«Bruxelles vous énerve?»: le bras de fer hongrois avec l’UE se poursuit

Publié le 16 juillet 2021
Ce sont 900 millions d’euros qui devront encore attendre dans les caisses de la Banque centrale. La première tranche du plan de relance européen destinée à la Hongrie aurait dû être versée ce 12 juillet. Mais la Commission européenne, avare d’explications, a annoncé un délai d’attente supplémentaire. Dans un climat tendu, sur fond de polémique autour de la loi «anti-LGBT», Budapest dénonce une manœuvre politique, alors que des sanctions viennent d’être décidées à Bruxelles.

L’affaire a fait plus grand bruit encore que la victoire de la Suisse face à la France à l’Euro de football: la loi, adoptée fin juin en Hongrie, qui interdit la «promotion de l’homosexualité» auprès des mineurs, a soulevé une vague d’indignation en Europe. Dénoncée comme honteusement discriminatoire, pointée du doigt comme faisant un amalgame entre homosexualité et pédophilie, la loi a même fait la quasi unanimité contre elle en marge des matches de foot. 

Des stickers «interdit aux moins de 18 ans»

A l’origine, le texte en question était conçu pour lutter contre la pédocriminalité. Des élus Fidesz, le parti du Premier ministre Orban, y ont ajouté plusieurs amendements allant plutôt dans le sens de la politique hongroise, depuis une dizaine d’années, à l’égard des LGBT. Rappelons qu’en 2016, la mention «le père est un homme, la mère, une femme», a été inscrite dans la constitution. Cette fois, l’article 10 de la loi prévoit l’interdiction «de mettre à la disposition des enfants de moins de 18 ans des contenus pornographiques, ainsi que des contenus qui représentent la sexualité en soi, ou qui encouragent ou montrent la non-conformité au genre, le changement de genre ou l’homosexualité». 

En pratique, développe le député et directeur de la communication du Fidesz Istvan Hollik, interrogé par Jean-Baptiste Chastand dans Le Monde, dès qu’un contenu visuel, un livre, un film, une affiche, montrera, par exemple, un couple homosexuel, il faudra «mettre un sticker ‘interdit aux moins de 18 ans’», même si le contenu en question n’a en soi rien de pornographique. Dans le cas des publicités géantes de Coca-Cola, qui montraient deux hommes s’embrassant et qui avaient fait scandale l’été dernier, l’option sticker n’est pas retenue, au profit d’une interdiction pure et simple. Les intentions du parti au pouvoir, où siègent aussi de nombreux élus homosexuels, assumés ou non, sont de laisser à la famille le soin d’avoir avec les enfants les «discussions» autour de la sexualité, et de protéger les mineurs contre une «influence» qui, selon les défenseurs de la loi, pourrait menacer leur équilibre. 

Menaces et sanctions

Les causes officielles du retard dans le versement de l’argent européen à Budapest n’auraient cependant pas de lien direct avec cette loi. Très en pointe sur ce dossier, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte aurait voulu que cela soit la goutte d’eau qui fasse déborder le vase et jeter la Hongrie hors de l’Union. Mais d’autres problèmes de fond posent question. La Hongrie est une «kleptocratie aux frais de l’Europe», écrivait cette semaine l’eurodéputée Valérie Hayer dans une tribune, c’est-à-dire un Etat rongé par une «corruption systémique» dont bénéficient seuls certains cercles proches du Premier ministre. L’Union européenne, avant de verser au total 7 milliards d’euros à la Hongrie, voudrait s’assurer que, cette fois, cet argent ne finisse pas dans les poches de quelques amis et cousins de Viktor Orban. 

L’UE a finalement décidé de mener les deux batailles de front. Ce jeudi 15 juillet, elle a annoncé qu’une procédure d’infraction était engagée à l’encontre de la Hongrie et de la Pologne, pour atteinte aux valeurs européennes d’égalité et de respect de la dignité et des droits de l’homme. 

Billard à plusieurs bandes

L’indignation soulevée par cette nouvelle atteinte à la dignité des personnes LGBT ne doit pas faire oublier que ce genre de stratégie est commune de la part du Premier ministre hongrois. Le battage médiatique cache la forêt. Ce serait même, au dire de certains spécialistes, une habile manœuvre de diversion. 

Dans La Libre Belgique, Zsuzsanna Szelény rappelle que «le Fidesz a créé il y a quelques mois ce type de fondations de gestion des actifs publics afin de sous-traiter les biens et les propriétés de l’Etat – par exemple, les universités et les autoroutes – à des entités dirigées par le Fidesz. Ces fondations … créeront un Etat fantôme au sein de l’Etat qui empêchera le prochain gouvernement de gouverner si le Fidesz perd les élections. … Malheureusement, cette série de décisions n’a suscité aucune protestation de la part d’Ursula von der Leyen». 

En réalité, chaque durcissement de ton à Bruxelles contre la politique hongroise profite à Viktor Orban. En surfant sur le rejet, par ses partisans, de la voix de Bruxelles, en jouant la carte de «l’exception hongroise», qui serait mal comprise et à tort persécutée ailleurs sur le continent, le Fidesz renforce son discours et ses positions. Une campagne a donc fleuri récemment dans les rues de Budapest: «Bruxelles vous énerve?», «êtes-vous inquiets de l’impact de la propagande sexuelle sur vos enfants?», si oui, la réponse est simple: votez Fidesz. Nul doute que ces slogans trouveront un écho. 

Entre tactiques électorales, à la veille de l’élection législative de 2022, et coups de poker au Parlement européen, Viktor Orban continue donc de mener l’Europe par le bout du nez. Et la société civile hongroise paie les pots cassés.

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