Après le non à l’initiative de l’UDC, le plus difficile reste à faire

Publié le 28 novembre 2018

Fontaine de la justice à Neuchâtel – © DR

Victoire éclatante des forces de la société civile, de la droite classique et des milieux économiques contre l'initiative de l'UDC pour la primauté du droit suisse. Le scrutin aura au moins prouvé que le populisme n'est pas une fatalité. Mais après? Le résultat de dimanche ne préjuge ni du sort politique de l'accord-cadre avec l'UE, ni de la future votation sur la libre circulation des personnes. Le plus difficile reste donc à faire.

Pas un seul canton pour approuver l’initiative de l’UDC pour la primauté du droit suisse. Ironie piquante de l’histoire, la Suisse centrale, berceau de la résistance auxdits juges étrangers si l’on en croit la légende, n’a pas été davantage convaincue que le reste du pays qu’il fallait barrer la route à l’extension du droit international et de ses nouveaux baillis, à Strasbourg ou ailleurs.

La prétention du parti de Christoph Blocher à parler au nom du peuple a été sèchement désavouée. Les Suisses ont montré qu’ils n’étaient pas prêts à se laisser prendre en otage. Ils ont refusé de se faire tordre le bras par un parti qui n’a de cesse de se présenter comme le seul défenseur de la démocratie directe et de la volonté populaire contre les élites, les juges, les professeurs de droit et autres architectes de l’Etat de droit – cet ennemi du citoyen souverain dans la mythologie trompeuse entretenue par les nationalistes.

Etonnante capacité de résistance

Les citoyens ont dit non et l’un des enseignements les plus précieux de ce dimanche est sans doute l’étonnante capacité de résistance dont les citoyens ont fait preuve en rejetant des propositions qui reflétaient les aspirations populistes jusqu’à la caricature. La primauté sans nuance de la volonté populaire que cherchait à imposer l’initiative – au détriment des subtils checks and balances qui caractérisent le système helvétique – aurait plombé toute politique d’ouverture de la Suisse.

Le populisme n’est donc pas une fatalité et la démocratie directe n’en est pas le vecteur par essence. Voilà qui devrait rassurer pour l’avenir. La netteté du rejet était d’ailleurs inattendue et ne transparaissait pas dans les sondages. Les analyses à venir devraient permettre de mieux cerner les raisons de ce four complet pour l’UDC. Mais il paraît peu probable qu’à lui seul l’argument des droits de l’homme ait pu convaincre une majorité des votants d’Uri, de Schwyz, d’Obwald et de Nidwald, de Glaris, d’Argovie ou de Thurgovie. Les citoyens ont plus vraisemblablement refusé de cautionner un texte qui leur paraissait abstrait, leur parlait peu et dont ils avaient grand peine à mesurer les conséquences précises sinon pour comprendre qu’elles risquaient d’être défavorables à l’économie.

Bref, ils n’ont pas voulu acheter un chat en poche. Mais aussi rassurante que soit la défaite de l’UDC, ce serait illusoire de penser que désormais, la suite de l’histoire est écrite et que la partition en sera résolument ouverte à la supranationalité et à l’Europe.

Survie aléatoire

Le rejet de dimanche ne dit rigoureusement rien par exemple du destin politique de l’accord-cadre négocié avec l’UE. Une acceptation de l’initiative l’aurait assurément compromis, mais le non sorti des urnes ne préjuge pas de sa survie, à ce jour des plus aléatoires.

Le Conseil fédéral devrait prendre une décision importante à ce sujet ce vendredi, mais les résistances à l’égard des «juges étrangers» de l’UE seront beaucoup plus difficiles à combattre que l’initiative de l’UDC. Elles existent en effet aussi bien dans le camp conservateur qu’à gauche. Il y a quelques jours, la condamnation par la Cour de l’UE de l’équivalent des mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes dans la législation autrichienne a confirmé encore davantage les syndicats suisses de la justesse de leur refus de tout compromis sur ce point.

La négociation de cet accord-cadre avec Bruxelles bute sur des questions en bonne partie analogues à celles qui avaient entraîné le rejet de l’EEE en 1992. Il n’est d’ailleurs pas totalement farfelu de se demander si, à tout prendre, les solutions offertes par l’EEE ne sont pas en définitive plus satisfaisantes que les figures quelque peu baroques dans lesquelles les négociateurs suisses se sont engagés et que seuls les diplômés en droit européen semblent en mesure de comprendre réellement. Quoi qu’il en soit, la défense de cet accord devant le peuple ne sera pas une mince affaire. Elle conditionne pourtant la poursuite de nos relations avec l’UE.

A terme, les Suisses auront également à se prononcer sur le maintien de la libre circulation des personnes, l’UDC ayant fait aboutir une initiative qui en exige l’abrogation.  Là encore, le scrutin s’annonce existentiel, car la voie bilatérale n’est pas concevable sans la libre circulation.

On le voit: la victoire du non dimanche était importante, mais elle ne constituait de loin pas l’étape la plus difficile. Elle aura au moins évité à la Suisse d’ajouter son nom à la liste des pays qui semblent avoir choisi le populisme comme avenir. Et elle aura démontré qu’il est possible, qu’il est même nécessaire, pour les partisans de l’ouverture de remettre le peuple dans le coup. C’est déjà beaucoup.

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