Zaric, passion ultime

Publié le 6 mars 2019
C’est une toute petite sculpture. D’autant plus modeste qu’elle est installée sur un socle massif dans le chœur de l’église Saint-François à Lausanne. Il s’agit de la dernière œuvre réalisée peu avant sa mort par Nikola Zaric. Cet immense artiste disparu bien trop tôt en 2017. Sa présentation, dont c’était hier le vernissage, s’accompagne de toute une série de manifestations jusqu’en juin prochain, concerts, lectures, conférences.

Pour réaliser sa sculpture, Zaric, dont on connaît les figures méditatives, mi-humaines mi-animales, souvent monumentales, s’est inspiré de ce qui pourrait être la plus ancienne représentation de la crucifixion de Jésus. Un graffito dessiné entre le Ier et le IIIe siècle sur un mur du palais impérial à Rome. Il représente un âne crucifié salué par un certain Alexamenos, selon l’inscription en mauvais grec qui l’accompagne. L’auteur anonyme du graffito, à l’évidence, a voulu moquer la religion naissante. Zaric, au contraire, tout en conservant la tête de l’animal, mais en omettant la croix, en a fait un Christâne accueillant, les bras grands ouverts face à Alexaménos. Une figure bien davantage de ressuscité que de supplicié, d’une infinie tendresse.

Dans cette œuvre se manifeste pleinement ce «rapport à l’enfance – à l’implication, la gravité, la liberté de l’enfance», que souligne Marion Muller-Colard dans son livre, L’éternité ainsi de suite, consacré à sa rencontre avec l’œuvre du sculpteur. Ouvrage sorti tout exprès pour l’exposition et dont elle a lu de larges extraits lors du vernissage pour lequel il y avait foule. Beaucoup étant venu autant pour elle que pour Zaric.

«A présent, le burin de votre regard continuera le travail»

On ne présent plus Marion Muller-Colard. Cette théologienne marseillaise d’à peine quarante ans, magnifique écrivaine, dont l’aura et le renom – pleinement mérités – dépassent de très loin les cercles du protestantisme hexagonal. Elle a notamment publié L’Autre Dieu (2014), réflexion sur le livre de Job, et plus récemment, Le jour où la Durance. Un premier roman chez Gallimard. Passant plusieurs jours à Lausanne, Marion Muller-Colard, a, comme elle le rapporte, suivi Nikola «à la trace». Rencontrant Brigitte, la veuve de l’artiste, respirant la poussière de son atelier. Elle a même gravi la montagne, en dépit du vertige, jusqu’au glacier et à la cabane du Trient pour y découvrir la Femlièvre. Son livre est la fois un hommage à l’artiste et une lumineuse méditation sur la mort accordée à la vie. «Parce que tu es mort, j’ai écrit (…) Il n’y avait vraiment aucune bonne raison de mourir. Seulement, c’est comme ça, elle nous prend tant. Alors, il faut dire aussi ce qu’elle donne. Ta mort nous a donné l’imaginaire, elle l’a renfloué d’un espace nouveau.»

Marion Muller-Colard lisant lors du vernissage © RA

Marion Muller-Colard reviendra à Saint-François à deux reprises encore, les 8 et 9 mai. Autres manifestations à retenir, la projection, le 15 mai, du film de Thomas Wüthrich, Zaric – Face au glacier, dont Anna Lietti avait parlé ici même, dans ces colonnes.

«Passions Zaric à Saint-François», Lausanne, jusqu’au 8 juin. Programme complet:
http://www.sainf.ch/evenement/passions-zaric/


 
Marion Muller-Colard, L’éternité ainsi de suite, Labor et Fides/Bayard, 2019


A lire aussi: 

Zaric, sculpteur entre terre et ciel – Anna Lietti

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