Publié le 13 septembre 2024
S’il y a une partie du monde où le romantisme révolutionnaire a enflammé bien des cœurs, c’est l’Amérique latine. C’en est fini. A part quelques groupuscules, plus personne n’entonne les envolées à la mode Fidel d’autrefois. Après tant de déconvenues et de drames, tant de dictatures militaires et leurs difficiles sorties, Cuba et le Venezuela, aujourd’hui, finissent d’enterrer les illusions du passé.

Accablés par les difficultés du quotidien, les Cubains ne manifestent même plus comme ils le firent ce printemps. Ceux qui ne peuvent pas, ou pas encore, quitter l’île se résignent dans une immense lassitude. Ils disent leur ras-le-bol sur Tiktok. Où le président Díaz-Canel tente de les rassurer, sur le ton d’un gentil instituteur, annonçant quelques mesures terre-à-terre pour réanimer un système à bout de souffle. Des équipements publics en rade faute d’investissements, une agriculture hier tournée vers la culture de la canne à sucre et du tabac qui ne parvient pas à se reconvertir, un secteur du tourisme en baisse… Et aucune perspective politique d’avenir ne se dessine. En dépit d’une liberté de parole étonnante et peu de répression policière.

Au Venezuela, les conditions de vie sont bien meilleures mais là aussi, les équipements publics et surtout l’appareil de production pétrolière ont été négligés depuis de nombreuses années. Les inégalités sociales sont devenues criantes. D’un côté la nouvelle bourgeoisie du régime qui palpe les retombées de l’or noir, bien que celles-ci aient drastiquement chuté. De l’autre une classe moyenne essorée par l’inflation. En 2023, elle s’est «stabilisée» à hauteur de 185%! Bientôt pire que l’Argentine. Quant aux démunis (80% de la population en situation de pauvreté), ils se débrouillent comme ils peuvent, se livrent à mille petits et grands trafics.

Un chiffre parle: ces dernières années, selon le HCR 7,7 millions de personnes ont quitté le Venezuela (28 millions d’habitants aujourd’hui). En grand nombre vers la Colombie où ils refont leur vie dans des conditions pourtant difficiles. Beaucoup sont aussi parvenues aux Etats-Unis qui compte déjà une communauté vénézuélienne de plus d’un demi-million d’habitants. Ces émigrés ont été empêchés de participer à la récente élection.

Pas étonnant donc que l’opposition à Maduro qui sollicitait un troisième mandat ait été massive. Expliquer cette vague par les intrigues des Etats-Unis – bien réelles! – ou par l’effervescence des réseaux sociaux, c’est nier la réalité profonde d’un régime lui aussi à bout de souffle. Que les élections aient été truquées, personne n’en doute dans le continent à part les autorités de Cuba et du Nicaragua, du moins dans leurs discours. L’OELA (Organisation des Etats d’Amérique latine), réunion de 34 pays aux orientations politiques fort diverses, réclame que la lumière soit enfin faite sur les résultats au niveau de chaque bureau de vote et surtout que les droits démocratiques s’appliquent aux opposants. Or Maduro, le président autoproclamé, a fait arrêter des milliers de manifestants dans les jours suivant le scrutin contesté.

Le candidat de l’opposition écarté, un vieux monsieur fort modéré, Edmundo González Urrutia, a été soumis à toutes sortes de pressions, menacé de poursuites pénales pour «appel à la rébellion». Il vient de trouver refuge en Espagne. Ce qui a fâché le président du Parlement, proche du président: il réclame la rupture de toutes les relations avec ce pays. Quant à Maduro, pour calmer le jeu, il n’a rien trouvé de mieux que de décréter le début des festivités de Noël dès le mois d’octobre! Le discrédit de ce personnage est général dans toute l’Amérique latine où d’ailleurs il ne se déplace plus.

Quant aux Etats-Unis, ils haussent le ton et rétablissent des sanctions anciennes, dans le domaine pétrolier, qui avaient été allégées en novembre 2023. Plus grave, le Trésor américain menace de poursuivre les banques internationales qui poursuivent leurs activités avec le Venezuela. Comme il l’a fait pour Cuba.

Il apparaît cependant que Washington n’a pas l’intention de «mettre le paquet». Ce que lui reproche d’ailleurs la réelle leader de l’opposition, María Corina Machado, qui s’exprime dans la clandestinité. Pourquoi cette réserve? Si le régime Maduro devait tomber, ce ne serait pas sans troubles et affrontements. Or la grande crainte des deux partis en lice pour les prochaines élections, c’est l’afflux de demandeurs d’asile. On préfère donc, tout en disant le contraire, la stabilité d’un système autoritaire.

