L’énergie, nerf de la guerre – seconde partie

Publié le 15 septembre 2023

La centrale thermique au charbon de Taichung (Taiwan), l’une des plus puissantes au monde. – © Ellery – CC BY-SA 3.0

Dans mon dernier article, j’avais montré comment les BRICS élargis constituaient la plus grande coalition intégrée de producteurs d’énergie primaire, essentiellement d’origine fossile, et de consommateurs finaux avec les gigantesques marchés chinois et indien. Et alors? direz-vous. Que nous importe cette vision du passé, puisque nous, les Occidentaux, nous misons sur les énergies du futur, l’électricité, le renouvelable solaire et éolien, l’hydrogène, et qu’une fois la transition passée, une avenir énergétique brillant, respectueux de l’environnement, économe en ressources et climatiquement neutre, s’offre à nous.

Lire aussi: L’énergie, nerf de la guerre


C’est vrai que de nombreux scénarios de l’Agence internationale de l’énergie tendent à accréditer cette thèse. Certains résultats statistiques aussi, qui montrent une amélioration constante de l’efficacité énergétique (à PNB égal, le volume d’énergie consommée diminue) et un boom de la production des énergies renouvelables notamment en Europe.

Mais ces chiffres sont trompeurs. Les scénarios ne disent que ce qu’on veut leur faire dire, dans la mesure où le choix des données initiales conditionne les résultats. Et ces derniers sont contradictoires quand on les regarde de près.

Tout d’abord, tous s’accordent à dire que la consommation globale d’énergie continuera à augmenter d’ici 2050, à 700 QBtu au minimum (dans le jargon, quadrillion d’unités thermales britanniques) contre 600 aujourd’hui. Il faudra bien approvisionner les économies en développement et les industries du numérique gourmandes en électricité.

Or les quatre-cinquièmes de la production d’énergie proviennent du charbon, du pétrole, du gaz et du nucléaire. Même si la part d’énergie primaire issue du renouvelable augmente, il est illusoire de penser que celui-ci pourra se substituer aux autres sources. La part du renouvelable pourra tout au plus compenser l’augmentation de la consommation d’énergie globale, mais pas mettre fin à l’utilisation du pétrole, du gaz et du charbon tant qu’il y en aura. Dans l’histoire humaine, on n’a d’ailleurs jamais vu une source d’énergie se substituer à une autre. Elles s’additionnent les unes aux autres. Même le bois reste une source d’énergie importante dans certains pays.

Par ailleurs, si l’on considère la production d’électricité, très en vogue aujourd’hui à cause des voitures électriques et du narratif climatique, on constate qu’en 2022, 85% de l’électricité mondiale provenait de ressources non renouvelables: charbon 35%, gaz 23%, nucléaire 10% et hydro 15%, l’éolien, le solaire ou la biomasse en constituant à peine 15% à eux trois. Le basculement vers le tout-électrique ne va pas résoudre le problème des sources de production d’électricité de sitôt, quels que soient les investissements consentis dans le renouvelable. Certains scénarios ne prévoient d’ailleurs même pas de diminution des sources d’énergie fossile dans la production électrique de 2050.

C’est pourquoi les pays du sud global se distancient de plus en plus des objectifs climatiques et du tout-électrique renouvelable, qu’ils voient de plus en plus comme des mesures et des attrape-nigauds technologiques visant à limiter et à contrôler leur développement économique sous prétexte de lutte contre le réchauffement. Il y a donc très, très peu de chances pour que les objectifs climatiques soient atteints et pour que la transition vers des sources énergétiques uniquement vertes se fasse uniformément sur toute la planète. 

Loin de s’apaiser, la bataille pour l’énergie ne fait que redoubler.

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