Vivre dans les fièvres de la fiction

Publié le 16 juillet 2021
Les écrivains et scénaristes imaginatifs ont de quoi déprimer. Ils sont dépassés non par la «réalité» mais par toutes sortes de fictions qui s’imposent à nous. La fièvre est partout. Nous devenons les spectateurs et parfois les acteurs d’un film aux cent versions.

Incroyable histoire. Un commando de 26 militaires colombiens à la retraite, aidés par deux Américains qui se disent interprètes de l’équipe, va flinguer le président de Haïti dans sa maison. Les tueurs auraient été recrutés par offre d’emploi sur un site spécialisé. Une superproduction qui en rajoute une couche à la tragédie de ce peuple martyr à l’histoire héroïque. Le suspense dure: qui a payé l’opération? Sujet de film!

En Centrafrique, les mercenaires russes du «groupe Wagner» appuient le gouvernement les armes à la main. Ils se sont mis en scène dans un long-métrage de fiction/réalité présenté à Bangui et diffusé sur le net. Avec toutes les grosses ficelles du genre.

Quant au plumitif qui aurait échafaudé une story à partir de chauve-souris ou de tripatouillage de virus en laboratoire au fond de la Chine jusqu’à conduire à l’affolement de la planète entière, hier il n’aurait guère été pris au sérieux. Son bouquin serait resté dans les rayons réservés aux obsédés de science-fiction. Banni pour complotisme forcené. Et pourtant…

Cette saga n’en finit pas. Propulsée par le premier composant du genre: la peur. Assaisonnée par l’ingrédient subséquent: le triomphe de quelques héros, de quelques margoulins et de quelques potentats.

Les vaccinés contre le reste du monde

Avec des batailles en pagaille! Un gigantesque duel en suspens entre la Chine et les Etats-Unis. Rivalité entre les pharmas qui se disputent le marché mirobolant des vaccins, activant leurs agents auprès des pouvoirs. Ici et là, chez nous aussi, cette histoire naviguant entre réalité et imaginaire monopolise l’attention. Le fossé entre riches et pauvres? C’est dépassé. Entre croyants et mécréants? Vieille histoire. Celle qui se noue à coups de déclarations tonitruantes oppose les purs et les impurs, les vaccinés au grand cœur et les rebelles égoïstes. «Vous aurez des morts sur la conscience!» lance un ténor politique autrefois grand défenseur des libertés individuelles. Ce qui excite le camp d’en face: «Vous ne savez pas les conséquences de ce que vous voulez nous injecter!» La dernière? «Je ne couche plus avec les vaccinés, votre truc se transmet aussi par le sexe!»

Dans ce vacarme amplifié par les médias et les réseaux, les appels au calme et à la raison ne font guère le poids. Il y en a pourtant, parfois fort bien tournés. Tel celui de l’historien lausannois Antoine Gallay qui s’écrie dans Le Temps: «Hérauts de la vaccination, cessez le feu!». En connaissant un bout sur l’histoire des sciences et les emportements qu’elles ont suscités dans le passé, il nuance les positions des uns et des autres et démonte le mécanisme de l’escalade. Avec un sage rappel: ce n’est pas en insultant et menaçant les contradicteurs qu’on les convainc. Mais comment sortir des discours hyperscénarisés et revenir à une réalité concrète, nuancée, souvent contradictoire?

Un grand esprit s’y emploie. Edgar Morin qui vient de fêter ses cent ans! Une destinée passionnante qu’il évoque avec finesse dans Leçon d’un siècle de vie, récemment paru (Ed. Denoël). Le théoricien de la pensée complexe distille chaque jour des tweets qui donnent à réfléchir plus qu’à s’étriller. Pour son anniversaire, il est couvert d’hommages de toutes parts. Ce qui lui fait dire: «La presque unanimité au centenaire de celui qui fut et reste un déviant doit-elle désoler ou réconforter?» Le sourire aux lèvres jusqu’au bout.

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