Pascal Couchepin dénonce les abus de pouvoir du Conseil fédéral

Publié le 6 août 2021
L’ex-conseiller fédéral valaisan n’a jamais eu la langue dans sa poche. Mais il est rare de voir un ex-membre du gouvernement tancer de la sorte celui d'aujourd'hui. Pour une bonne raison: il soulève l’actuel problème posé à la démocratie en Suisse, étonnamment peu évoqué par ailleurs. Le ponte valaisan ne comprend pas comment on a pu saborder l’accord-cadre avec l’UE sans débat parlementaire ni vote populaire. Il y voit peut-être… un effet Covid! Interview parue dans «Schweiz am Wochenende».

L’excellent journaliste Henry Habegger est allé à Martigny pour Schweiz am Wochenende (à lire notamment dans l’Aargauer Zeitung du 31 juillet 2021). Dans le «jardin de curé », plein de fruits et de fleurs, où il s’est entretenu à bâtons rompus avec Pascal Couchepin… qui venait de relire Le Tartuffe de Molière. Pourquoi? Parce qu’il y avait songé en apprenant que la maire écologiste du 12e arrondissement de Paris veut interdire une statue à la gloire de Johnny Hallyday, sa guitare ayant selon elle la forme d’un phallus agressif! Dans la pièce, «le pieux hypocrite voulait cacher les seins d’une femme afin de ne pas les voir… il se passe des choses semblables chez les Verts en France!»

«L’UE ne menace d’aucune manière notre dignité»

Et la Suisse? Question de saison: qu’est-ce qui nous tient ensemble? Couchepin: «Pour moi, c’est la discussion politique et la capacité d’exprimer des opinions contradictoires, sans traiter les autres de traîtres ou de moins bons patriotes. Cette force nous manque.» Pourquoi? Parce que les problèmes sont de plus en plus complexes et, devant la peine à s’y retrouver, chacun a tendance à s’ancrer dans son opinion. Et il y a l’effet UDC, systématiquement contre les autorités, contre les autres. Quand on cultive la position «seul contre tous les autres», on en vient à considérer les autres comme des ennemis. Ce qui se passe avec la fin de l’accord-cadre. On se dit que l’UE est méchante, que nous sommes la pauvre minorité opprimée… Problème: «400 millions d’habitants face à huit, cela fait une différence, et l’UE ne menace d’aucune manière notre dignité. A la différence des USA. Il y eut des décisions américaines face auxquelles la Suisse a dû obéir, comme dans le conflit fiscal…»

Ce qui préoccupe Pascal Couchepin, c’est notre façon de débattre. «Notre actuelle culture de la discussion est une non-culture.» Unkultur en allemand. A preuve, l’interruption des négociations avec l’UE. «Je me demande si le Conseil fédéral aurait songé à mettre fin à ces discussions sans consulter le parlement et le peuple si nous n’étions pas sous l’état d’urgence.» Une situation de temps de guerre. Et de rappeler qu’il fallut des années et plusieurs initiatives populaires, après la Seconde Guerre mondiale, pour que le Conseil fédéral renonce enfin à ses pouvoirs spéciaux. «C’est intéressant, remarque-t-il, lorsque les gens s’habituent à gouverner ainsi, ils deviennent moins sensibles à la démocratie directe…»

«Pourquoi le Conseil fédéral est-il de plus en plus tenté de se détourner du Souverain?»

D’autres exemples? On dit que le peuple a décidé de sortir du nucléaire, or il n’a jamais voté en ce sens, mais le gouvernement pose cela en principe. Idem pour le moratoire sur l’application du génie génétique. Prolongé mais sans consultation populaire. Couchepin: «Pourquoi le Conseil fédéral est-il de plus en plus tenté de se détourner du Souverain?» Et d’en appeler au courage de débattre des sujets sensibles, sans s’insulter, et de laisser le peuple décider. L’accord-cadre encore… «C’eût été une fantastique occasion! Mais je note que nos amis de l’UDC qui prétendent sans cesse défendre les droits populaires ont jubilé lorsque le Conseil fédéral a décidé seul, de façon autoritaire, d’interrompre les pourparlers.»

On devine qu’il a monté le ton quand on lui a servi la chanson de la souveraineté qui aurait ainsi été préservée. «Comme si l’on était souverain alors que l’on se détourne du vrai Souverain! Ces gens oublient que la souveraineté de la Suisse est entre les mains de son peuple et non de certaines élites.»

«La pression d’en bas, de la base, est en train de monter»

Pessimiste, alors? Non pas. «Je suis heureux de voir un trend positif dans la société suisse d’aujourd’hui. Le nombre d’initiatives populaires sur des thèmes importants montre qu’il manque quelque chose aux gens. Il sentent que le système actuel n’est plus équilibré. La pression d’en bas, de la base, est en train de monter.» Ah oui? «Je pense au second référendum sur la loi Covid et au référendum contre la loi de soutien aux médias. Au moins il y aura des débats. Ou l’initiative sur la 13e rente de l’AVS, ou celle des Jeunes Radicaux qui ont réuni sans grand appareil et en très peu de temps 140 000 signatures. C’est très encourageant. Ces initiatives touchent à des domaines où les réformes sont bloquées, où la politique ne décide pas. J’espère, je prie même, qu’elles débouchent sur des discussions constructives et qu’il en résultera à la fin de bons compromis à la manière suisse.»

L’Europe enfin? «La population a toujours été en faveur d’un développement des relations avec l’UE. Elle va voir un certain temps ce qui se passe. Puis elle veillera à ce que cela se poursuive. Nous nous sommes montrés peu fiables aux yeux de l’UE. Nous ne pouvons pas aussi vite retourner à Bruxelles et demander le retour de la confiance.»

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