Elon Musk, roi-soleil de l’autocratie numérique

Publié le 6 mai 2022
Elon Musk cherche à nous rendre libres. Si, si! La preuve: c’est pour ça qu’il a racheté Twitter, ce réseau social aux 330 millions d’abonnés. Pour délivrer notre parole, nous faire jouir sans entrave du pouvoir de dire n’importe quoi et le pire du pire. «Je suis un absolutiste de la liberté d’expression» proclame le milliardaire, côté face. Mais côté pile, c’est surtout un sacré censeur.

Absolutiste, il l’est assurément en matière d’autocratie. Ce génie des affaires au flair de labrador – qui a toujours un coup d’avance sur ses concurrents – est présent dans l’espace, l’intelligence artificielle, l’automobile électrique, hier encore la banque en ligne. Aujourd’hui, le voilà propriétaire de la totalité des parts de Twitter. Il cherche à sortir sa nouvelle société des cotations bancaires et de leurs règles afin d’en faire sa chose, sans partage.

La politique passe par Twitter

S’il n’est pas le réseau social le plus important sur le plan quantitatif, Twitter tient un rôle majeur dans le monde politique. C’est par ce truchement que moult grands dirigeants de la planète communiquent. Il est donc guetté comme le lait sur le feu par les journalistes. La politique passe par Twitter, qu’on s’en loue ou qu’on le déplore.

Musk se pare des plumes du paon libertarien en affirmant instaurer la parole la plus libre sur Twitter «afin de renforcer la démocratie». Il veut, entre autres, donner la possibilité aux utilisateurs d’éliminer les algorithmes de modération de contenu. Trump, qui avait finalement été interdit de Twitter – après de nombreuses années vouées à l’infox – risque fort d’y revenir grâce à Musk. Qui, d’ailleurs, a figuré parmi les conseillers de l’ancien président, jusqu’à sa démission (annoncée par Twitter) le 1er juin 2017, Donald Trump ayant sorti les Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le climat. C’en était trop pour Musk et ses discours style «greenwashing» (écoblanchiment).

La liberté de l’égorgeur virtuel

Lâché en état de liberté «absolue», Twitter risque fort de charrier – encore plus que maintenant, ce n’est pas peu dire – des flots de haine, de mensonges, de manipulations mentales. 

La liberté selon Elon Musk est celle de l’égorgeur virtuel rôdant sur les écrans multiformes.

Le milliardaire prétend rendre accessibles aux utilisateurs de Twitter les algorithmes de classement et de sélection des contenus. Les promesses rendent les fous joyeux, dit-on dans la bonne ville de Carouge. On voit mal comment, dans les faits, Musk s’y prendra pour passer du verbe à l’action. 

En fait, seul propriétaire, sans cautèle des autorités boursières, le milliardaire pourra faire ce qu’il veut des algorithmes et les manipuler en fonction de ses intérêts et de ses caprices, en vrai autocrate aussi absolu que numérique.

Le libertarien censeur

La sincérité d’Elon Musk quant à sa passion de la libre expression est d’autant plus sujette à caution qu’il s’est plusieurs fois mué en censeur, lorsque lui-même était mis en cause.

  • Il y a deux ans, l’étatsunien Robert Reich (Parti démocrate), ancien Secrétaire d’Etat au Travail de Bill Clinton, lance un tweet critiquant le traitement que Musk fait subir aux salariés de Tesla. Résultat: le milliardaire le bloque sur le réseau social (lire ici).
  • Un étudiant avait ouvert un compte Twitter pour suivre les déplacements du milliardaire en jet privé. Elon Musk a tenté d’acheter l’étudiant puis a tout fait pour le censurer.
  • Un ancien employé de Tesla s’était plaint des conditions de travail au sein de l’entreprise de Musk. Il a été victime de la part de ce dernier «d’une campagne pour ternir sa réputation» selon le site The Verge, cité par France 24.
  • L’avocate étatsunienne Jessica J. Gonzalez, co-présidente de Free-Press, association de défense des journalistes, a lancé quelques missiles de croisière contre le despote libertarien: «Elon Musk lui-même a utilisé Twitter et d’autres plateformes pour attaquer et faire taire efficacement d’autres orateurs. Il s’est tourné vers les médias sociaux pour répandre la désinformation sur le COVID-19 et les vaccins. Il a utilisé Twitter pour manipuler les marchés et augmenter sa richesse déjà considérable. Et il a fait tout cela en s’appuyant sur une foule en ligne d’adeptes fidèles pour lancer des attaques contre quiconque n’est pas d’accord avec lui.»

Voilà donc cet autocrate numérique seul aux commandes de cette puissance de feu médiatique. La société payera peut-être un jour très cher son incapacité à trouver le bon curseur pour préserver la liberté d’expression tout en régulant les réseaux sociaux.

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