Droit de réponse

Publié le 16 décembre 2022
A la suite d’un article dans «Le Temps» qui travestissait mon regard sur la Russie et la Syrie, j’ai publié une réponse dans ce journal. Je la livre ici pour dissiper toute ambiguïté.

Mon confrère Alain Campiotti a consacré un article au livre que je signe avec Jacques Poget, Le souffle de l’histoire (Ed. Alphil). Je l’en remercie. Que nos opinions divergent sur certains sujets, quoi de plus sain? Encore faut-il qu’elles ne soient pas travesties. Or dans ce texte, il est fait de moi un supporter de Poutine et Assad. Je suis renvoyé dans un camp «peu ragoûtant». Je ne puis l’admettre. Comme nous tous ou presque, je condamne l’agression russe en Ukraine, je suis outré devant le nombre des victimes, militaires et civiles, des deux côtés. Car les missiles occidentaux en font aussi dans le Donbass. Mais l’indignation, aussi justifiée soit-elle, ne suffit pas à comprendre ce qui arrive en Europe. Un regard plus large s’impose. Sur le passé, le présent et l’avenir. J’aime l’Ukraine. Pour y être allé, pour les personnes admirables que j’ai rencontrées, là-bas et à ma table, pour sa littérature, pour sa pulsion vitale. J’admire son héroïsme, son patriotisme. Mais je vois aussi sa complexité. Les maux qu’elle connaît depuis longtemps, hérités de son histoire douloureuse, pèsent sur elle aujourd’hui et pèseront demain, une fois les armes tues. Ses déchirements culturels et religieux, ses oligarques qui contrôlent l’économie et la politique, sa mouvance ultra-nationaliste au lourd passé – à laquelle le Président Zelensky n’appartient pas – qui exerce encore son influence, son iniquité sociale abyssale. Rappeler cela n’équivaut nullement à justifier l’agression. Mais il faut le savoir en vue du futur. Le feu croisé des propagandes échauffe les uns et les autres. Et obscurcit le tableau. Celui-ci est d’autant plus complexe que ce pays martyr est entraîné dans l’affrontement de deux grandes puissances. Face à la Russie, les Etats-Unis sont massivement présents depuis 2014 au moins, ils l’admettent ouvertement. Les Russes quant à eux ont soutenu les territoires d’abord autonomistes puis séparatistes et tentent maintenant de les annexer. Je raconte dans ce livre, avec des éléments inédits, comment, à Istanbul, en mars, un accord de cessez-le-feu et de voisinage était à bout touchant. Comment et pourquoi a-t-il été mis fin à cet effort de paix? L’histoire le dira un jour.

Aujourd’hui se dire favorable à l’arrêt des hostilités et à des négociations est présenté comme une complaisance envers le Kremlin. C’est insensé. La prolongation de cette guerre embourbée est la voie du pire. Réclamer à hauts cris qu’elle se poursuive, à coup de milliards et d’envois d’armes peut se comprendre sur l’heure à Kiev. Mais le faire chez nous, à l’abri, sans risquer une seule vie, c’est choquant. Et peu sage. Pensons donc aussi aux lendemains. Quel voisinage voulons-nous avec la Russie à plus long terme? Se couper d’elle serait humainement, culturellement, économiquement, une aberration, une mutilation. Substituer les hydrocarbures, dont nous aurons besoin longtemps encore, en provenance de l’immensité russe si proche au profit du gaz de schiste importé par bateaux à travers l’Atlantique, hors de prix, est-ce défendre les intérêts de l’Europe? Diversifions notre approvisionnement, sans exclure aucune source. Et aidons la Russie – Poutine n’est pas éternel – à retrouver le meilleur d’elle-même. 

Les risques de dérapages de toutes sortes, en Ukraine et au-delà, sont réels. Dès lors je suis favorable à la neutralité. Celle-ci peut être égoïste mais aussi empathique, elle peut être le signe de notre disponibilité traditionnelle pour toute tentative de paix. Que ce ne soit guère réaliste après les récentes prises de position du Conseil fédéral importe peu. Nous devons rester fidèles à nous-mêmes. Nous sommes plus nombreux à le penser que ne le croient les bellicistes à tout crin.

La Syrie? Je suis aussi agrafé à ce sujet. Je n’ai aucune sympathie pour le dictateur cynique et cruel à sa tête. Mais là encore, pour y être allé, j’ai une perception plus nuancée des événements. L’Etat laïc a survécu dans une large partie du territoire. Où en serait le pays si avaient triomphé les milices islamistes violemment déchaînées après avoir très tôt marginalisé les authentiques démocrates? Ecraser ce peuple – plus que les élites au pouvoir – sous des sanctions d’une dureté extrême, est-ce vraiment sage? La question se pose d’autant plus à l’heure où l’Iran est à l’œuvre, la Chine aussi et même les pays du Golfe se rapprochent d’Assad. L’Europe, la Suisse veulent-elles perdre un peu plus le pied dans cette région?

Je précise que ce livre aborde l’actualité sur quelques pages mais j’y évoque surtout mon parcours personnel et professionnel, avec quelques questions sur les médias au passage. Il tire des fils entre le passé et le présent. Modeste contribution à notre histoire.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

Moldavie: victoire européenne, défaite démocratique

L’Union européenne et les médias mainstream ont largement applaudi le résultat des élections moldaves du 28 septembre favorable, à 50,2 %, à la présidente pro-européenne Maia Sandu. En revanche, ils ont fait l’impasse sur les innombrables manipulations qui ont entaché le scrutin et faussé les résultats. Pas un mot non (...)

