La défense suisse plus portée sur la mythologie que sur l’efficacité

Publié le 11 septembre 2020

Le modèle des éventuels futurs avions de combat n’est pas soumis au vote, mais le constructeur américain Boeing est parmi les favoris. Ici, un Boeing F/A-18E Super Hornet de l’armée américaine décolle depuis une base de Hawaï. – © Cole Pielop

Ainsi donc les chasseurs-bombardiers dernier cri nous protégeraient. C’est une farce coûteuse: d’abord six milliards, une vingtaine en comptant les frais d’exploitation. La probabilité d’une guerre classique, d’une attaque aérienne (russe? chinoise?) est nulle. Et comme le dit bien le Vert Brélaz, si des jets hostiles atteignaient la Suisse, cela veut dire que ceux de l’OTAN ne les auraient pas arrêtés. Nous serions seuls pour sauver l’Europe? On est dans un Wargame invraisemblable. En attendant, notre défense est totalement démunie face à des scénarios beaucoup plus plausibles: les agressions cybernétiques et biologiques, les drones et autres mini-engins contre lesquels les avions prévus ne peuvent rien. La mythologie historique nous égare.

La police du ciel? Pas si importante si l’on songe que jusqu’à très récemment l’aviation militaire helvétique n’opérait que pendant les heures de bureau. Lorsqu’un aéronef s’égarait hors de sa route et hors du temps administratif — c’est arrivé (rarement) —, il fallut l’aide des Italiens et des Français pour les guider vers Cointrin… Des appareils beaucoup moins coûteux suffiraient à cette mission.

Ceux que souhaitent l’état-major sont en revanche des machines conçues pour une guerre à l’échelle européenne, capables d’aller bombarder à des centaines de kilomètres de nos frontières. Il s’agirait simplement de s’intégrer au dispositif de l’OTAN. Si c’est un modèle américain qui est choisi — fort vraisemblable — toutes ces opérations seront automatiquement connectées aux systèmes du Pentagone, soumises de fait à son approbation selon des critères politiques élargis, définis par les Etats-Unis. Ce qui ne fait pas broncher nos vaillants défenseurs de la neutralité! 


Lire aussi: Comment les Américains inspectent l’armée suisse


En réalité, l’insistance en faveur de cet achat résulte d’un double et puissant lobbying économique. Celui des constructeurs, à cet égard les Américains sont particulièrement efficaces, et celui des sous-traitants suisses à qui est réservé une part du gâteau, plus d’un milliard de francs. Un plan de relance qui ne dit pas son nom.

Mais voilà, selon les sondages, le crédit sera accepté. C’est si rassurant d’entendre les machines volantes vrombrir dans le ciel les jours de parade!

Quant aux lacunes de la défense actuelle, on ne les évoque pas trop. On préfère d’autres sujets de peur. Et pourtant… la liste des pannes est longue. En janvier 2016, des pirates informatiques — qui n’ont jamais été identifiés — ont eu accès à tout le système de l’usine d’armement de la Confédération Ruag. Le département de la défense n’a encore élaboré aucun plan sérieux pour se prémunir contre de telles agressions. Il faut dire que tout ce pan de l’administration — comme d’autres… — patauge dans sa gestion informatique. La NZZ vient de révéler un rapport secret qui rapporte l’inefficacité et le manque de sécurité du système. Il faudra des années et des sommes considérables pour y remédier. En tout cas, rien n’ira mieux avant 2026. 

Piquante et révélatrice anecdote: lors du dernier sommet de Davos, en janvier, les avions chargés de surveiller le lieu n’ont pas pu décoller pendant plusieurs heures en raison d’une panne… de Swisscom. Les pilotes ont apparemment besoin de ce réseau fort vulnérable pour opérer!

On pourrait allonger la liste des mésaventures de ce ministère. N’en ajoutons qu’une: le gros drone israélien prévu pour surveiller les frontières, commandé il y a cinq ans, qui reste au hangar tant ses défauts sont nombreux. Même pas de dispositif contre le givrage!

Le plus inquiétant est ailleurs. La cheffe du département, aussi sympathique soit-elle, semble suivre aveuglément les dires de ses «généraux». Ceux-ci n’ont manifestement pas totalement intégré les nouveaux visages des conflits d’aujourd’hui. Une fois de plus en retard d’une guerre. En 1914, il fallut une collecte de la Société suisse des officiers pour acheter les premiers avions qui alors n’intéressaient pas le gouvernement. A l’approche de la Seconde guerre mondiale, l’état-major encore obsédé par la première, dut en hâte se procurer quelques Messerschmitt allemands… qui, après quelques brefs escarmouches, sur pression diplomatique hitlérienne, durent rester au sol.

