreuve du numérique

Face à la domination technologique des grandes puissances et à la militarisation de l’intelligence artificielle, la neutralité des Etats ne repose plus sur la simple abstention militaire : dépendants numériquement, ils perdent de fait leur souveraineté. Pour la Suisse, rester neutre impliquerait dès lors une véritable indépendance numérique.

Hicheme Lehmici
Sciences & Technologies

Identité numérique: souveraineté promise, réalité compromise?

Le 28 septembre 2025, la Suisse a donné – de justesse – son feu vert à la nouvelle identité numérique étatique baptisée «swiyu». Présentée par le Conseil fédéral comme garantissant la souveraineté des données, cette e-ID suscite pourtant de vives inquiétudes et laisse planner la crainte de copinages et pots (...)

Lena Rey
Politique

Les poisons qui minent la démocratie

L’actuel chaos politique français donne un triste aperçu des maux qui menacent la démocratie: querelles partisanes, déconnexion avec les citoyens, manque de réflexion et de courage, stratégies de diversion, tensions… Il est prévisible que le trouble débouchera, tôt ou tard, sous une forme ou une autre, vers des pouvoirs autoritaires.

Jacques Pilet
Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Philosophie

Une société de privilèges n’est pas une société démocratique

Si nous bénéficions toutes et tous de privilèges, ceux-ci sont souvent masqués, voir niés. Dans son livre «Privilèges – Ce qu’il nous reste à abolir», la philosophe française Alice de Rochechouart démontre les mécanismes qui font que nos institutions ne sont pas neutres et que nos sociétés sont inégalitaires. Elle (...)

Patrick Morier-Genoud
Politique

La stratégie de Netanyahu accélère le déclin démocratique d’Israël

Le quotidien israélien «Haaretz» explique comment l’ancien Premier ministre Naftali Bennett met en garde les forces de sécurité et les fonctionnaires contre une possible manipulation du calendrier électoral et la mainmise de Netanyahu sur l’appareil sécuritaire.

Patrick Morier-Genoud
Culture

Sorj Chalandon compatit avec les sinistrés du cœur

Après «L’enragé» et son mémorable aperçu de l’enfance vilipendée et punie, l’écrivain, ex grand reporter de Libé et forte plume du «Canard enchaîné», déploie une nouvelle chronique, à résonances personnelles, dont le protagoniste, après la rude école de la rue, partage les luttes des militants de la gauche extrême. Scénar (...)

Jean-Louis Kuffer
Politique

Netanyahu veut faire d’Israël une «super Sparte»

Nos confrères du quotidien israélien «Haaretz» relatent un discours du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui évoque «l’isolement croissant» d’Israël et son besoin d’autosuffisance, notamment en matière d’armement. Dans un éditorial, le même quotidien analyse ce projet jugé dangereux et autodestructeur.

Simon Murat
Politique

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet
Politique

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan
PhilosophieAccès libre

L’individualisme, fondement démocratique, selon Tocqueville

Notre démocratie est en crise, comment la réinventer? Que nous enseignent ceux qui, au cours des âges, furent ses concepteurs? Pour le penseur français Alexis de Tocqueville (1805-1859), l’individualisme et l’égalisation des conditions de vie sont deux piliers essentiels de la démocratie.

Bon pour la tête
PolitiqueAccès libre

La politique étrangère hongroise à la croisée des chemins

Pour la première fois en 15 ans, Viktor Orban est confronté à la possibilité de perdre le pouvoir, le parti d’opposition de Peter Magyar étant en tête dans les sondages. Le résultat pourrait remodeler la politique étrangère de la Hongrie, avec des implications directes pour l’Union européenne.

Bon pour la tête
PolitiqueAccès libre

Les fonds cachés de l’extrémisme religieux et politique dans les Balkans

L’extrémisme violent dans les Balkans, qui menace la stabilité régionale et au-delà, n’est pas qu’idéologique. Il sert à générer des profits et est alimenté par des réseaux financiers complexes qui opèrent sous le couvert d’associations de football, d’organisations humanitaires et de sociétés actives dans la construction, l’hôtellerie ou le sport. (...)

Bon pour la tête