Guy Mettan
CultureAccès libre

Vive le journalisme tel que nous le défendons!

Pourquoi BPLT fusionne-t-il avec d’Antithèse? Pour unir les forces de deux équipes attachées au journalisme indépendant, critique, ouvert au débat. Egalement pour être plus efficaces aux plans technique et administratif. Pour conjuguer diverses formes d’expression, des articles d’un côté, des interviews vidéo de l’autre. Tout en restant fidèles à nos (...)

Jacques Pilet

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet

Notre dernière édition avant la fusion

Dès le vendredi 3 octobre, vous retrouverez les articles de «Bon pour la tête» sur un nouveau site que nous créons avec nos amis d’«Antithèse». Un nouveau site et de nouveaux contenus mais toujours la même foi dans le débat d’idées, l’indépendance d’esprit, la liberté de penser.

Bon pour la tête

A confondre le verbe et l’action, on risque de se planter

De tout temps, dans la galerie des puissants, il y eut les taiseux obstinés et les bavards virevoltants. Donald Trump fait mieux. Il se veut le sorcier qui touille dans la marmite brûlante de ses colères et de ses désirs. Il en jaillit toutes sortes de bizarreries. L’occasion de s’interroger: (...)

Jacques Pilet

Censure et propagande occidentales: apprendre à les débusquer

Les affaires encore fraîches des drones russes abattus en Pologne et du bombardement israélien au Qatar offrent de belles illustrations du fonctionnement de la machine de guerre informationnelle dans nos pays démocratiques. Il existe en effet une matrice de la propagande, avec des scénarios bien rôdés, qu’on peut voir à (...)

Guy Mettan

Le voyage chahuté d’Ursula

Il est fait grand bruit autour d’une fable alarmiste, d’un incident minuscule lors du vol de la présidente de la Commission européenne entre la Pologne et la Bulgarie: la perturbation du GPS attribuée à la Russie et facilement surmontée comme cela est possible sur tous les avions. Quasiment rien en (...)

Jacques Pilet

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan

Ukraine: le silence des armes n’est plus impossible

Bien qu’elles soient niées un peu partout en Occident, des avancées considérables vers une résolution du conflit russo-ukrainien ont eu lieu en Alaska et à Washington ces derniers jours. Le sort de la paix dépend désormais de la capacité de l’Ukraine et des Européens à abandonner leurs illusions jusqu’au-boutistes. Mais (...)

Guy Mettan

Les Européens devant l’immense défi ukrainien

On peut rêver. Imaginons que Trump et Poutine tombent d’accord sur un cessez-le-feu, sur les grandes lignes d’un accord finalement approuvé par Zelensky. Que feraient alors les Européens, si fâchés de ne pas avoir été invités en Alaska? Que cette hypothèse se confirme ou pas, plusieurs défis controversés les attendent. (...)

Jacques Pilet

Des nouvelles de la fusion de «Bon pour la tête» avec «Antithèse»

Le nouveau site sera opérationnel au début du mois d’octobre. Voici quelques explications pour nos abonnés, notamment concernant le prix de l’abonnement qui pour eux ne changera pas.

Bon pour la tête

Trouver le juste cap dans la tempête

La tornade qui, en Europe, s’est concentrée sur la Suisse nous laisse ébaubis. Le gros temps durera. Ou s’éclaircira, ou empirera, selon les caprices du grand manitou américain. Les plaies seront douloureuses, la solidarité nécessaire. Il s’agira surtout de définir le cap à suivre à long terme, à dix, à (...)

Jacques Pilet

La bouderie des auditeurs de la SSR

Les derniers chiffres d’audience de la radio publique sont désastreux. La faute à l’abandon de la FM et à l’incapacité de ses dirigeants à remettre en question le choix de leurs programmes.

Jacques Pilet

Rencontre inédite avec le vice-président de la Douma russe

Non, il n’a pas de cornes ni de queue fourchue, ni même de couteau entre les dents. Il ne mange pas non plus d’enfants ukrainiens au petit-déjeuner. Piotr Tolstoy semble être un homme normal. Quoique. A la réflexion, l’arrière-arrière-petit-fils de l’écrivain Léon Tolstoï possède un sens de l’ironie et un (...)

Guy Mettan

«L’actualité, c’est comme la vitrine d’une grande quincaillerie…»

Pendant de nombreuses années, les lecteurs et les lectrices du «Matin Dimanche» ont eu droit, entre des éléments d’actualité et de nombreuses pages de publicité, à une chronique «décalée», celle de Christophe Gallaz. Comme un accident hebdomadaire dans une machinerie bien huilée. Aujourd’hui, les Editions Antipode publient «Au creux du (...)

Patrick Morier-Genoud
Accès libre

Bon pour la tête étoffe son offre

Alors que les médias traditionnels se voient contraints de réduire leur voilure, les médias indépendants se développent. Cet automne, «Bon pour la tête» fusionnera avec «Antithèse», un site qui, comme le nôtre, résiste au conformisme dominant et aux idées toutes faites. Pour nos abonnés actuels, le prix ne changera pas, (...)

Bon pour la tête