Le Président Xanax ou les aléas du déconfinement

Publié le 30 avril 2020

Hommes et femmes confondus, la pandémie inspire à nombre d’entre nous le sentiment de regarder l’apocalypse se jouer devant nos yeux. – © Pixabay

A moins de deux semaines de la date annoncée de la levée du confinement en France, il faudra penser aux quelques 30% de la population anxieuse, dont nous avons fini collectivement par partager les angoisses. Entre la crainte de voir la pandémie repartir et l’espoir de retrouver nos libertés, l’équilibre mental des Français attend une parole rassurante du Président Macron et de l’exécutif.

Une césure? Tout indique que la période du confinement, imposée à plus de trois milliards de personnes dans le monde, en sera une. Variablement vécue selon les moyens, les conditions, et les ressources intérieures de chacun d’entre nous, cette détention préventive provoque aussi des peurs nouvelles chez les plus anxieux en même temps que des attentes démesurées chez les plus idéalistes. Sans marge d’erreur possible de diagnostic, le confinement, qu’il soit bien ou mal vécu, nous a collectivement et individuellement déboussolés dans notre rapport au temps, à l’espace, à l’autre, et surtout à nous-mêmes. Bonne nouvelle dans tout cela? Les téléconsultations avec les psys, dont on nous assure le déroulement identique, voire plus bénéfique au patient que du temps d’avant, quand on avait le droit, pour 90 €, de s’allonger sur un vrai divan. S’il manque de données fiables, les psys en ville n’observent pas une explosion de leur patientèle. Mais comme le remarque Céline Causse, psychiatre et sexologue dans un cabinet privé à Paris, l’essentiel de ceux qui la consultent souffrent d’anxiété. Et nous avons 30% de la population anxieuse, en France.

Etre angoissé par la pandémie, par le risque de tomber malade ou de rester enfermé chez soi, n’arrive pas qu’aux bileux. Parmi les patients les plus difficiles du docteur Causse on compte des hommes haut placés, dont l’un s’était vu appeler le SAMU plusieurs fois dans la nuit, ayant cru reconnaître les premiers symptômes du coronavirus. Face à la déstabilisante anarchie de la progression de l’épidémie et des informations contradictoires qui l’ont accompagnée, le confinement a eu du bon de rassurer les cas comme le sien.

Mais où se situe-t-elle, la frontière entre une peur «saine» et une angoisse qu’il faut traiter? La peur a un objet, l’angoisse est une sensation, nous rappelle aimablement Boris Cyrulnik, avant de poursuivre: «la peur c’est un lion, un ennemi, c’est le volcan qui explose». Quant à l’angoisse, elle se nourrit des vapeurs de la mort que l’on sent s’approcher, sans savoir d’où elle vient. N’aurions-nous pas alors raison d’être collectivement angoissés? Car rien ne nous prépare, en effet, à gérer à la fois notre oubli contemporain du fait d’être mortel et et la perte, considérable, du contrôle du cours de nos vies. Raison pour laquelle les hommes consultent plus souvent que les femmes et supportent moins bien le confinement.

Toutefois, hommes et femmes confondus, la pandémie inspire à nombre d’entre nous le sentiment de regarder l’apocalypse se jouer devant nos yeux. L’étude sur les ressentis du confinement, menée auprès de 6000 volontaires par Fanny Parise, une socio-anthropologue de l’université de Lausanne, donne des résultats de prime abord étonnants: au bout d’une semaine du confinement, 38% de la population analysée estimait que c’était la fin de notre modèle de société, 46% évoquait le premier effondrement de notre civilisation. Tous des alarmistes ou des neurasthéniques? En son temps Billy Wilder disait que les optimistes allaient à Auschwitz, tandis que les pessimistes finissaient leur trajectoire à Hollywood. Concernant les modérés, ils n’ont probablement pas eu le temps de se poser des questions. Ce sont eux qui remplissent les rames de la ligne 13 à Paris pour aller travailler. Ils ont certainement peur, et plus encore, ils ont besoin d’aller gagner leur vie.

Rien de pire pour un anxieux confiné, affirme Céline Causse, que de vivre sous le même toit avec une personne obligée par son métier de sortir régulièrement. La menace que représente désormais le monde extérieur et tout contact humain rapproché, c’est-à-dire à moins d’un mètre, éclatera au grand jour avec la levée des mesures du confinement. Il se pourrait que nous ayons eu tort d’être angoissés, mais le fait est que nos pratiques quotidiennes seront modifiées par la pandémie pendant de longs mois à venir, sinon à jamais. Le port du masque se banalisera sous nos latitudes, jusqu’à là préservées du goût oriental pour ce geste-barrière. Nous finirons par accepter une puce sous-épidermique, des passeports de santé, des frontières de nouveau contrôlées, et louerons comme une avancée le droit de nous déplacer sur le territoire national.

Les mélancoliques incurables accrocheront aux murs les photos de leurs vacances sous les tropiques, sachant qu’ils n’y retourneront pas de sitôt. Bien que cela sonne comme le début d’une odyssée dystopique de l’humanité, les éléments ne manquent pas pour le valider.

Si l’annonce de la date du 11 mai comme celle d’un relatif retour à la normale a été accueillie avec soulagement par une majorité de Français, il ne reste pas moins vrai que nul n’imagine que tout reprendra comme si de rien était. Probablement nul ne le souhaite non plus. De nouvelles injonctions sociales ont d’ores et déjà remplacé des anciennes: ne pas sortir de chez soi en dehors du strict minimum autorisé, respecter la «distanciation sociale» (le terme aurait fait la joie de Victor Klemperer qui, en son temps, c’était donné la juste peine d’étudier le langage totalitaire), ne pas recevoir clandestinement des proches sous risque d’être dénoncé (la délation a été confirmée comme le sport préféré des Français).

Ce qui nous paraissait inacceptable, sinon surréaliste, à peine un mois plus tôt, fait désormais partie des nouvelles règles de vie: commerces et aéroports fermées, écoles désertées, rues abandonnées à la faune sauvage. Et le plus surprenant dans tout cela demeure, à n’en pas douter, notre demande de mesures plus restrictives encore. Rouvrir des écoles en mai? Si ce n’est pas un crime cotre l’humanité! Le gouvernement en répondra. Comme de la minimisation de la pandémie à ses débuts, ce qui, au fond, nous arrangeait bien, tant nous étions inaptes à envisager ce que nous vivons à présent.

Mais ce temps qui semble s’étirer à l’infini depuis un mois, a connu une accélération des idées: nous voilà convertis à la religion de «santé avant tout». Autrefois nous aimions nos libertés. Aujourd’hui nous chérissons notre sécurité sanitaire.

La contrainte remplace notre comprimé de Xanax. Le Président de la République a tout intérêt de vite saisir qu’il est attendu dans le rôle de Psy de la nation, à l’écoute et rassurant. Car, de même qu’aux grands anxieux du docteur Causse, il nous faudra de solides arguments et du temps pour nous exposer aux risques de la vie «d’avant».


Retrouvez les précédents billets de Paulina Dalmayer:

Jeux macabres

50 nuances du coronavirus

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