Garder pied dans la tourmente

Publié le 5 janvier 2024
Les flots rugissants et contradictoires de l’information ont de quoi donner le tournis. Il en était question le soir du Réveillon avec des amis aux réactions fort différentes.

Autour de la longue table, à la demande expresse de certaines personnes, pas question de parler politique. Lorsque le mot Gaza apparut néanmoins au détour d’un dialogue, une dame se leva et s’absenta jusqu’au retour du propos vers sa convenance. La plupart d’entre nous préférant se taire. Pourtant, à l’heure de débarrasser les assiettes, me voilà à la cuisine avec un jeune homme d’à peine vingt ans, la tête bien faite, curieux de tout. «Moi, je m’intéresse à ce qui se passe ici et dans le monde. Mais c’est si compliqué. Tellement d’infos de partout, tant de polémiques et de prises de bec… Cela devient lourd, angoissant même.» Et il enchaîne, en interprète de la génération Z. «Avant internet, ce devait être plus facile. Vous, les vieux, vous viviez plus tranquilles…»

J’ai tenté de lui répondre. Mais si tu permets, jeune homme, je précise ici ma réponse. Elle peut servir à d’autres.

Enlève-toi de l’esprit l’idée que forcément tout était mieux avant. Pour nous informer nous avions les journaux, la radio, la télé, les discussions de bistrot, pas grand-chose d’autre. Il n’empêche que les opinions opposées se croisaient vivement. Peut-être même avec plus de franchise qu’aujourd’hui, on risquait moins de se faire écarter du débat en cas de déviance… Mais grosso modo, nous suivions le récit dominant de la politique, d’un bord ou de l’autre. L’arrivée d’internet a tout changé.

Soudain, des sources d’information illimitées. Et la possibilité pour chacun de s’exprimer en public. Alors qu’hier on en était réduit aux lettres de lecteurs, prises de haut, publiées ou pas. Pour les journalistes ce fut un choc: tout à coup tout le monde pouvait prendre la parole. D’immenses fenêtres s’ouvraient, de nouvelles tribunes s’offraient à tous les coups de gueule comme à tous les sages propos. D’accord, les réseaux sociaux, ce peut être épuisant. Ils charrient tant de conneries. Mais je te rassure, dans le «bon vieux temps» on n’en disait pas moins, simplement elles se répandaient moins vite. Et les invectives n’étaient pas plus délicates.

Alors nous en sommes là, jeunes ou vieux, il faut apprendre à trier. Pas facile, il est vrai, de trouver le meilleur sur Twitter (X), Tiktok ou Instagram. Mais on y arrive. Quelle bouffée d’air, quelle liberté! Tu le vois bien: les gouvernements, effarouchés par ce brouhaha souvent contestataire, concoctent partout, même en démocratie, des systèmes pour effacer les appels à la haine, il y a déjà des lois pour ça, mais aussi contre les «fake news». Les Etats veulent se donner ainsi le droit de dire ce qui est vrai ou faux. Quelle arrogance! Comme si eux aussi ne mentaient pas parfois, comme s’ils ne manipulaient pas la réalité. Mais pas de panique, les jongleurs du net bricoleront toujours des canaux pour exprimer ce qui gêne les puissants de la politique et de l’économie.

Tu dis être troublé par les guerres qui font rage, l’Ukraine, Israël-Palestine. Beaucoup d’entre nous le sont. D’autres préfèrent tourner le robinet aux infos, éviter le sujet. C’est leur droit, mais toi qui es curieux, ne lâche pas. Il y a encore des journaux qui font bien le travail, qui tentent d’approfondir, au-delà de l’actualité. La clé pour y voir clair? L’histoire! Sans en connaître un bout, on n’y comprend rien, on se laisse porter par les propagandes. Merci Wikipedia. Cela dit, les vidéos qui courent sur le net sont précieuses aussi. Jamais une guerre n’a été montrée d’aussi près. On plonge dans les ruines, dans le martyre de Gaza, et aussi dans les rangs de Tsahal, l’armée israélienne, avec ces images étonnantes de ces jeunes hommes et femmes en uniformes qui rigolent en «selfies»… L’émotion jaillit mais tentons de la maîtriser, de garder la tête froide.

Tu trouves le déferlement des infos anxiogène. Il y a de quoi. Mais parlons-en, de cette angoisse. Certains discours visent à la susciter. A des fins diverses. Ainsi tant de gouvernements veulent nous convaincre qu’il urge de dépenser des milliards pour protéger nos pays face à l’armée russe qui peine en Ukraine! Les lobbies de l’armement jubilent. Et l’alarme climatique? Le sujet doit être pris au sérieux. De là à accepter sans broncher les façades d’interdictions moralisantes… Et puis souvenons-nous que la planète a de tous temps connu des variations. Nous efforcer de vivre plus sagement, d’épargner l’environnement, bien sûr! Mais croire que l’humanité peut influencer la marche de l’univers, franchement, n’est-ce pas errant et absurde? Alors on se calme, d’accord?

Et j’allais oublier l’intelligence artificielle! La trouille à la mode. Les XIXème et XXème siècles ont connu des révolutions technologiques extraordinaires qui ont bouleversé nos modes de vie. Plus pour le meilleur que pour le pire. On se fera aux mille tours de passe-passe des dérivés de ChatGPT, on apprendra à déjouer leurs entourloupes. Et si cette technique permet d’épargner des tâches répétitives, on ne s’en plaindra pas. Le chômage ne guettera pas qui fait usage de son intelligence, au vrai, au noble sens du terme.

Tout ce propos pour suggérer le plus important: tenter de rester libre dans sa tête. L’autre jour la très sérieuse Neue Zürcher Zeitung se posait la question: «Nos pensées sont-elles prédéterminées? Ou sont-elles libres comme un oiseau? Vous avez certainement déjà réfléchi à l’une des plus anciennes questions philosophiques…» Morale: nous sommes conditionnés par ce qui nous entoure, par la pression du réel, mais nous pouvons défendre becs et ongles l’idée du libre-arbitre! Même dans la tempête de l’information.

Enfin si cela bouillonne encore un peu trop sous le crâne, jeune homme, permets-moi un conseil. Songe au reste du monde et si possible vas-y voir. En Asie, en Afrique, en Amérique latine, on est peu porté sur l’angoisse molle. Les gens se battent sans états d’âme pour survivre et mieux vivre. L’action, ça aide aussi.

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