La défense suisse plus portée sur la mythologie que sur l’efficacité

Publié le 11 septembre 2020
Ainsi donc les chasseurs-bombardiers dernier cri nous protégeraient. C’est une farce coûteuse: d’abord six milliards, une vingtaine en comptant les frais d’exploitation. La probabilité d’une guerre classique, d’une attaque aérienne (russe? chinoise?) est nulle. Et comme le dit bien le Vert Brélaz, si des jets hostiles atteignaient la Suisse, cela veut dire que ceux de l’OTAN ne les auraient pas arrêtés. Nous serions seuls pour sauver l’Europe? On est dans un Wargame invraisemblable. En attendant, notre défense est totalement démunie face à des scénarios beaucoup plus plausibles: les agressions cybernétiques et biologiques, les drones et autres mini-engins contre lesquels les avions prévus ne peuvent rien. La mythologie historique nous égare.

La police du ciel? Pas si importante si l’on songe que jusqu’à très récemment l’aviation militaire helvétique n’opérait que pendant les heures de bureau. Lorsqu’un aéronef s’égarait hors de sa route et hors du temps administratif — c’est arrivé (rarement) —, il fallut l’aide des Italiens et des Français pour les guider vers Cointrin… Des appareils beaucoup moins coûteux suffiraient à cette mission.

Ceux que souhaitent l’état-major sont en revanche des machines conçues pour une guerre à l’échelle européenne, capables d’aller bombarder à des centaines de kilomètres de nos frontières. Il s’agirait simplement de s’intégrer au dispositif de l’OTAN. Si c’est un modèle américain qui est choisi — fort vraisemblable — toutes ces opérations seront automatiquement connectées aux systèmes du Pentagone, soumises de fait à son approbation selon des critères politiques élargis, définis par les Etats-Unis. Ce qui ne fait pas broncher nos vaillants défenseurs de la neutralité! 


Lire aussi: Comment les Américains inspectent l’armée suisse


En réalité, l’insistance en faveur de cet achat résulte d’un double et puissant lobbying économique. Celui des constructeurs, à cet égard les Américains sont particulièrement efficaces, et celui des sous-traitants suisses à qui est réservé une part du gâteau, plus d’un milliard de francs. Un plan de relance qui ne dit pas son nom.

Mais voilà, selon les sondages, le crédit sera accepté. C’est si rassurant d’entendre les machines volantes vrombrir dans le ciel les jours de parade!

Quant aux lacunes de la défense actuelle, on ne les évoque pas trop. On préfère d’autres sujets de peur. Et pourtant… la liste des pannes est longue. En janvier 2016, des pirates informatiques — qui n’ont jamais été identifiés — ont eu accès à tout le système de l’usine d’armement de la Confédération Ruag. Le département de la défense n’a encore élaboré aucun plan sérieux pour se prémunir contre de telles agressions. Il faut dire que tout ce pan de l’administration — comme d’autres… — patauge dans sa gestion informatique. La NZZ vient de révéler un rapport secret qui rapporte l’inefficacité et le manque de sécurité du système. Il faudra des années et des sommes considérables pour y remédier. En tout cas, rien n’ira mieux avant 2026. 

Piquante et révélatrice anecdote: lors du dernier sommet de Davos, en janvier, les avions chargés de surveiller le lieu n’ont pas pu décoller pendant plusieurs heures en raison d’une panne… de Swisscom. Les pilotes ont apparemment besoin de ce réseau fort vulnérable pour opérer!

On pourrait allonger la liste des mésaventures de ce ministère. N’en ajoutons qu’une: le gros drone israélien prévu pour surveiller les frontières, commandé il y a cinq ans, qui reste au hangar tant ses défauts sont nombreux. Même pas de dispositif contre le givrage!

Le plus inquiétant est ailleurs. La cheffe du département, aussi sympathique soit-elle, semble suivre aveuglément les dires de ses «généraux». Ceux-ci n’ont manifestement pas totalement intégré les nouveaux visages des conflits d’aujourd’hui. Une fois de plus en retard d’une guerre. En 1914, il fallut une collecte de la Société suisse des officiers pour acheter les premiers avions qui alors n’intéressaient pas le gouvernement. A l’approche de la Seconde guerre mondiale, l’état-major encore obsédé par la première, dut en hâte se procurer quelques Messerschmitt allemands… qui, après quelques brefs escarmouches, sur pression diplomatique hitlérienne, durent rester au sol.

Hé! Ho! chère Viola Amherd, il vous faut lire davantage les revues militaires internationales. Les conseils de l’aimable Claude Nicollier, nostalgique de ses vols sur les Alpes et dans l’espace, ne suffisent pas. Ceux de vos stratèges bureaucrates et des lobbyistes de tout poil non plus. Le XXIème siècle réinvente constamment la guerre.

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