L’autocritique des laboratoires médiatiques n’a pas lieu

Publié le 4 juin 2021

L’Institut de virologie de Wuhan. – Capture d’écran streetview sur Baidu.

Naguère ils ricanaient, désormais ils refusent de reconnaître qu’ils s’étaient trompés. Beaucoup de nos médias mainstream – comprenons par là ceux qui suivent l’opinion dominante en toutes circonstances, que ce soit dans le choix des sujets comme dans le traitement qu’ils en font – avaient balayé d’emblée l’hypothèse d’une fuite de laboratoire comme origine du SARS-CoV-2 quand l’idée était défendue en 2020. La raison? Cette thèse était portée par des instances jugées infréquentables. Aujourd’hui, il est à nouveau permis de considérer cette piste comme crédible. Selon le monde scientifique, elle est même de plus en plus probable. Or, comme souvent, le mea culpa médiatique n’a pas lieu.

Voilà le visage par excellence d’une bien-pensance bien ancrée. Depuis les déclarations de l’OMS en mars dernier au sujet d’une enquête en Chine sur les origines du virus qu’elle juge «insatisfaisante», et en dépit des différentes études et prises de position du monde scientifique ces derniers mois rendant de plus en plus crédible l’hypothèse d’une fuite de labo comme origine du SARS-CoV-2, aucun des nombreux grands médias à avoir toujours présenté cette thèse comme complotiste et ridicule n’avoue l’avoir balayée d’un revers de main trop brusque et trop hautain il y a un an.

Pire, ils ont mis le temps pour parler de cette hypothèse qui, au sein du monde scientifique, est redevenue crédible. Il y a pourtant eu du lourd concernant cette potentielle fuite: accumulation d’indices portant sur l’historique des fameux labos de Wuhan, découverte de nouveaux mensonges de la part de la Chine… Une remarquable synthèse a été réalisée par Le Figaro, sauf erreur le premier journal important à le faire, ayant inspiré une interview à votre serviteur pour le média watson avec le virologue français Bruno Canard, spécialiste des coronavirus. Encore maintenant, les médias en question peinent à dévier de leur ligne «le virus a été transmis par un animal», s’empressant d’affirmer que la thèse du labo ne fait pas consensus – ont-ils seulement envisagé de le dire pour la thèse de la transmission animale?

Distinguer les bonnes questions des mauvaises réponses

Heidi.news a publié récemment un article sur le sujet, avec pour volonté de montrer que ce n’était pas le contenu lui-même de la thèse du labo qui, il y a un an, faisait d’elle une thèse complotiste, mais la prétention de ses défenseurs de savoir que c’était la bonne thèse, avec en plus pas beaucoup de raisons rationnelles de le penser – les scientifiques, eux, recherchent la vérité au moyen de la réfutabilité. Tout cela est bel et bon. Rien dans cet article n’est erroné. Ce qui est dommage, c’est que certaines choses ne soient pas dites, celles qui précisément nous intéressent ici: les complotistes (il y en a évidemment!) n’étaient pas les seuls à défendre cette thèse. Plus important encore, les articles et déclarations sur une fuite de labo consistaient bien souvent en l’affirmation d’une possibilité plus que d’une affirmation en mode «c’est le cas».

Cette petite chronique de l’éditeur Pierre-Marcel Favre publiée dans Le Matin Dimanche en mars 2020 a valeur d’exemple: «Coronavirus, l’origine d’une pandémie». L’auteur de ce billet n’y faisait que poser une question («Y a-t-il un rapport entre le laboratoire P4 de Wuhan, ou son alimentation, et le départ de ce malheureux virus?») et relayer des informations sur ce labo qui étaient autant de raisons de tenir cette question pour légitime. Mais gare à ses doigts! Pierre-Marcel Favre se les est fait taper bien fort, recevant une collection de messages hostiles. Comment osait-il laisser entendre que la piste chinoise devait être investiguée? Trump avait, dans la précipitation, et avec Fox News pour soutien médiatique, accusé les Chinois. Or, pour certains, Trump ne peut avoir raison, même par hasard. Curieuse façon de concevoir la vérité. Trump, après tout, doit bien penser quelquefois que 2+2=4 et que le feu brûle. Il convient de séparer les bonnes questions de certains de ceux qui les ont posées et de leur façon de le faire.

Se demander pourquoi il a fallu que ce soit un chroniqueur externe et non la rédaction du Matin Dimanche qui s’empare de ce sujet à l’époque et livre des infos au lecteur n’intéresse pas grand monde. Pas plus que la pluie d’insultes reçues par Maxime Chaix, qui animait son site deep-news.media – il a depuis lâché prise – et écrivait sur la fuite possible le 3 avril 2020. Il a quitté carrément le métier. A force d’étendre l’étiquette de «complotiste» à tout individu s’écartant du discours qu’il sied de tenir pour être accepté par le système des bons points, les médias du silence en viennent à créer des injustices tout en camouflant des enjeux qu’ont osé, avec plus ou moins de talent, poser une poignée d’esprits curieux, et en donnant à ceux qui n’étaient pas encore des tarés de conspirationnistes frapadingues l’envie de le devenir.

C’est l’anticomplotiste qui crée le complotiste

C’est l’antisémite qui crée le Juif, estimait Sartre. De manière générale, on peut penser avec Finkielkraut que c’est toujours l’ennemi qui nous désigne. Ainsi en va-t-il désormais du complotisme, une notion fourre-tout utilisée pour discréditer des personnes ou des organismes, puisque dans un monde complexe où les gens – oh! horreur! – ont le droit de s’exprimer et où tous les pouvoirs – y compris le quatrième – perdent de plus en plus la confiance de la population, il est fort utile de séparer le monde entre fréquentables et infréquentables. Pourquoi ne pas plutôt s’interroger sur les raisons de la multiplication des sources d’informations, et de l’augmentation de la méfiance, se muant même en défiance? 

Heureusement, il reste cette étincelle d’espoir qui anime quelques âmes, soucieuses de réconcilier journalisme et réflexion, vérité et doute, respect et critique, officialité et inofficialité, pertinence et impertinence. Toutes ces paires de mots étant des couples souffrant d’être séparés. L’affaire de la fuite de labo comme hypothèse crédible de l’origine du SARS-CoV-2 en est le nouvel exemple. Nous tous nous efforcerons d’en tirer les leçons. En songeant au premier chef à quel point nous avons eu tort de minimiser l’une des thèses sur l’origine du Covid qui s’apprête à prendre des tours géostratégiques dont on peine à imaginer l’ampleur.

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