Extrême droite et antiféminisme: pourquoi cette alliance séduit tant de jeunes hommes

Publié le 18 juillet 2025

Les discours masculinistes promettent de rétablir un ordre supposé naturel, où les hommes retrouvent autorité et visibilité – © Shutterstock

L’antiféminisme est l’un des principaux axes de mobilisation politique de l’extrême droite et il séduit de nombreux jeunes hommes. Il s’exprime notamment sur les réseaux sociaux, à travers des discours masculinistes qui promettent de rétablir un ordre supposé naturel entre hommes et femmes.
Maite Aurrekoetxea Casaus, Universidad de Deusto


La montée de l’extrême droite en Europe n’est plus une anomalie politique ou une simple tendance électorale. C’est le reflet d’une crise structurelle qui traverse nos sociétés. Dans leur expansion, ces mouvements ont trouvé un allié efficace et stratégique: l’antiféminisme.

Cette réaction n’est pas seulement symbolique. C’est devenu l’un des principaux axes de mobilisation politique et émotionnelle, en particulier chez les jeunes hommes. L’antiféminisme fonctionne comme un canal d’expression du mal-être social et comme une porte d’entrée vers des discours encore plus radicaux.

Dans une enquête, j’ai analysé comment le discours néolibéral avait pénétré l’imaginaire féministe de nombreuses jeunes femmes. Une idée d’émancipation individuelle a été construite qui a dépolitisé les luttes collectives. La liberté, l’estime de soi ou la responsabilité personnelle sont devenues des mantras qui ont dilué la dimension transformatrice du féminisme.

Un privilège, selon l’extrême droite

Aujourd’hui, cette logique a été absorbée par la droite radicale qui présente le féminisme comme une idéologie inutile, voire nuisible, en particulier pour ceux dont la frustration est liée à un déclassement social. A partir de là, l’extrême droite construit son récit: le féminisme serait un privilège plutôt qu’un outil de justice sociale.

Ce discours imprègne des secteurs de la jeunesse qui vivent dans la précarité, l’incertitude et l’insécurité. En Europe, les partis radicaux ont gagné du terrain chez les électeurs de moins de 30 ans, un groupe historiquement lié au progressisme. En Espagne, Vox est devenu l’un des partis préférés des jeunes: une personne sur quatre voterait pour cette formation entre 18 et 25 ans.

Cette tendance est identique dans d’autres pays. En France, Marine Le Pen a obtenu 39 % des voix chez les 18-24 ans en 2022 et 49 % chez les 25-34 ans. En Italie, Giorgia Meloni est en tête du vote des jeunes avec 29 %. En Allemagne, l’Afd a été le premier choix des moins de 30 ans dans des régions comme la Thuringe.

L’extrême droite n’est plus l’héritage des personnes âgées désabusées. Elle séduit également une jeunesse qui perçoit son avenir comme bouché et qui cherche des explications immédiates et des solutions simples.

Le genre apparaît comme une variable clé. En Espagne, le Baromètre de la jeunesse et du genre 2023 a montré que 51 % des garçons âgés de 15 à 29 ans pensent que «le féminisme est allé trop loin». En Catalogne, le pourcentage atteint 54 % chez les hommes âgés de 16 à 24 ans.

Ce changement idéologique répond à de multiples facteurs. L’European Policy Centre en identifie les causes structurelles: la précarité de l’emploi, la désindustrialisation, la rupture des liens communautaires et l’idéal néolibéral de la réussite individuelle. Ce contexte a érodé la figure de l’homme comme «soutien de famille», laissant de nombreux jeunes en manque de références claires concernant leur identité et leur appartenance.

Dans ce vide symbolique, les discours masculinistes offrent une réponse. Ils promettent de rétablir un ordre supposé naturel, où les hommes retrouvent autorité et visibilité. Ils ne font pas appel à la justice, mais à la nostalgie et au ressentiment.

Les médias sociaux ont amplifié ce récit. Des référents tels que l’extrémiste Andrew Tate ou des espaces comme la manosphère diffusent des messages misogynes dissimulés derrière des conseils d’entraide, de masculinité «forte» et de réussite économique. A travers des mèmes, des vidéos virales et des slogans agressifs, l’extrême droite ne se contente pas de communiquer des idées, elle construit aussi des identités.

Cet antiféminisme n’est pas un phénomène marginal. Il s’agit d’une stratégie articulée qui permet de canaliser un mal être sans remettre en question les structures économiques ou politiques. Blâmer le féminisme devient un alibi émotionnel qui transfère la responsabilité à un ennemi facile.

Loin de nier la frustration des jeunes, l’extrême droite l’instrumentalise. Elle offre des explications claires, une appartenance symbolique et une promesse de restauration. Son message séduit parce qu’il simplifie: face à un monde incertain, elle propose un retour à une hiérarchie connue, où les hommes dominent et où les femmes s’adaptent.

Un langage émotionnel puissant

Ce processus a de profondes implications socioculturelles. Il montre une jeunesse fracturée. Une partie de cette jeunesse est alignée sur des valeurs égalitaires; une autre partie se retrouve dans des propositions réactionnaires. Pour elle, l’extrême droite a mis au point un langage émotionnel puissant. Son message ne se limite pas aux meetings politiques: il circule sur les réseaux, sur les chaînes YouTube, avec une esthétique virale.

Il ne s’agit pas de blâmer les jeunes hommes, mais de comprendre quels sont les besoins, les manques et les frustrations qui sous-tendent leur adhésion à ces idéologies. Beaucoup d’entre eux ne trouvent pas d’espaces où ils peuvent se sentir écoutés.

La solution réside dans la reconstruction de discours qui revalorisent l’égalité en tant que bien collectif, qui désactivent l’identification haineuse et qui proposent des modèles de masculinité ouverts, diversifiés et démocratiques.

Les jeunes ne sont pas devenus spontanément plus machistes ou xénophobes. En revanche, l’extrême droite a été capable d’interpréter et de canaliser leur désorientation émotionnelle.

Il est essentiel de comprendre cela pour relever le défi posé. Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement le vote des jeunes, mais la possibilité d’un futur en commun. Et avec lui, la possibilité même d’une démocratie plurielle et inclusive.


Maite Aurrekoetxea Casaus, Profesora Doctora en Sociología en la Facultad de Ciencias Sociales y Humanas, Universidad de Deusto

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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