Artiste, le dernier des mythes?

Publié le 2 octobre 2018

«Der Arme Poet», Carl Spitzweg, 1839 – © DR

Comment est née l’image de l’artiste bohème et aristocratique, à la fois génie solitaire et membres d’une foisonnante avant-garde? En quoi l’artiste représente-t-il la valorisation du désintéressement que définissait Bourdieu? C’est ce qu’un livre passionnant du à Nathalie Heinich, sociologue de l’art française de la génération des soixante-huitards, «L’élite artiste» − paru en 2005, dans la collection Sciences humaines de Gallimard, et tout récemment réédité dans la collection Folio − nous raconte.

Une génération après que la Révolution eut supprimé les privilèges aristocratiques, vers 1820-1830, une nouvelle élite apparut dans la société française: les «artistes», dont le prestige deviendra tel qu’il leur permettra de s’égaler aux plus grands, malgré l’absence de naissance, de fortune ou de pouvoir. Et s’imposera l’idée qu’ils forment une seule catégorie mêlant, tous genres confondus, écrivains, peintres, sculpteurs, musiciens. Leur identité collective se définissant par l’excentricité, le hors-norme, la bohème, la marge.  

Dégagés des contraintes de l’organisation corporatiste qui faisait de leurs prédécesseurs des artisans au service des aristocrates, les romantiques dessinent une image de l’artiste fondée sur la singularité du génie individuel. A l’inégalité de naissance, qui caractérisait la société d’Ancien Régime, ils substituent l’inégalité du don.

La valorisation du singulier

Tenu à l’écart des avantages ordinairement associés à l’élite, qu’elle soit bourgeoise ou aristocratique, ne symbolisant pas un élitisme injuste avec des privilèges obtenus de naissance, ou une exploitation d’autrui telle que la pratique automatiquement la classe bourgeoise, à partir de cette génération romantique, ce sont donc les artistes qui ont incarné au mieux la valorisation du singulier.

Tout s’est passé comme si l’artiste avait été chargé de réaliser, pour la collectivité, un fantasme de toute-puissance, la revendication d’un espace de liberté absolue.

Vocation

Une vocation réussie exige de résister aux tentations d’une carrière mondaine qui entrave le libre cours de l’inspiration, et souvent aussi de renoncer à toute vie de famille

Un peintre, s’il...

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