L’influence américaine dans le sous-continent n’est plus ce qu’elle fut. Mais Maduro s’accrochera longtemps à son pouvoir usurpé.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Accès libre

Superintelligence américaine contre intelligence pratique chinoise

Alors que les États-Unis investissent des centaines de milliards dans une hypothétique superintelligence, la Chine avance pas à pas avec des applications concrètes et bon marché. Deux stratégies opposées qui pourraient décider de la domination mondiale dans l’intelligence artificielle.

Une société de privilèges n’est pas une société démocratique

Si nous bénéficions toutes et tous de privilèges, ceux-ci sont souvent masqués, voir niés. Dans son livre «Privilèges – Ce qu’il nous reste à abolir», la philosophe française Alice de Rochechouart démontre les mécanismes qui font que nos institutions ne sont pas neutres et que nos sociétés sont inégalitaires. Elle (...)

Patrick Morier-Genoud

Sorj Chalandon compatit avec les sinistrés du cœur

Après «L’enragé» et son mémorable aperçu de l’enfance vilipendée et punie, l’écrivain, ex grand reporter de Libé et forte plume du «Canard enchaîné», déploie une nouvelle chronique, à résonances personnelles, dont le protagoniste, après la rude école de la rue, partage les luttes des militants de la gauche extrême. Scénar (...)

Jean-Louis Kuffer

Coulisses et conséquences de l’agression israélienne à Doha

L’attaque contre le Qatar du 9 septembre est le cinquième acte de guerre d’Israël contre un Etat souverain en deux ans. Mais celui-ci est différent, car l’émirat est un partenaire ami de l’Occident. Et rien n’exclut que les Américains aient participé à son orchestration. Quant au droit international, même le (...)

Jean-Daniel Ruch

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet
Accès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan
Accès libre

L’individualisme, fondement démocratique, selon Tocqueville

Notre démocratie est en crise, comment la réinventer? Que nous enseignent ceux qui, au cours des âges, furent ses concepteurs? Pour le penseur français Alexis de Tocqueville (1805-1859), l’individualisme et l’égalisation des conditions de vie sont deux piliers essentiels de la démocratie.

Bon pour la tête
Accès libre

La politique étrangère hongroise à la croisée des chemins

Pour la première fois en 15 ans, Viktor Orban est confronté à la possibilité de perdre le pouvoir, le parti d’opposition de Peter Magyar étant en tête dans les sondages. Le résultat pourrait remodeler la politique étrangère de la Hongrie, avec des implications directes pour l’Union européenne.

Bon pour la tête

Ukraine: le silence des armes n’est plus impossible

Bien qu’elles soient niées un peu partout en Occident, des avancées considérables vers une résolution du conflit russo-ukrainien ont eu lieu en Alaska et à Washington ces derniers jours. Le sort de la paix dépend désormais de la capacité de l’Ukraine et des Européens à abandonner leurs illusions jusqu’au-boutistes. Mais (...)

Guy Mettan

Droits de douane américains: une diplomatie de carnotzet et de youtse

Le déplacement de Karin Keller-Sutter et de Guy Parmelin aux Etats-Unis, pour tenter d’infléchir la décision d’une taxe supplémentaire de 39 % pour les exportations suisses, a été un aller-retour aussi furtif qu’inutile, la honte en rabe. L’image de nos représentants à Washington, l’air perdu, penauds et bafouillants, fixe définitivement (...)

Jamal Reddani
Accès libre

Les fonds cachés de l’extrémisme religieux et politique dans les Balkans

L’extrémisme violent dans les Balkans, qui menace la stabilité régionale et au-delà, n’est pas qu’idéologique. Il sert à générer des profits et est alimenté par des réseaux financiers complexes qui opèrent sous le couvert d’associations de football, d’organisations humanitaires et de sociétés actives dans la construction, l’hôtellerie ou le sport. (...)

Bon pour la tête

Les empires sont mortels. Celui de Trump aussi

Dans mon précédent papier, j’ai tenté de montrer comment la république impériale américaine (selon le titre d’un livre de Raymond Aron publié en 1973 déjà!) était en train de se transformer en empire autoritaire et velléitaire sous la férule Sa Majesté Trump 1er. Bonne nouvelle: les empires sont mortels et (...)

Guy Mettan

La stratégie du chaos

L’horreur du massacre des Gazaouis soulève de plus en plus d’émotion dans le monde, sinon des réactions et des sanctions gouvernementales à la mesure de ce fait historique. Cela ne doit pas nous empêcher de nous interroger froidement sur ce que veulent Israël et son allié américain au Moyen-Orient. Une (...)

Jacques Pilet
Politique

France-Allemagne: couple en crise

De beaux discours sur leur amitié fondatrice, il y en eut tant et tant. Le rituel se poursuit. Mais en réalité la relation grince depuis des années. Et aujourd’hui, l’ego claironnant des deux dirigeants n’aide pas. En dépit de leurs discours, Friedrich Merz et Emmanuel Macron ne renforcent pas l’Europe.

Jacques Pilet