La liberté à géométrie variable

Publié le 17 décembre 2021
Les contraintes sanitaires n’en finissent pas. Certains s’en offusquent, beaucoup s’offusquent que l’on s’en offusque. On ne va pas ici rouvrir le débat échauffé. Mais s’interroger, un bout plus loin, sur les notions de liberté individuelle et de liberté collective. Bien au-delà de l’actuelle pandémie. Et franchement, cela donne le vertige.

Dans une interview à l’excellent mensuel Le Regard libre, le médecin et théologien Bertrand Kiefer, rédacteur en chef de la Revue médicale suisse, répète son credo: «Banaliser cette pandémie serait une régression pour l’humanité». Et justifie toutes les mesures restrictives… en banalisant celles-ci. Mais en conclusion, il élargit le propos avec une grande intelligence. A bien lire.

«Le concept même de liberté doit être repensé dans le cadre de la mondialisation biologique et environnementale qui est la nôtre. La liberté prise comme la possibilité de faire ce que je veux tant que je n’empiète pas sur la liberté des autres est trop incomplète pour être viable. Il faut que que l’on rediscute collectivement de ce que l’on entend par liberté dans des démocraties évoluées, en lien avec la notion de solidarité et avec de nouveaux enjeux. Ce n’est pas très clair dans l’esprit des gens…»

Tout cela est aimablement dit. Mais amène la question de savoir qui définira les contours des libertés réinventées? Bertrand Kiefer est l’un des six scientifiques qui imploraient récemment un tribunal d’acquitter des activistes du climat pour l’occupation d’une banque. Pour ces sages autoproclamés, il fallait mettre la loi entre parenthèses au nom de la grande cause des accusés. Ainsi donc, selon ce vœu, demain ce seront les tout-sachants qui diront le droit et non plus les élus du peuple? Qui dessineront les nouveaux contours de la démocratie?

Le Conseil d’Etat français, gardien suprême de la Constitution, a déclaré ceci: «Sur les six dernières années, la France en aura passé la moitié en “état d’urgence” au point que nous pouvons nous demander si nous vivons perpétuellement en crise ou si ce cadre juridique est en voie de devenir un mode de gouvernement banalisé.» Il ajoutait: «On ne peut plus nier les risques induits par un recours trop fréquent aux états d’urgence. Risques, bien sûr, pour les droits et libertés qui se retrouvent parfois considérablement réduits. Mais risques, aussi, pour la santé et la vitalité de notre démocratie, car se placer sous un régime d’exception revient toujours à court-circuiter, au nom de l’urgence et de la nécessité, les canaux démocratiques traditionnels…»

Le philosophe et député européen Les Républicains François-Xavier Bellamy juge quant à lui que «depuis l’apparition du coronavirus, nous sommes passés par bien des expériences inédites, et nous avons vu vaciller la rassurante et illusoire évidence de nos libertés publiques». Propos distingués, mais quels mots trouver pour dire la stupéfaction devant un gouvernement autrichien qui veut punir les non-vaccinés de lourdes amendes et de prison?

Prenant du recul, Bertrand Kiefer, dans la dite interview, s’inquiète également des big data «qui influencent nos manières de penser». Il faut certes en faire un usage très critique et pourfendre leurs dérobades fiscales. Mais qu’est-il suggéré en filigrane? Interdire les Facebook et autres réseaux? Les mettre sous la tutelle «d’en-haut»? Bannir, comme c’est déjà souvent le cas, les opinions dérangeantes? Comme si nos bons vieux médias ne nous manipulaient pas aussi un tantinet… Le rempart aux aberrations, mieux que tous les fact-checking, c’est l’esprit critique. A cultiver.

L’éminent médecin et humaniste genevois est évidemment aussi attaché que nous tous à la démocratie et aux droits de l’homme. Mais la perspective qu’il entrouvre, avec cette idée d’une redéfinition de la liberté n’est guère rassurante.

