Watson et son chemin vers la Suisse romande

Publié le 10 mai 2020

Une des «stars» du journal en ligne Watson, c’est Emma Amour qui tient une chronique où elle fait un reportage flagrant sur sa vie amoureuse.
Il n’y a que trois personnes qui connaissent sa vraie identité.

Nous savons que les médias suisses sont dans une mauvaise passe. De la radio à la télévision en passant par la presse écrite, la chute de la publicité se chiffre en millions et de nombreux éditeurs et journalistes tremblent pour leur existence. Sauf un. Il a fait une déclaration étonnante il y a tout juste deux semaines. Il a déclaré vouloir créer en Suisse romande une rédaction de vingt journalistes afin de maintenir d'une part la diversité des médias et d'autre part, de pouvoir offrir à ses annonceurs une couverture nationale.

Qui est cet homme qui, dans une période aussi turbulente, va à l’encontre de toutes les autres structures établies? Et comment s’y prend-il?

Voyage à Zurich, la capitale traditionnelle des grandes maisons de média suisses. Watson, le portail en ligne de la maison d’édition AZ Medien, y a également sa rédaction, à la Hardstrasse 235. C’est son directeur, Michael Wanner, qui a annoncé la nouvelle: Watson veut s’étendre en Suisse romande.

Michael Wanner, 37 ans, est issu de la plus jeune génération de l’entreprise familiale AZ Medien, vieille de plus de 180 ans. Dynamique, innovateur et entrepreneur comme son père. Un bref mot sur le patriarche: Peter Wanner, véritable bâtisseur et journaliste passionné, depuis 2018 également vice-président de l’Association des éditeurs, a considérablement développé l’empire médiatique de la famille au cours des trente dernières années grâce à son courage et à son dynamisme. Depuis la fusion des activités principales d’AZ Medien avec les médias régionaux de la NZZ, il y a deux ans, il détient 50 % de la nouvelle société CH Media, la troisième plus grande entreprise privée de médias en Suisse. Elle ne constitue pas seulement le deuxième plus grand éditeur de journaux du pays après Tamedia, l’entreprise est également le premier fournisseur de radio et le plus grand fournisseur privé de télévision en Suisse. Chiffre d’affaires en 2019: 448 millions de francs.

Michael Wanner, 37 ans, directeur de Watson. DR

Mais qu’en est-il de Watson, appellation qui provient de l’anglais What’s on, à l’affiche…

Cette plateforme a été fondée il y a presque six ans. Hansi Voigt, ancien rédacteur en chef de 20minuten Online, en a présenté le concept et Peter Wanner, l’éditeur, a investi.

L’idée était de créer un site combinant information, divertissement et publicité pour créer un programme journalistique complet particulièrement à l’intention de la génération des médias sociaux.

Et ils parient sur le bon cheval. Aujourd’hui, Watson est la troisième plateforme financée par la publicité la plus lue en Suisse, avec plus de 27 millions de visites par mois (derrière 20minuten et blick.ch). Il y a deux ans, Watson a donc pu exporter son concept en Allemagne, où www.watson.de figure désormais dans le top 20 des sites web les plus consultés.

Le tout financé par la publicité

Le pari est donc lancé, pour le début 2021, de gagner la Suisse romande. La première étape a déjà été franchie avec la nomination de Sandra Jean comme rédactrice en chef.

Le succès de ce concept est dû à la formule de Hansi Voigt, que l’actuel rédacteur en chef Maurice Thiriet a développée: un programme journalistique complet composé de nouvelles, de débats et de divertissements, préparé pour les habitudes d’utilisation de la jeune génération. Outre les articles journalistiques classiques tels que les analyses du Parlement fédéral ou les interviews, Watson propose des rubriques telles que Emma Amour, où une femme d’une trentaine d’années raconte sa vie amoureuse en tant que célibataire à Zurich, ou le Picdump, où les images les plus drôles d’Internet sont montées tous les mercredis. Watson est diversifié, tout comme l’équipe de journalistes, qui se compose de vieux briscards, de jeunes débutants et de nouveaux venus dans le métier, des personnes qui changent de carrière. C’est peut-être ce qui fait le succès de Watson: très proche de la réalité de la vie de ses utilisateurs grâce à la mixité sociale de sa rédaction. En parlant avec Michael Wanner, on peut sentir une vraie passion pour le journalisme qu’il formule clairement:

«Le journalisme n’est pas n’importe quelle profession. Contrairement à d’autres secteurs, le journalisme et la diversité des médias sont nécessaires au bon fonctionnement de la démocratie. Pour exercer ce métier, il faut une certaine conviction pour la cause, pour l’institution du journalisme. Vous pouvez gagner plus d’argent dans une banque. Le métier de journaliste a plus de sens».

