A l’est aussi, la colère se crie dans la rue

Publié le 16 décembre 2018

Les manifestants font entendre leurs voix à Budapest. – © Twitter @erdosdenes

Fixés sur les gilets jaunes français et la déconfiture du président jupitérien, nous perdons de vue ce qui se passe à l’est de l’Europe. Où, dans plusieurs pays, s’élèvent de puissantes clameurs. Pour exiger plus de démocratie et de justice. Tour d’horizon.

Manifestation sur la Place des héros de Budapest. © Twitter @c_leotard

Hongrie. Depuis plusieurs soirs, des milliers de manifestants (bien plus qu’à Paris ce dernier samedi!) se rassemblent devant le Parlement avec des slogans hostiles au pouvoir: «Orban dégage», «Fidesz mafia». La colère a éclaté après le passage en force de deux lois vivement controversées. La première dite «esclavagiste» porte sur un assouplissement des heures supplémentaires: elles pourront atteindre 400 par an, comptabilisées sur un délai de trois ans. Le gouvernement a cédé surtout aux demandes des industries de l’automobile qui manquent de bras. L’autre disposition dénoncée prévoit une nouvelle juridiction spéciale pour encadrer les manifestations, les médias, les marchés publics et le droit d’asile. Une façon de cadenasser davantage encore l’exercice du pouvoir. L’opposition au parti dominant (Fidesz) reprend espoir mais elle est divisée en plusieurs courants, libéraux, de gauche, écologistes… et d’extrême-droite. Des groupes de citoyens s’organisent pour rédiger, imprimer avec les moyens du bord, diffuser dans la rue des feuilles d’information indépendantes. Tentative dérisoire d’apporter un contre-poids à l’appareil médiatique (presse et TV) contrôlé par le pouvoir.

En octobre déjà, les Hongrois étaient nombreux à se mobiliser. © Hungary News

Serbie. Ce samedi, pour le deuxième week-end consécutif, l’opposition a mobilisé la foule à Belgrade, sous la neige, à coups de klaxons et de sifflets, pour dénoncer l’autoritarisme et la présumée corruption du président Vucic. Les objets de la colère sont nombreux. Le gouvernement s’est allié à un opérateur privé, proche du président, pour s’assurer le contrôle de pratiquement toutes les chaînes de télévision. La mainmise de l’Etat sur les médias est en route. Autre sujet d’indignation: un vieux quartier de la capitale va faire place à un méga-projet immobilier, le Belgrade Waterfront qui se profile comme «le Dubai des Balkans». L’opération n’a jamais été soumise à l’avis de la population qui suspecte des agissements opaques, promis à enrichir quelques tenants du pouvoir. Le président Vucic a déclaré qu’il ne céderait à aucune revendication «même s’il y a cinq millions de personnes dans la rue». 

A noter : ce n’est pas l’annonce récente d’un projet d’armée du Kosovo, une provocation pour la Serbie, qui a enflammé les esprits. Aussi insensée soit cette initiative des dirigeants de ce pseudo-pays qui survit grâce à l’aide internationale… et aux mafias.

Le Belgrade Waterfront prend peu à peu forme à l’horizon. © Twitter @sedamdeseti

Albanie. Ces jours aussi une masse considérable d’étudiants y ont mis le pouvoir sous pression. Ils ont bloqué une autoroute et fait entendre leur voix au centre-ville. Ils s’indignent contre l’augmentation des taxes universitaires, réclament plus de crédits pour l’éducation et la formation. «Aujourd’hui, trop d’entre nous sont contraints à l’émigration. Nous voulons avoir un avenir dans notre pays», expliquent-ils. 

Les étudiants albanais ont bien l’intention de se faire entendre. © Twitter @Mitrala

La démocratie a toutes les peines à trouver son expression à l’est du continent. Mais sa flamme n’est pas éteinte. 

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