Le virus du pouvoir et ses fâcheux effets

Publié le 8 octobre 2021
Que le sentiment de puissance tourne la tête de certains dirigeants, ce n’est pas nouveau. L’histoire est faite de ces accès de fièvre. Mais les remparts démocratiques semblaient mettre la sage Helvétie à l’abri de tels dérapages. Naïveté. Le virus du pouvoir peut faire déraper partout.

Comment expliquer autrement qu’une idée aussi saugrenue puisse naître dans la tête d’un conseiller fédéral? Offrir cinquante balles au quidam qui persuade quelqu’un de se faire vacciner! Même les chaînes commerciales les plus agressives n’ont pas pensé à un truc de marketing aussi acrobatique. Une proposition juridiquement boiteuse, pratiquement impossible à mettre en œuvre que d’ailleurs les cantons boudent.

Ceux-ci ne sont pas chauds non plus devant l’idée d’envoyer 1’700 «conseillers» à travers le pays pour pousser les réticents vers la seringue. Imaginez… on sonne à la porte, non ce n’est pas un Témoin de Jéhovah mais l’envoyé de Berset qui s’inquiète de votre foi vaccinale! Et hop, au passage, 150 petits millions pour ces fariboles. Il faut être sacrément sûr de soi et bien éloigné de la réalité du terrain pour échafauder des plans aussi rocambolesques.

Il fallait aussi avoir les neurones bien imprégnés du pouvoir pour qu’un ministre, devenu euphorique dans sa fonction, ose se faire promener dans une voiture officielle avec chauffeur à travers la Forêt noire en compagnie de sa maîtresse. Et l’orage survenu, envoyer les unités spéciales de la police fédérale arrêter la «coupable» sous les yeux de son enfant et explorer son ordinateur. Affaire privée? Alors pourquoi pas une procédure normale?

Ce virus banal peut aussi rôder sur des terrains tout à fait légaux. Ainsi les membres du gouvernement vaudois ont été pris d’un goût de luxe. Le Conseil d’Etat a décidé, sans opposition, de s’attribuer l’une des plus belles demeures du rivage lémanique. La maison qui abritait le musée de l’Elysée avant son transfert à la gare. Un trésor posé devant un grand parc en descente douce vers le lac. Construit en 1783. Mme de Staël y a donné en 1807 des représentations d’Andromaque, avec Benjamin Constant et Mme Récamier. Ces messieurs-dames du château entendent s’y installer, avec quelques fonctionnaires, en plus des locaux qu’ils occupent en ville. Le départ du musée libérera 1’831 m2. Les espaces de réception du Conseil d’Etat sont aujourd’hui déjà de 697 m2, au rez-de-chaussée. Après les travaux (pour 7,3 millions), le gouvernement disposera de 739 m2 pour lui-même et de 560 m2 pour les bureaux du Service des affaires culturelles et de l’Office des affaires extérieures. Restent 1’269 m2 d’espaces communs, de technique et de circulation. Les combles abriteraient un espace polyvalent de 280 m2

Adieu les nuits de la photo, adieu les visites culturelles en famille avec promenade et une friandise au passage. Le jardin restera ouvert au public, mais sans autre attention. Il eût été possible de transférer là un autre musée, celui par exemple de l’Art brut, de grande renommée internationale, à l’étroit dans ses locaux de Beaulieu. Non. Place sera donc faite à des bureaux de prestige.

Il faut être fort amoureux du pouvoir pour s’emparer avec une telle majesté d’un si haut lieu architectural. Certes le nombre des fonctionnaires ne cesse d’enfler mais le commun des mortels les préfère plutôt dans les écoles et les hôpitaux que sous des lustres du XVIIIème siècle.

Le virus luxueux du pouvoir peut frapper à tous les étages. Que l’on songe à la directrice et à ses adjoints de la Caisse de compensation vaudoise de l’AVS. Il fut soudain découvert que la dame avait une voiture de service, appréciait grandement les voyages, les bonnes tables et que certains soirs, elle préférait dormir dans un hôtel de luxe plutôt que de rentrer chez elle, dans sa lointaine Riviera vaudoise. Sur notes de frais. Là, la justice enquête. Et le nouveau directeur qui remplace la cheffe dispendieuse envoie une missive contrite aux assurés, promettant que tout rentrera dans l’ordre, sans dommages pour eux.

La quasi totalité des détenteurs de l’autorité sont certes immunisés contre le virus débordant du pouvoir. Mais personne ne peut croire, pas plus que d’autres, qu’il disparaîtra de nos parages.

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