Coûts de la santé: le scandale suisse

Publié le 21 juillet 2023
La hausse incessante des primes d’assurance-maladie est la première préoccupation des Suisses, selon le récent sondage de TA Media. Pour 70% d’entre eux. Bien plus que le climat ou l’immigration. Le débat qui s’ouvre porte sur les détails à revoir. Jamais sur le fond: notre système est le plus injuste d’Europe. Scandaleux.

La droite concocte une loi sur une assurance au rabais, avec une gamme de soins restreints et diverses obligations. La gauche s’indigne. Mais curieusement elle ne remet pas en question les bases du système, différent de tous les pays voisins. A savoir que partout autour de nous, la dépense pour le risque de la maladie est calculée selon le revenu et, pour les salariés, avec participation de l’employeur. Chaque Etat a sa formule, avec ici une caisse unique, là des établissements divers, mais ces principes, de justice sociale, sont appliqués pour la couverture de base. Chez nous, celle-ci est invariable. Le milliardaire la paie au même prix que la femme de ménage. Autre différences: partout les soins dentaires sont pris en charge, en tout ou partie, par la sécurité sociale. Ainsi que les lunettes. Frais importants exclus de notre couverture de base. Et tant pis pour les démunis qui s’accommodent de leurs dents pourries. Certes les personnes et les foyers les plus modestes se voient subventionnés. Mais pas les classes moyennes inférieures qui tirent aussi la langue. Une façon de faire coûteuse pour les budgets publics mais qui perpétue l’injustice.

Et si nous jetions un œil par-delà les frontières? Le cas de la France est peu probant. La «sécu» y est fort généreuse mais coûte des sommes folles à l’Etat. Il existe des systèmes raisonnables qui ne dépendent pas ou peu des budgets publics. Ainsi en Autriche, les primes d’assurances maladie, invalidité, chômage, regroupées, sont déduites du salaire, avec une part de l’employeur. Les indépendants peuvent en souscrire une (pour un montant maximal de 480 euros par mois), avec des exceptions pour les enfants, pour les étudiants, les personnes à charge. Les patients doivent apporter une modeste contribution aux soins hospitaliers. La machine tourne bien. Personne, là-bas, ne se plaint, ni du coût, ni de la qualité des soins. A noter que les diverses caisses, de droit public, ne peuvent pas se faire concurrence entre elles. Et à la différence de la Suisse, ne dépensent rien pour de tapageuses campagnes publicitaires.

Un changement fondamental du système serait, c’est vrai, fort ardu à mettre en place. Mais jusqu’à quand va-t-on laisser les coûts s’emballer? La tendance est lourde. Les centres de soins privés se multiplient, avec des obligations de rendement. Migros, par exemple, recycle massivement ses profits dans des investissements sanitaires. L’offre de services devient pléthorique… du moins dans les villes. Et chacun sait que plus les cabinets se multiplient, plus les patients, parfois pour des soins anodins, s’y empressent.

Disserter sans fin sur nos tracas, proposer des retouches ici et là, ne change rien à la situation. Profondément injuste. D’autant plus que le lobby des pharmas, fort influent au Parlement, freine toute velléité de réduire le coûts des médicaments, y compris les génériques, bien plus chers qu’outre-frontière. Comment expliquer qu’un produit aussi simple que l’aspirine soit quatre fois plus coûteux en Suisse qu’en France?

Les divers groupes d’intérêt, pharmas, médecins privés, hôpitaux, s’affrontent et bloquent toute solution globale. De l’aveu-même du ministre sortant de la Santé. Il n’y a qu’en cas de crise que l’appareil public prend tout en main, comme au temps du Covid, et fait jongler des milliards… sans que personne n’y voie très clair. Quitte à ce que des millions de doses de vaccins, maintenant périmées, passent à la poubelle. Mais le mécontentement chronique de la population accablée par les primes d’assurance n’est-il pas aussi une crise sérieuse? N’y a-t-il pas aussi une urgence exigeant que le gouvernement bouscule un peu le Parlement et tape du poing sur la table?

On n’en prend guère le chemin.

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