Pour 75 francs d’achat, des bons d’achat de 75 francs
En ce premier samedi de février, la Migros (le plus grand distributeur alimentaire en Suisse) a dépassé en termes d’agressivité commerciale et de publicités trompeuses, tout ce que le grand public a expérimenté jusqu’ici dans notre pays. La coopérative passe pour honnête, au point que les Tessinois l’appellent «Maman Migros». Voyons.
J’ai observé à la succursale de Carouge aujourd’hui un caddie plein au-delà du rebord, et des sourires de félicité sur le visage de la gracieuse dame qui le poussait, tellement l’offre était incroyable. Pour 75 francs d’achat, des bons d’achats de 75 francs offerts!
Elle avait certainement acheté ce jour-là au-delà du nécessaire, voire du raisonnable, en comptant peut-être que pour 3 fois 75 francs d’achats cette dame obtiendrait 3 fois 75 francs de bons d’achats, A vrai dire je crains qu’elle eût acheté pour 4 fois 75. Mais l’offre ne fonctionne pas ainsi. Quelle a dû être sa déception quand la cliente a réalisé l’énormité de l’arnaque. Et il était trop tard pour que je l’en avertisse, elle se dirigeait déjà vers la borne de paiement. Je l’ai suivie du regard quand elle a récupéré au comptoir du «service client» des minables et minuscules bons d’achats, sans saveurs. Elle était rouge de colère.
En réalité, pour un minimum d’achats de 75 francs, et peu importe le montant total, on obtient 5 bons d’achats de 15 francs chacun, utilisable individuellement au courant du mois de février, à condition que le total à payer à chaque visite soit égal ou supérieur à 100 francs. Autrement dit 15% de rabais si l’addition est de 100 francs par exemple. La perversité de celui qui a conçu cette offre n’est en revanche pas quantifiable.
Cela fait quelques temps déjà que la Migros semble avoir changé son modèle commercial, et frôle toujours davantage les limites de la légalité.
En voici quelques exemples.
Sur des stands habituellement dédiés aux produits «en action», on place des produits similaires, qui ne le sont pas. Le fameux café soluble suisse de la grande marque dans le bocal en verre, est naturellement plus cher que le même café dans l’emballage plastifié qui le juxtapose sur l’étalage, mais l’écart réel de prix n’est pas si grand puisque le bocal en contient 200 grammes et le sachet plastique, 180 grammes.
Il y a aussi les réductions de 20, 30 ou 40% affichées en grand, mais en très petit, nous apprenons que ladite réduction est valable à partir de deux unités du même produit…
Je ne voulais pas finir ma démonstration sur du poisson mais je ne résiste plus: j’aperçois ici deux paquets de saumon fumé sauvage, dans des emballages identiques, mais l’un coûte 6,95 francs et l’autre 10,95. Le chef de rayon m’a expliqué en riant qu’il y aurait un saumon plus sauvage que l’autre!
J’ai demandé des explications sur l’«offre» des bons de réduction de 75 francs au «service client» avant d’entrer dans le magasin. Celui qui tenait le comptoir à ce moment-là m’a indiqué l’usage des bons d’achats et a esquivé le reste. Quand je l’ai interrogé sur les autres conditions de l’offre, il m’a dit que c’était à moi de voir. J’avais senti déjà «le coup» et je n’avais pas besoin de ces explications. «En politique, l’honnêteté est encore souvent le meilleur calcul», écrivait Paul Brulat en 1898 dans Le reporteur.
Mon hypothèse: il était de chez nous, ce monsieur, car un frontalier, normalement, ne fait pas ça. Les Français, chez eux, font des appels de phares pour alerter les conducteurs d’en face sur la présence des gendarmes. A moins que l’attitude de ce bon collaborateur ne lui soit imposée par la stratégie machiavélique de son employeur.
A la réflexion, je me dis qu’il faut emmener les enfants au supermarché plus souvent, et spécialement à la Migros, pour leur apprendre la méfiance face à la publicité. Aujourd’hui l’extraordinaire fondateur de la coopérative, Gottlieb Duttweiller a dû se retourner dans sa tombe.
Maman Migros ne doit pas faire ça!
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