La Suisse était prête à tout… mais pas à ça!

Publié le 1 avril 2020
C’était une image de marque: la Suisse, en cas de guerre, a tout prévu. Des abris anti-atomiques collectifs, l’obligation légale d’en avoir un dans sa maison s’il en manque ou alors de payer une taxe spéciale. Et puis notre armée, que diable ! Avec des tanks, avec des avions de combat non seulement pour la police du ciel - ce qui est nécessaire - mais aussi préparés pour des combats aériens contre les puissants envahisseurs. Avec les milliards à la clé. Mais face au danger du virus, quelles lacunes… Malgré les avertissements de ces dernières décennies, plusieurs vagues d’épidémies tueuses ont couru la planète. Comment a-t-on pu croire qu’elles respecteraient à jamais notre neutralité?

Certains s’en sont inquiétés mais n’ont pas été entendus. En décembre 2018, l’ex-chef de l’Office fédéral de la santé, Thomas Zeltner, dressait ce constat: les réserves de lits hospitaliers étaient loin de ce que préconise le plan national contre les pandémies, les cantons n’avaient pas ou incomplètement atteint les objectifs. Et les fameux masques? Cette précaution élémentaire et peu coûteuse a aussi été négligée. Et l’on se rassure aujourd’hui en apprenant qu’un avion arrivera de Chine à Genève pour nous apporter le matériel nécessaire.

Ce n’est pas tout. Il est aussi apparu que l’office dirigé par le très soucieux Monsieur Koch a des problèmes de communication avec les hôpitaux, les médecins, les autorités cantonales. Ses employés pataugent dans des masses de fax (!), de courriers électroniques, sans aucun système informatique pertinent. Un jeune informaticien bernois a réussi «en un après-midi» à créer un logiciel plus performant.

L’heure n’est pas aux reproches rétrospectifs. Mais il n’est pas interdit de s’interroger sur les raisons culturelles profondes de cette situation. L’excellent journaliste Daniel Binswanger mène la réflexion sur le site Republik. «Il se pourrait qu’une séquence historique de 200 ans arrive à son terme. Qu’est-ce que la Suisse au plus profond d’elle-même? Qu’a été la base, apparemment inébranlable, de notre identité ces deux derniers siècles? Nous sommes le pays qui est épargné. Nous sommes l’île que les grandes catastrophes effleurent peut-être mais n’envahissent jamais (…) Le virus remet tout cela en question.» Et Binswanger de citer l’historienne Silvia Berger Ziauddin: «Les abris anti-atomiques sont devenus une part de notre identité.»

Certes nos aïeux ont pu voir les limites de notre sécurité: la grippe espagnole a fait 25’000 morts en Suisse. Mais cette tragédie n’a pas changé les certitudes. Nous sommes un pays sûr. Nous avons nos abris! Un peu négligés certes, pas tous munis, comme souhaité, d’une réserve de 2 litres d’eau par jour et par personne et des vivres pour deux semaines. Quand nous y mettons les pieds aujourd’hui, en évitant de partager l’ascenseur avec les voisins, ils nous apparaissent soudain bien dérisoires. Quand les FA-18 vombrissent au-dessus de nos têtes, ces temps-ci, la tentation est grande de leur adresser un pied de nez sarcastique.

Que faudra-t-il encore pour cesser de nous croire plus préservés que nos voisins, plus prévoyants, bref plus malins que les autres? Et maintenant, un tour à la cave en images (photographies de Stephan Engler, dans son abri). 

Entrée de l’abri anti atomique qui est utilisé comme cave avec sa porte de sécurité. © Stephan Engler

Le système de fermeture pour l’arrivée d’air. © Stephan Engler

Quelques lits stockés ici depuis de longues années. © Stephan Engler


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