Et le Verbe s’est fait chair

Publié le 24 décembre 2021
Une fois n’est pas coutume, je vous propose une méditation spirituelle. En cette veille de Noël, quelques mots sur une fête chrétienne qui est devenue universelle. Mythe ou réalité, peu importe, le récit de la naissance de Jésus garde un message et il a quelque chose à nous dire aujourd’hui.

«Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu.» (Jn 1,1) Le début du Prologue de l’évangéliste Jean a tout du conte philosophique. Quel est ce Verbe, quel est ce Dieu? Le langage est mystérieux… Il y aurait un Verbe, à savoir une Parole, qui était avec Dieu dès le commencement de l’univers, qui était tournée vers Lui et qui en fait était Dieu.

Ce Verbe, nous dit le Prologue, contenait la vie, «et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres» (Jn 1,4-5). Cette lumière du Verbe, nous conte Jean, est venue dans le monde, mais le monde ne l’a pas reconnue. Nombreux sont ceux qui ne l’ont pas accueillie. Pourtant, certains l’ont accueillie, et ceux-là sont devenus enfants de Dieu. «Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous» (Jn 1,14).

Ces quelques versets du Prologue ont été le fruit d’exégèses savantes. Il y aurait tant à analyser, à décortiquer. Restons-en à la simplicité. Ce Verbe qui était avec Dieu depuis toujours, et qui était Lui-même Dieu, c’est Jésus-Christ, le Fils. Dans la tradition chrétienne, le dogme de la trinité affirme qu’il n’y a bien qu’un Dieu, mais en trois personnes. Un Dieu dans le Père, le Fils et l’Esprit Saint, autrement dit l’Esprit de Dieu qui est communiqué aux hommes, et qui agit parmi eux.

Le Verbe est généré par le Père, et le Père crée par le Verbe, par la parole. En effet, pour créer la lumière, Dieu dit: «“Que la lumière soit!” Et la lumière fut » (Gn 1,3). Et ce Verbe généré par le Père est le Fils. Après s’être révélé au peuple d’Israël qu’Il a choisi pour être son peuple élu, Dieu veut se manifester à tous les peuples, et pour cela, pas de grands coups de tonnerre, pas de grande voix qui parle depuis le ciel à toute l’humanité. Le Père envoie son Fils dans la condition d’homme, sur terre. «Et le Verbe s’est fait chair».

Dieu se fait homme pour rejoindre les hommes dans leur plus intime nature. Mais trêve de bavardages théologiques. A y regarder simplement, on voit que Dieu commence par choisir une jeune fille pauvre pour mère. Il aurait pu choisir une grande reine, une femme puissante, non Il a choisi la pauvreté. Une difficulté s’ajoute au choix, la fille est vierge… C’est embêtant. Son ventre grossit et elle n’a plus l’air si vierge que cela. Vous imaginez bien que Joseph, l’homme à qui elle est promise en mariage, se pose des questions. Et il a vite fait le tour de la question. Ce qui a dû se passer s’est passé, mais sans lui.

Le Fils est dans le ventre d’une mère du genre jeune mère célibataire de seize ans d’aujourd’hui. Non seulement Dieu choisit la pauvreté, mais Il choisit aussi les situations les plus délicates de la vie. Joseph veut la répudier, comme le demande la Loi juive, mais en secret, pour ne pas humilier la prétendue vierge.

Un ange apparaît en songe à Joseph et lui dit: «Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse: ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint, et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus» (Mt 1,20-21). Franchement, j’ai connu des argumentations plus convaincantes… Il reste que Joseph met son courroux et sa peine de côté, et choisit la confiance. Il accepte cette fille et le fils qu’elle porte et qui n’est pas le sien. Voyez donc le modèle de famille bourgeoise et parfaite que Dieu a choisi pour Lui-même…

Je vous passe d’autres détails pour en arriver à la douce crèche. La mère est sur le point d’accoucher, son mari est en panique à côté, et personne pour les accueillir. Vachement sympa! Et Marie se retrouve sans doute couchée dans la paille d’une ferme, au milieu des bêtes pour accoucher. On est bien loin de nos standards dans les maternités des hôpitaux.

Le bébé naît. Il pousse son premier cri. Cet Enfant qui est Dieu pleure, tète le sein, recrache le lait, fait ses besoins. Pour rejoindre l’homme, Dieu se fait homme, Il se fait pauvre, Il se fait tout petit. Ce grand Dieu Tout-puissant qui inspire crainte et soumission est un bébé, dépendant de sa mère et de son père adoptif.

Jamais un dieu d’une autre tradition religieuse ne s’est abaissé à un tel niveau, dans de telles conditions. Cette incarnation, c’est sans doute la plus grande folie de l’histoire de l’humanité. Dieu se révèle par un bébé dans une mangeoire. Et par une étoile du ciel qui les guide, les premiers conviés à Sa naissance sont des bergers, autrement dit des pauvres, des gens simples. 

Pour que Dieu puisse tout partager de notre humanité, sauf le péché parce que bien qu’Il soit pleinement homme Il reste pleinement Dieu, Il passe par toute la condition humaine. Un bébé, puis un enfant, puis un adolescent qui apprend le travail de son père adoptif, puis un homme, resté dans la discrétion jusqu’à ses trente ans. Et quand Il commence à se manifester en parlant du Père, de Son amour, du Royaume des Cieux qui nous attend, voilà qu’Il est écouté et aimé par une prostituée, par un collecteur d’impôts, par un pêcheur rustre, mais pas par les plus hauts dignitaires religieux.

Il finit par être insulté, jugé, condamné. Il porte sa croix sous les coups de fouets, sous les moqueries. Il a connu la trahison de plusieurs amis. Alors qu’Il agonisait, qu’Il pleurait, ses amis s’endormaient. Dieu a connu dans sa chair l’humiliation, la torture, jusqu’à la mort la plus atroce, à côté de deux criminels. 

Seul un Dieu qui a connu tout cela peut rejoindre les détresses les plus grandes: nos cris du cœur, nos désespoirs, nos suicides. Seul un Dieu qui a porté toute la misère, toute la douleur du monde sur sa croix, qui est mort, et ressuscité trois jours plus tard peut nous donner l’espérance que la mort n’est pas la fin de tout, qu’un grand bonheur nous attend, et que ce grand bonheur commence déjà ici et maintenant. Donnons à ce Dieu fait homme toutes nos peines, toutes nos joies, Il ne nous abandonne jamais, Il nous accompagne dans les épreuves. 

Mythe ou réalité? Quoi qu’il en soit, ce récit a bien de la gueule… Il appartient à chacun de le faire sien, de s’en inspirer, de le contempler. Si Dieu existe, alors Il a vraiment un amour infini pour chacun, puisqu’Il s’est fait chair pour moi, pour toi, pour nous.

Joyeux Noël.

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