Il lui paraît logique que cette profession sache s’adapter aux défis changeants du monde actuel. Notamment par la numérisation: «Le travail répétitif, comme la saisie des procès-verbaux des audiences du tribunal ou des résultats sportifs par exemple, sera pris en charge par des algorithmes. Mais il faudra encore et toujours des personnes qui fassent des choix, qui hiérarchisent l’information. En substance, peu de choses vont véritablement changer: il s’agit de rapporter les choses telles qu’elles sont. C’est l’essence même du journalisme

La rédaction de Watson à la Hardstrasse emploie environ 55 personnes (postes à plein temps). Parmi eux, 40 sont des journalistes, 15 personnes travaillent dans les équipes techniques et marketing internes. Watson bénéficie de l’équipe de rédaction de CH Media. Ils échangent du contenu au plan national et optimisent ainsi les ressources. Pour les sujets internationaux, Watson coopère avec Zeit Online et t-online.de.

40 journalistes et 15 personnes travaillant dans les équipes techniques et marketing internes forment l’équipe de Watson à la Hardstrasse 235 à Zurich. DR

Il s’agit donc d’une plateforme financée par la publicité. Michael Wanner ne veut pas donner de chiffres. Mais il admet que la publicité native représente une part importante du chiffre d’affaires. La «publicité native» soulève des critiques depuis longtemps, car c’est une forme de publicité dans laquelle le contenu est préparé dans le même style que les contributions éditoriales du support. Cependant, chez Watson, ces publicités sont explicitement signalées.

Il s’explique de manière pragmatique: «Avec le « Native Advertising », c’est en fait assez simple: en tant que portail d’information, la crédibilité est notre plus grand atout. Cela ne doit pas être compromis. C’est également dans l’intérêt des annonceurs qui veulent obtenir un transfert d’image positif pour leur marque. La clé pour assurer cette crédibilité est la transparence. Si le contenu publicitaire est clairement signalé, l’opération est évidente pour le lecteur, et au final tout le monde est gagnant. Il est paradoxal que nous soyons souvent critiqués. Nous sommes tout simplement les plus transparents. Si vous ne mentionnez pas, comme certains, que tel ou tel article a été financé par une marque, si personne ne le remarque, paradoxalement, on n’entend pas de critique.»

Lorsqu’on lui demande si Watson a introduit le chômage partiel pendant la crise du coronavirus, il répond: «La crise structurelle de la presse et le déclin de la publicité qui en découle touchent principalement la presse écrite. Le marché de la publicité en ligne est attrayant et continue de se développer. Le Coronavirus a aggravé cette crise structurelle de la presse par une crise économique. En ce qui concerne la publicité, la crise a créé une incertitude sur le marché, mais en ligne elle résiste. Watson se porte bien. Nous n’avons pas introduit le chômage partiel.»

Ce sont les annonceurs nationaux qui ont incité Michael Wanner à se pencher sur l’idée de la Suisse romande. Les analyses ont montré qu’il y a à la fois de la place pour un nouveau média et une demande de publicité nationale en ligne. Par conséquent, les conditions sont réunies. Mais bien sûr, cela ne peut pas se faire sans investisseurs. Pour lancer une start-up, des investissements sont nécessaires. Et l’éditeur espère trouver l’intérêt pour cette idée du côté francophone.

Les sept prochains mois sont planifiés. L’objectif est de mettre en place la rédaction romande d’ici le début de l’année 2021. Le lieu n’a pas encore été décidé. Mais il est clair que la rédaction sera indépendante de Zurich. Pour Michael Wanner, il est évident qu’un portail romand doit être fait par les Romands. Pour cela, une équipe éditoriale indépendante est nécessaire.

Il est confiant quant à l’avenir des portails d’information en ligne: «Bien sûr, nous devons rester innovants et nous adapter aux nouvelles habitudes d’utilisation des générations futures. Mais nous continuerons essentiellement à offrir un programme journalistique complet et exigeant.»

L’équipe de Bon pour la Tête souhaite à Michael Wanner beaucoup de succès avec ce projet, car nous pensons que toute initiative qui contribue à la diversité des médias doit être soutenue.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Sciences & Technologies

Intelligence artificielle: quelle place pour la liberté de la presse et le quatrième pouvoir?

Exercer son esprit critique alors que les promesses de facilité et de rapidité des systèmes d’IA nous invitent à l’endormir et à la paresse intellectuelle devient une nécessité vitale pour chacun d’entre nous. S’interroger sur ce que fait l’IA à la presse et aux médias est tout aussi impératif. Cela (...)

Solange Ghernaouti
Politique

La vérité est comme un filet d’eau pur

Dans un paysage médiatique saturé de récits prémâchés et de labels de «fiabilité», l’information se fabrique comme un produit industriel vendu sous emballage trompeur. Le point de vue officiel s’impose, les autres peinent à se frayer un chemin. Pourtant, des voix marginales persistent: gouttes discrètes mais tenaces, capables, avec le (...)