Hé! Ho! chère Viola Amherd, il vous faut lire davantage les revues militaires internationales. Les conseils de l’aimable Claude Nicollier, nostalgique de ses vols sur les Alpes et dans l’espace, ne suffisent pas. Ceux de vos stratèges bureaucrates et des lobbyistes de tout poil non plus. Le XXIème siècle réinvente constamment la guerre.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

SantéAccès libre

PFAS: la Confédération coupe dans la recherche au moment le plus critique

Malgré des premiers résultats alarmants sur l’exposition de la population aux substances chimiques éternelles, le Conseil fédéral a interrompu en secret les travaux préparatoires d’une étude nationale sur la santé. Une décision dictée par les économies budgétaires — au risque de laisser la Suisse dans l’angle mort scientifique.

Pascal Sigg
Politique

La neutralité fantôme de la Suisse

En 1996, la Suisse signait avec l’OTAN le Partenariat pour la paix, en infraction à sa Constitution: ni le Parlement ni le peuple ne furent consultés! Ce document, mensongèrement présenté comme une simple «offre politique», impose à notre pays des obligations militaires et diplomatiques le contraignant à aligner sa politique (...)

Arnaud Dotézac
Politique

Honte aux haineux

Sept enfants de Gaza grièvement blessés sont soignés en Suisse. Mais leur arrivée a déclenché une tempête politique: plusieurs cantons alémaniques ont refusé de les accueillir, cédant à la peur et à des préjugés indignes d’un pays qui se veut humanitaire.

Jacques Pilet
Economie

Le secret bancaire, un mythe helvétique

Le secret bancaire a longtemps été l’un des piliers de l’économie suisse, au point de devenir partie intégrante de l’identité du pays. Histoire de cette institution helvétique, qui vaut son pesant d’or.

Martin Bernard
Sciences & Technologies

Des risques structurels liés à l’e-ID incompatibles avec des promesses de sécurité

La Confédération propose des conditions d’utilisation de l’application Swiyu liée à l’e-ID qui semblent éloignées des promesses d’«exigences les plus élevées en matière de sécurité, de protection des données et de fiabilité» avancées par l’Administration fédérale.

Solange Ghernaouti
Politique

Les poisons qui minent la démocratie

L’actuel chaos politique français donne un triste aperçu des maux qui menacent la démocratie: querelles partisanes, déconnexion avec les citoyens, manque de réflexion et de courage, stratégies de diversion, tensions… Il est prévisible que le trouble débouchera, tôt ou tard, sous une forme ou une autre, vers des pouvoirs autoritaires.

Jacques Pilet
Sciences & Technologies

Identité numérique: souveraineté promise, réalité compromise?

Le 28 septembre 2025, la Suisse a donné – de justesse – son feu vert à la nouvelle identité numérique étatique baptisée «swiyu». Présentée par le Conseil fédéral comme garantissant la souveraineté des données, cette e-ID suscite pourtant de vives inquiétudes et laisse planner la crainte de copinages et pots (...)

Lena Rey
Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin
Politique

A confondre le verbe et l’action, on risque de se planter

De tout temps, dans la galerie des puissants, il y eut les taiseux obstinés et les bavards virevoltants. Donald Trump fait mieux. Il se veut le sorcier qui touille dans la marmite brûlante de ses colères et de ses désirs. Il en jaillit toutes sortes de bizarreries. L’occasion de s’interroger: (...)

Jacques Pilet
Philosophie

Notre dernière édition avant la fusion

Dès le vendredi 3 octobre, vous retrouverez les articles de «Bon pour la tête» sur un nouveau site que nous créons avec nos amis d’«Antithèse». Un nouveau site et de nouveaux contenus mais toujours la même foi dans le débat d’idées, l’indépendance d’esprit, la liberté de penser.

Bon pour la tête
Culture

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet
Politique

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet
Economie

Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables

En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir (...)

Patrick Morier-Genoud
PolitiqueAccès libre

PFAS: un risque invisible que la Suisse préfère ignorer

Malgré la présence avérée de substances chimiques éternelles dans les sols, l’eau, la nourriture et le sang de la population, Berne renonce à une étude nationale et reporte l’adoption de mesures contraignantes. Un choix politique qui privilégie l’économie à court terme au détriment de la santé publique.

Politique

L’identité numérique, miracle ou mirage?

Le 28 septembre, les Suisses se prononceront à nouveau sur l’identité numérique (e-ID). Cette fois, le Conseil fédéral revient avec une version révisée, baptisée «swiyu», présentée comme une solution étatique garantissant la souveraineté des données. Mais ce projet, déjà bien avancé, suscite des inquiétudes quant à son coût, sa gestion, (...)

Anne Voeffray