Le plaisir de la peur

Publié le 2 mars 2020
Qui tend bien l’oreille aux clameurs alarmées devant le Coronavirus peut percevoir, me semble-t-il, quelques tonalités jubilatoires. Voilà enfin un évènement universel qui atteint chacun sans détours ni délai, effrayant, mais dont on a tout de même quelque chance de sortir indemne!

La peur a nourri notre enfance à force de monstres divers, de clowns grimaçants, d’histoires peuplées de sorcières et de pères fouettards. Les grands restent accrochés à ces frissons. A preuve l’avalanche de films et de séries qui jouent sur cette carte. De «Alerte Contagion» à «Epidémie» en passant par «Cordon». TF1 a fait très fort – quelle prémonition! – en programmant le 9 janvier 2020 un film en 6 épisodes intitulé «Peur sur le lac»: on y raconte comment Annecy fait face à un virus qu’une main criminelle a fait échapper d’un laboratoire suisse!

Des chercheurs californiens ont établi que l’hormone du plaisir, la dopamine, est aussi celle de la peur et agit aussi dans ce recoin du cerveau, le noyau accumbens, où se brassent les émotions. Les exhibitionnistes de l’exploit périlleux jouent sur la même carte. Les dames qui fouettent soumis et soumises ont aussi compris la combine. Mais pas qu’elles!

Les médias raffolent de ces nouvelles inquiétantes, surtout lorsqu’elles ne viennent pas du bout du monde, mais lorsqu’elles produisent des effets immédiats. Là, on est servi. C’est à qui titrera le plus fort. Plus besoin de se creuser la tête pour trouver des sujets. Il suffit d’en rajouter une couche. 

Lorsque le Conseil fédéral prend une décision, c’est généralement pour demain, après-demain, après palabres et consultations. En l’occurence, ce fut boum: toutes les manifestations avec plus de 1000 personnes sont interdites «dès aujourd’hui à 10 heures». Le ministre Berset avait la mâchoire martiale. Et l’argumentation bétonnée. Pas forcément convaincante pour les mauvais esprits cependant. Pour s’infecter, nous dit-on, il faut passer un quart d’heure à moins de deux mètres d’un porteur du virus, ce qui exclurait les gares et les supermarchés des zones à risques. Et dans les trains? Et dans les classes, dans les aulas surchargées? N’y passe-t-on pas beaucoup de temps les uns contre les autres? Faudrait-il tout arrêter? Tous se barricader? Et cette fameuse «chaîne de l’infection» à savoir connaître qui a crachoté sur qui, à quel moment, à quel endroit, pardon, mais qui peut y croire quand le virus se balade partout, tranquillement, sans pièce d’identité? On n’en voudra pas au docteur Berset. Son message politique, il l’a précisé, c’est d’abord de montrer au peuple que son gouvernement prend la chose au sérieux. Merci.


Lire aussi: La puissante lettre d’un directeur de lycée milanais à ses élèves


Personne, pour l’instant, n’a le fin mot de l’histoire. Mais avant de décréter qu’elle change le visage de l’humanité, qu’elle va ruiner l’économie à long terme, qu’elle va ajouter un chapitre à la liste des autres catastrophes planétaires annoncées, avant de plonger un peu plus dans le collapse universel, qu’il nous soit permis, humblement, de rappeler des chiffres. Dans plus de 80 % des cas, les personnes atteintes s’en tirent sans mal, d’autres doivent être aidées, mais le taux de mortalité reste entre 0,5 et 2 %. Proche de celui de la grippe habituelle qui fait des centaines de morts chaque année en Suisse et qui cependant n’affole plus personne. Bien que ces temps-ci, on entende moins les adversaires de la vaccination! 

On doit certes avoir une pensée pour les médecins débordés, les hôpitaux surchargés et faire le nécessaire. Mais la panique, non! Et l’on peut aussi avoir un sourire en coin à l’idée des profits en vue. Les boursicoteurs achèteront à meilleure compte les actions effondrées sous le coup de l’émotion momentanée. Les pharmas concoctent déjà des vaccins adaptés. Les politiques montrent qu’ils sont là et bien là. L’empereur de Chine renforce son pouvoir sur ses provinces et comme il voit à long terme, il sait que son emprise sur le monde ne souffrira guère de ces méchants éternuements. 

Quant à ceux qui ont pris un plaisir inavoué à cette excitation soudaine, à ces retrouvailles avec les peurs ancestrales, qu’ils ne craignent pas trop l’essoufflement éventuel du virus diabolique. Des émotions fortes, le cirque politico-scientifico-médiatique leur en servira de nouvelles. Puisque nous aimons ça

Et quand le spectacle aura traîné en longueur, il sera temps d’ouvrir les yeux sur d’autres réalités, bien plus meurtrières, bien plus scandaleuses, qui font de notre monde un théâtre non pas de trouilles scénarisées mais de tragédies insupportables.


Pas de panique, gardons les yeux ouverts… Nos autres publications sur l’épidémie de coronavirus: 

Coronavirus sur le drapeau chinois, Pékin exige des excuses – Doménica Canchano Warthon

Un impact sous-estimé du coronavirus en Europe – Jonas Follonier

 

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