Guy Mettan
PolitiqueAccès libre

Pacifistes, investissez dans l’armement!

Le journal suisse alémanique «SonntagsZeitung» n’a aucun scrupule: dans sa rubrique Argent, il recommande désormais, avec un certain enthousiasme, d’acheter des actions dans le secteur de la défense… lequel contribue à la paix, selon certains financiers.

Marco Diener
Culture

Vallotton l’extrême au feu de glace

A propos de la rétrospective «Vallotton Forver» qui a lieu à Lausanne, dix ans après l’expo déjà mémorable du Grand Palais à Paris, et d’un petit livre d’une pénétrante justesse sensible de Maryline Desbiolles.

Jean-Louis Kuffer
PolitiqueAccès libre

Qui a des droits et qui n’en a pas, la démocratie à géométrie variable

Les votations cantonales vaudoises en matière de droits politiques, notamment pour les résidents étrangers, soulèvent des questions allant bien au-delà des frontières cantonales et nationales. Qu’est-ce qu’une communauté? Qui a le droit d’en faire partie? Qui en est exclu? Est-ce la raison et la logique ou bien plutôt les affects (...)

Patrick Morier-Genoud
Histoire

La Suisse des années sombres, entre «défense spirituelle» et censure médiatique

En période de conflits armés, la recherche de la vérité est souvent sacrifiée au profit de l’union nationale ou de la défense des intérêts de l’Etat. Exemple en Suisse entre 1930 et 1945 où, par exemple, fut institué un régime de «liberté surveillée» des médias qui demandait au journaliste d’«être (...)

Martin Bernard
SantéAccès libre

PFAS: la Confédération coupe dans la recherche au moment le plus critique

Malgré des premiers résultats alarmants sur l’exposition de la population aux substances chimiques éternelles, le Conseil fédéral a interrompu en secret les travaux préparatoires d’une étude nationale sur la santé. Une décision dictée par les économies budgétaires — au risque de laisser la Suisse dans l’angle mort scientifique.

Pascal Sigg
Politique

La neutralité fantôme de la Suisse

En 1996, la Suisse signait avec l’OTAN le Partenariat pour la paix, en infraction à sa Constitution: ni le Parlement ni le peuple ne furent consultés! Ce document, mensongèrement présenté comme une simple «offre politique», impose à notre pays des obligations militaires et diplomatiques le contraignant à aligner sa politique (...)

Arnaud Dotézac
Politique

Honte aux haineux

Sept enfants de Gaza grièvement blessés sont soignés en Suisse. Mais leur arrivée a déclenché une tempête politique: plusieurs cantons alémaniques ont refusé de les accueillir, cédant à la peur et à des préjugés indignes d’un pays qui se veut humanitaire.

Jacques Pilet
Economie

Le secret bancaire, un mythe helvétique

Le secret bancaire a longtemps été l’un des piliers de l’économie suisse, au point de devenir partie intégrante de l’identité du pays. Histoire de cette institution helvétique, qui vaut son pesant d’or.

Martin Bernard
Sciences & Technologies

Des risques structurels liés à l’e-ID incompatibles avec des promesses de sécurité

La Confédération propose des conditions d’utilisation de l’application Swiyu liée à l’e-ID qui semblent éloignées des promesses d’«exigences les plus élevées en matière de sécurité, de protection des données et de fiabilité» avancées par l’Administration fédérale.

Solange Ghernaouti
Politique

Les poisons qui minent la démocratie

L’actuel chaos politique français donne un triste aperçu des maux qui menacent la démocratie: querelles partisanes, déconnexion avec les citoyens, manque de réflexion et de courage, stratégies de diversion, tensions… Il est prévisible que le trouble débouchera, tôt ou tard, sous une forme ou une autre, vers des pouvoirs autoritaires.

Jacques Pilet
Sciences & Technologies

Identité numérique: souveraineté promise, réalité compromise?

Le 28 septembre 2025, la Suisse a donné – de justesse – son feu vert à la nouvelle identité numérique étatique baptisée «swiyu». Présentée par le Conseil fédéral comme garantissant la souveraineté des données, cette e-ID suscite pourtant de vives inquiétudes et laisse planner la crainte de copinages et pots (...)

Lena Rey
Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin
CultureAccès libre

Vive le journalisme tel que nous le défendons!

Pourquoi BPLT fusionne-t-il avec d’Antithèse? Pour unir les forces de deux équipes attachées au journalisme indépendant, critique, ouvert au débat. Egalement pour être plus efficaces aux plans technique et administratif. Pour conjuguer diverses formes d’expression, des articles d’un côté, des interviews vidéo de l’autre. Tout en restant fidèles à nos (...)

Jacques Pilet