BolsonaTrump: l’infantilisation numérique ravage la démocratie

Publié le 13 janvier 2023

Des manifestants pro-Trump envahissent le Capitole, le 6 janvier 2021. – © Tyler Merbler – CC BY 2.0

Les ex-adultes redevenus sales gamins supportent de moins en moins d’êtres frustrés par une défaite électorale. Au Brésil aujourd’hui, aux Etats-Unis hier. L’Europe n’est pas épargnée.

Après Trump, son clone tropical Bolsonaro. Après l’assaut contre le Capitole à Washington le 6 janvier 2021, celui contre le Palais présidentiel à Brasilia. Des hordes de partisans de l’ancien président brésilien y ont ravagé les principaux symboles des institutions démocratiques, tout en réclamant un coup d’Etat militaire. 

Certes, on ne saurait hâtivement tracer un trait d’union entre ces deux émeutes fascistoïdes. Les conditions économiques, sociales, juridiques, politiques, historiques du Brésil et des Etats-Unis diffèrent notablement. Démocratie réinstallée depuis 1985 seulement, dans un cas. Vieille démocratie bien installée, dans l’autre.

Un même élément déclencheur

Néanmoins, avec ce genre mouvements de masse, aux causes locales s’ajoutent souvent d’autres de nature plus globale relevant du climat général d’une époque. Dès lors, force est de reconnaître que, dans les deux cas, l’élément déclencheur est le même, à savoir le refus de partisans d’extrême droite d’admettre la défaite de leur candidat.

Comme aucune preuve de falsification n’a été apportée par ceux-là même qui criaient à la fraude, leur réaction ne relève donc pas d’une remise en cause rationnelle de l’élection mais obéit à un trait de caractère infantile, soit l’incapacité de surmonter sa frustration.

Certes, c’est frustrant de voir son candidat être battu aux élections. Mais l’adulte parvient à maîtriser ce sentiment pour repartir dans le débat politique, si possible en prenant en compte les causes de sa défaite. Sans cette attitude rationnelle, il n’est point de démocratie possible.

Submergé par la frustration

L’ex-adulte infantilisé, lui, se laisse submerger par sa frustration qui se traduit par des appels à la haine sur les réseaux sociaux qui deviennent le lieu des échanges, puis celui de la mobilisation.

Les pays européens paraissent, pour l’instant, moins touchés. Toutefois, en France, les appels à l’illégitimité du président Macron se multiplient à gauche comme à droite. S’il est légitime de se mobiliser contre ses décisions, il n’en demeure pas moins qu’Emmanuel Macron a été élu «à la régulière» et que contester cet état de fait revient à saboter le processus démocratique. 

De nombreux sociologues, politologues et anthropologues – tels Benjamin Barber et Simon Gottschalk entre autres – ont étudié cette «philosophie infantiliste qui semble définir la culture et la politique contemporaines».

La «philosophie infantiliste»

Dans son livre Consumed, cité par Gottschalk, Benjamin Barber en souligne les prolongements politiques: «La préférence de l’infantilisme pour le simple, le facile et le rapide lui confère une affinité naturelle pour certaines formes politiques au détriment d’autres.»

D’où le succès, ajouterons-nous, des formations de type démagogique (terme plus précis que «populiste») qui prospèrent un peu partout aux extrêmes de l’échiquier politique.

Certes, l’infantilisation des peuples par les tenants du pouvoir est vieille comme l’humanité. Dans les lieux de production et de consommation, l’infantilisation s’exerce depuis fort longtemps, soit pour que le travailleur se tienne tranquille en inhibant son sens critique, soit pour le faire consommer le plus possible.

Le moulin à algorithme

Mais l’intrusion massive et insistante des terminaux – téléphone portable, montre connectée, ordinateur, tablette – dans notre vie quotidienne a conféré à cette infantilisation une puissance jamais connue jusqu’à maintenant.

Le terminal est devenu un moulin à algorithmes que son consommateur a de plus en plus de peine à maîtriser comme l’explique Simon Gottschalk: «Quand bien même tenterions-nous d’y résister, le terminal nous proposerait un certain type de contenu aux dépens d’autres. Quelles que soient les pages que nous visitions, les boîtes de dialogue et les cookies1 renseignent le terminal qui nous « suggère » alors des journaux (…), des gens qui pourraient être nos « amis » ou des causes que nous pourrions soutenir. (…) A mesure que notre expérience du terminal se personnalise nous nous enfermons dans ce qu’Eli Pariser appelle « une bulle de filtres »».

L’étouffante «bulle de filtres»

D’où l’illusion dévastatrice que notre opinion est très largement partagée – «nous sommes tellement nombreux à exprimer la même opinion que les autres ont forcément tort» – avec pour corollaire l’effacement des points de vue divergents et, partant, l’actuelle polarisation aux extrêmes de la vie politique. Comme cette cette «bulle de filtres» favorise les réactions impulsives, adieu la réflexion, bonjour le passage à l’acte!

La dépendance au terminal a des conséquences aussi sur l’organisme humain, comme le relève notre confrère Martin Bernard dans un article intitulé «Outils numériques et cyberdépendance, le mal du siècle?». Il relève, entre autres: «Un temps trop important passé devant un écran aurait pour effet de faire rétrécir cette partie de notre cerveau (le lobe frontal, ndlr), favorisant ainsi le déclenchement de comportements plus impulsifs et agressifs, et moins de jugement réflexif». 

Inutile répression

Si la situation actuelle se révèle des plus préoccupantes elle n’en est pas pour autant désespérée. L’erreur serait de recourir aux dissolutions des formations extrémistes – elles renaîtraient sous d’autres oripeaux nimbées en plus de l’aura du martyr – ou aux blocages de certains réseaux – qui a envie de vivre sous une censure à la Chinoise?

Et puis, les outils de l’internet ouvrent à la connaissance des possibilités quasi illimitées. Après tout, c’est grâce à l’univers numérique que l’auteur de ces lignes a pu pondre son papier. Il ne faut donc pas jeter son terminal avec l’eau du bain!

Le pire n’est pas certain

L’humanité n’en est qu’au commencement de son dialogue avec l’univers numérique. Elle peut encore trouver les moyens de l’apprivoiser sans y être asservie. A la condition d’en avoir la volonté en adaptant à cette nouvelle donne deux armes majeures, l’éducation et l’information.

C’est en démystifiant, en démontant, les divers ressorts de la sphère virtuelle que l’humanité la maîtrisera. D’où l’urgence d’entreprendre un enseignement spécifique le plus tôt possible afin de développer auprès des plus jeunes les sains réflexes du scepticisme vis-à-vis des cyberbidules et de leur contenu.

De même, c’est en facilitant le développement d’un journalisme de qualité et en lui assurant les moyens de ses missions que la société pourra devenir le maître plutôt que l’esclave des algorithmes. S’il reste possible, le pire n’est donc pas certain. A la condition de ne pas retomber non pas en enfance – moment magique de la découverte – mais en puérilité!


1L’utilisation d’un nom de biscuit américain pour qualifier un mouchard électronique est une marque parmi tant d’autres de l’euphémisation infantile propre à cet univers.

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