L’argent et la politique: quelle hypocrisie!

On comprend que les Genevois soient tourneboulés sous l’effet Maudet. Mais là, ils perdent le nord. Le don à M. Dal Busco, transmis d’ailleurs à son parti, ne constitue probablement pas un délit. Mais le bruit fait autour de cette péripétie cache des réalités bien plus importantes. Infiniment plus choquantes. On hurle ici pour un petit geste de sympathie politique et par ailleurs on ne s’offusque nullement de voir, au niveau fédéral, des représentants systématiquement arrosés par des groupes d’intérêts. En toute légalité. Quelle hypocrisie!
Les tumultes de la vertu genevoise cachent le fait que la Suisse est le seul pays d’Europe à n’avoir aucune législation fédérale sur la transparence du financement des partis. Le fait aussi que de nombreux parlementaires «cachetonnent» comme disent les artistes. Beaucoup ont des activités professionnelles à côté de leur mandat politique: rien à redire. Tel est le système de milice. Car la rémunération d’un conseiller national n’est «que» de 124’000 francs par an. Mais les «cadeaux», c’est autre chose qu’un job complémentaire. Quant aux emplois fixes qui sont offerts de façon ciblée à une personne qui entre au Parlement, ils sont pour le moins suspects.
Nombre d’entreprises et corporations diverses trouvent tous les moyens de cajoler les élus pour gagner leur influence sous la Coupole. Les assurances privées sont très fortes à ce jeu. On se souvient de débats chauds à Infrarouge sur leurs agissements. Le conseiller aux Etats vaudois Olivier Français avait reconnu recevoir plusieurs milliers de francs par année pour assister à des «séances d’information» du groupe Mutuel. Il est loin d’être le seul. Le Neuchâtelois Raymond Clottu et la Genevoise Céline Amaudruz, pour rester chez les Romands, jouent le même jeu. D’autres font beaucoup mieux. Le conseiller national bernois Lorenz Hess (BDP) reçoit 142’000 francs par an pour présider Visana. Il siège bien sûr dans les commissions en charge de la santé. Mais il se défend d’être un lobbyiste. Comment le qualifier dès lors? Corrompu? Non, aïe! Le mot est banni du vocabulaire politique suisse. Il est réservé aux mœurs étrangères. Quant au conseiller aux Etats Josef Dittli (PLR), il a hérité le job qu’occupait Ignazio Cassis avant son entrée au Conseil fédéral, au près de Curafutura (140’000 CHF l’an). Il se contente de dire qu’il vote selon sa conscience et non pas sous influence. Le croit qui veut.
Bien d’autres secteurs économiques, à l’aide de communicants spécialisés, pénètrent ainsi à grands frais la vie politique. Pourtant on n’entend pas grand monde s’en alarmer. Est-ce vraiment un tabou?
Un journal tente de le lever: la NZZ am Sonntag vient de publier une enquête approfondie sur le système. Nous la publierons prochainement. Et voilà une star du cirque fédéral que l’on n’attendait pas sur ce terrain et qui s’en empare: Roger Köppel, rédacteur en chef de la Weltowoche, conseiller national UDC, candidat aux Etats.
On lui donne peu de chances face aux deux sortants, des poids lourds: Ruedi Noser (PLR) et Daniel Jositsch (PS). Alors le polémiste attaque. Dans l’émission Arena, dans son hebdomadaire. Méchante campagne. Mais il appuie où cela fait mal, il faut le dire. Les deux Zurichois, outre leurs activités professionnelles, alignent des dizaines de mandats, d’entreprises et d’associations diverses. Certains non payés, d’autres très grassement. La liste? Ne comptez pas sur eux pour la donner. Rien ne les y oblige. Malaise. Pas étonnant que la Weltwoche cartonne avec ses révélations sur les «chasseurs de petits jobs» et l’appât de l’argent au Palais fédéral. Après la NZZ am Sonntag, le Tagesanzeiger, le Sonntagsblick s’y mettent aussi et l’on n’en finit plus de découvrir les juteux à-côtés des représentants du peuple. Une étude indépendante à venir révélerait que les banques et les assurances arrosent les parlementaires à hauteur de 6,5 millions par an. La moitié vers le PLR, 25% à l’UDC, 19% au PDC, des miettes aux autres partis. Ce qui fait dire au conseiller national Cédric Wermuth (PS): «Pour une grande part, le Parlement est simplement acheté.»
Au-delà de ces pratiques, reste la grande question du financement non des personnes mais des partis eux-mêmes. L’opacité reste totale. Les injonctions de «Transparency International» ne trouvent guère d’écho. Encore un tabou.
Le mythe d’une démocratie parfaite en prend un méchant coup.
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