En Suède, rapporte le site «L’Impertinent», le QR code peut être chargé sur une puce placée sous la peau. Tellement plus pratique. Que pourrait-on y mettre demain quand la pandémie ne sera plus? Nos autres vaccinations? Le permis de conduire? Le permis de séjour? Les précédents pénaux? Cela faciliterait tant la tâche des contrôleurs de tout poil. On pourrait imaginer aussi que des quotas d’émission carbone soient attribués à chacun. Et un QR code pourrait indiquer aussitôt si nous avons trop roulé en voiture et trop voyagé en avion. Mieux vaut éviter le cauchemar en le formulant plutôt qu’en fermant les yeux.

Nos données personnelles sont déjà pillées de partout à travers notre frénésie digitale. A des fins commerciales. A des fins politiques dans plusieurs pays. A commencer par la Chine qui donne le ton et fournit les outils nécessaires. Comme titre le site «Infosperber», citant un éminent spécialiste allemand, «le système du crédit social de la Chine arrive subrepticement chez nous».

Toutes les tragédies du XXème siècle en Europe ont été précédées par des atteintes aux libertés, chaque fois justifiées par les pouvoirs au nom du bien commun… qui tourna à l’abomination. Comparaison n’est pas raison, mais voilà qui devrait… nous vacciner. Et nous prémunir contre la notion de liberté à géométrie variable.


Le patron de Swiss Medical Network banni par LinkedIn

Antoine Hubert, administrateur du groupe médical largement implanté en Suisse, a été surpris d’apprendre que son compte sur le réseau social LinkedIn a été fermé. Sa page était vue par 60’000 personnes. Il y faisait des commentaires personnels et répercutait des liens jugés intéressants. Problème: il a osé critiquer, en termes d’ailleurs modérés, la politique sanitaire des autorités suisses. Il n’est nullement «complotiste» ou «antivax», nous assure-t-il, prônant cependant la liberté individuelle dans le choix de se faire vacciner ou pas. Il pense que les discours alarmistes font plus de mal que de bien. Par ailleurs, il estime que le discours sur la surcharge des hôpitaux ne correspond ni aux chiffres officiels sur la question, ni au fait qu’il constate: à la différence de certains moments de l’an passé, le CHUV n’envoie aucun malade du Covid dans ses cliniques pourtant prêtes à en accueillir. Quand un cas se présente dans la phase initiale, le patient reçoit aussitôt divers traitements pour tenter d’éviter le passage aux soins intensifs. Selon lui, ses médecins assurent que la situation actuelle n’a pas de quoi faire paniquer. Le climat anxiogène entretenu par certains patrons d’établissements pèse lourd sur le moral des soignants. Le boss, depuis quinze ans dans la branche, se souvient que, même sans Covid, lors des mois de novembre et décembre les hôpitaux et cliniques sont traditionnellement très sollicités. Notamment, pour des opérations non urgentes, en raison de l’échéance des franchises. «Des hôpitaux surchargés, on en a connu par moments depuis des années!»

Pourquoi de tels propos valent-ils d’être bannis de LinkedIn? Mystère. La communication qui lui a été faite sur la fermeture de son compte, sous forme d’un message automatique, ne le précise pas. Antoine Hubert suppose que les réactions négatives qu’il a pu recevoir ont été repérées par les algorithmes et ont conduit à cette décision, probablement sans analyse humaine. «Et impossible d’en savoir plus, LinkedIn n’est pas joignable par téléphone!», remarque-t-il. 

Ce réseau de communication professionnel, basé en Californie, propriété de Microsoft, compte 660 millions d’utilisateurs, dans 200 pays et 24 langues. Le site suisse «Medinside» qui a publié l’information sur ce blocage constate déjà une foule de réactions, la plupart indignées. «Scandaleux», «pitoyable», «censure», ces mots reviennent souvent. Cette plateforme médicale rappelle que les conditions générales d’utilisation de LinkedIn stipulent: «aucun contenu ne peut être diffusé s’il est en contradiction directe avec les conseils des principales organisations mondiales de la santé et des autorités sanitaires».

Antoine Hubert va donc faire recours contre cette décision selon la voie prévue à cet effet. Espérant qu’après un examen plus attentif, la mesure sera levée. Et que ses lecteurs pourront bientôt le retrouver en ligne. A suivre.


 

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