«En Tunisie, le renoncement aux interdits religieux passe par une phase d’hypocrisie»

Publié le 4 septembre 2020
Membre de l’Académie tunisienne, psychanalyste, professeur honoraire de l’Université de Paris, Fethi Benslama publie sur sa page Facebook des commentaires sans filtre sur la situation en Tunisie, son pays. Pionnière des Printemps arabes, la Tunisie donne des signes d’inquiétude, accentués ces derniers mois: crises politiques à répétition, stagnation économique, pas seulement dues à l’épidémie de Covid-19. Interview.

Le président tunisien, Kaïs Saïed, élu triomphalement l’an dernier, s’est attiré en août les foudres des libéraux en réaffirmant l’inégalité homme-femme devant l’héritage. Auteur en 2016 d’un essai remarqué, «Un furieux désir de sacrifice. Le surmusulman» (Seuil), Fethi Benslama, dont l’approche des choses est toujours originale et substantielle, décrypte l’actuelle situation tunisienne.
Le Liban passait pour la Suisse du Moyen-Orient. Après son Printemps de 2011, ce sort enviable était promis à la Tunisie. Mauvais œil! Neuf ans plus tard, le pays, en effet comparable à la Suisse par la taille et le nombre d’habitants, semble atteint d’une terrible gueule de bois sur plusieurs plans: politique, économique, identitaire et naturellement sanitaire avec l’épidémie de Covid-19 qui agit défavorablement sur les autres secteurs. La Tunisie renoue-t-elle avec le cliché du «pays arabe» incapable de décoller?
Les difficultés sont en effet nombreuses, mais il faut mettre sur l’autre plateau de la balance les libertés acquises avec la révolution de 2011; l’expérience démocratique en cours est réelle, incomparable dans le monde arabe. La dignité politique est un bien inestimable. Mais il est vrai que la Tunisie d’aujourd’hui est plus fragile et fait face à des problèmes qui peuvent conduire à une perte de contrôle sur son avenir. Les Tunisiens sont très inquiets, mais les dés ne sont pas jetés. Le vieux rêve d’être la Suisse est une singerie, personne de sérieux ne songe à le reprendre. La Suisse n’est pas exportable, sauf pour le chocolat dont les Tunisiens raffolent beaucoup.
Sans doute un peu naïvement, on pensait que la Tunisie possédait beaucoup d’atouts pour réussir: un acquis laïc, un système éducatif développé, une unité nationale allant de soi, un goût pour le compromis, une...

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