La défaite des va-t-en-guerre

Publié le 23 juillet 2019

Zelensky est porteur d’espoir. Mais il a tout à prouver. – © Wikimédia

Le président de l’Ukraine mis en place après la révolte de Maidan, il y a cinq ans, le chouchou des Européens et des Américains, a subi une déculottée mémorable aux élections présidentielles. Et ce dimanche, aux élections parlementaires, son parti a recueilli 8,9 % des voix. L’Ouest a trop longtemps misé sur le mauvais cheval. Un oligarque corrompu, obsédé par l’affrontement à la Russie et par sa volonté d’imposer la langue ukrainienne jusque chez ses concitoyens russophones. D’où l’embarras des chancelleries et la retenue des médias suivistes. Il y aurait pourtant bien des raisons de saluer l’émergence du jeune président Volodymyr Zelensky. Jamais depuis l’indépendance de ce malheureux pays les chances n’ont été aussi grandes d’un apaisement de ses divisions et d’un assainissement de sa société. Rien n’est gagné, mais l’espoir est permis.

Il n’y a pas de doute sur la volonté qui s’est massivement exprimée lors de cette dernière consultation: les Ukrainiens ne veulent plus d’un régime corrompu, ils ne veulent plus des va-t-en-guerre et d’un nationalisme culturel exacerbé. On ne voit pas bien encore le cap de l’habile acteur promu président. Conscient des rapports de force, de la dépendance économique, il a d’emblée adressé des signes amicaux aux Européens. Il ne veut surtout pas passer pour un pro-Poutine. Mais il se pose en homme de dialogue. En montrant une ouverture face aux dirigeants séparatistes et face au Kremlin.

Tout indique qu’il est en rupture avec le régime précédent. Par sa personnalité même. Il est de langue maternelle russe bien qu’il parle fort bien l’ukrainien. Et, de surcroît, d’origine juive. De quoi faire hurler les hyper-nationalistes de l’ouest du pays qui se sont illustrés dans le passé par leur alliance avec les nazis et par leurs épurations ethniques. Les héros de cette mouvance, Bandera et compagnie, étaient encore célébrés par les amis de Porochenko. Fait remarquable: même dans ces bastions du nationalisme, le parti de Zelensky s’est approché, sans l’atteindre, de la majorité des voix. L’est du pays en revanche l’a plébiscité et soutenu aussi une formation dite d’opposition franchement pro-russe (11,4% au niveau national).

Avec un parlementaire sur deux de son bord, le président n’aura pas besoin de s’allier durablement avec les pro-Occidentaux ni avec les pro-Russes. Mais sa tâche sera immense. En finir avec la guerre larvée qui dure depuis cinq ans (13’000 morts!) restera longtemps un casse-tête. Détendre les relations avec la Russie sans heurter l’Union européenne sera non moins difficile. Pari historique d’un pays depuis toujours déchiré entre l’est et l’ouest, submergé de part et d’autre par les influences étrangères.

La Crimée? Zelensky en parlera le moins possible. Comme la majorité des Ukrainiens,comme la plupart des Occidentaux bien qu’ils ne le disent pas, il sait que cette péninsule sur la Mer noire est une partie de la Russie, certes attribuée administrativement à l’Ukraine en 1954, mais restée profondément russe. On se souvient du sommet de Yalta où Staline discuta avec les alliés occidentaux de l’après-nazisme. Il n’y a pas de retour en arrière imaginable pour la Crimée.

Le défi vital est ailleurs. L’Ukraine doit reconstruire son économie. Donner enfin de l’espoir à toute une génération qui aujourd’hui ne songe qu’à émigrer. Une génération qui sera largement représentée au nouveau Parlement. Le pays a un potentiel considérable. Dans l’agriculture d’abord (il exporte d’ores et déjà plus qu’il n’importe). Dans les industries nouvelles grâce à un niveau de formation élevé chez les jeunes. Mais qui investira? Et à quelles conditions? On en revient au choix fondamental. L’Ukraine est-elle condamnée à rester un champ d’affrontements entre l‘est et l’ouest ou peut-elle espérer devenir un terrain de rencontre entre Europe et Russie?

Zelensky est porteur d’espoir. Mais il a tout à prouver. Il devra notamment démontrer l’indépendance qu’il revendique d’avec son mentor, l’oligarque, juif lui aussi, Ihor Kolomoïski.  C’est sa télévision qui a propulsé l’acteur quadragénaire au pouvoir avec la série Serviteur du peuple, dont le titre sert aussi d’appellation à son parti. Cet homme d’affaires richissime – avec un pied à Genève – voudra tirer toutes les ficelles? Comme l’a fait notre oligarque à nous, le patron du premier parti de Suisse qui arrose la vie politique en toute opacité, achète des journaux et possède sa chaîne de TV online? Bon, comparaison n’est pas raison. La télé du magnat ukrainien bat des records d’audience, la parlotte de Teleblocher ronronne dans l’indifférence.

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