Le choix manipulateur des mots

Publié le 6 février 2020
Rien de plus efficace, pour manipuler l’opinion publique, que le choix du vocabulaire. MM. Trump et Netanyahu ont présenté un «plan de paix» pour régler le conflit israélo-palestinien. Alors qu’il s’agit d’un plan unilatéral d’annexion de 30% de la Cisjordanie, prévoyant un Etat palestinien croupion, sans armée, sans contrôle de sa frontière, morcelé entre les colonies juives, entre les murs et les routes barricadées. De fait sous tutelle israélienne. Une sorte de «bantoustan» comme on disait au temps de l’apartheid sud-africain. Il y a bien d’autres situations, aujourd’hui, où les mots mentent, orientent abusivement.

A propos de la Syrie par exemple, où les médias désignent systématiquement l’armée de cet Etat par le terme «le régime», où le discours occidental pare du beau nom de rebelles des djihadistes rêvant d’en finir avec la laïcité et la tolérance religieuse. En France où beaucoup s’obstinent à voir en Macron un «néolibéral» alors qu’il met la main à tout, dans un pays où la moitié de la richesse nationale est moulinée par l’Etat. 
Mais revenons à cette initiative israélo-américaine prétendument pacifique. Voici ce qu’en dit Michael Sfard, avocat israélien et défenseur des droits de l’homme: «Ce n’est pas un plan de paix, mais un plan d’annexion, qui pourrait conduire à la guerre. S’il était mis en œuvre dans sa totalité, il créerait un apartheid. Je n’utilise pas le mot par provocation. On aurait une domination perpétuée d’Israël sur les Palestiniens, qui disposeraient éventuellement d’une ­entité sans le pouvoir d’entrer dans des alliances, de signer certains traités, de contrôler les entrées et les sorties des personnes et des biens. Une entité entièrement entourée par Israël, plus de façon temporaire comme sous le régime d’occupation, mais de façon permanente. Avec deux groupes: le premier disposant de droits civiques pleins, et l’autre non.» On ne saurait mieux dire. 
Les Etats arabes ont formellement condamné ce plan mais la plupart d’entre eux préfèrent fermer les yeux et s’entendre avec Israël dans l’opposition à l’Iran. Trump quant à lui cherche la sympathie – qu’il obtient – des évangélistes américains, soutiens inconditionnels d’Israël. Netanyahu, lui, veut s’assurer sa réélection en s’appuyant sur son extrême-droite nationaliste. Les Russes? Ils donnent aussi la priorité à l’entente avec Jérusalem. Les Chinois? Ils se moquent des Palestiniens pauvres et impuissants. Les Européens? Il disent du bout des lèvres leur réticence, paralysés par la mauvaise conscience de l’Holocauste, rappelée à point nommé avec l’anniversaire de la libération d’Auschwitz. Quant à l’autorité fantoche de Ramallah, elle menace d’interrompre toute coopération, notamment dans le domaine sécuritaire, avec Israël. Sans y croire vraiment. Tout continuera donc comme avant. Avec au bout du désespoir, le risque de flambées de violences et la menace du terrorisme.
Chez lui, Netanyahu parle carrément de son souhait d’annexion pleine et entière d’une partie de la Cisjordanie. Comme il l’a fait, avec l’approbation de Trump, du plateau du Golan ex-syrien. Mais à l’étranger, il évite le terme. Et pour cause: il s’agit d’une violation grossière du droit international. Il est assez piquant de voir que la «communauté internationale» reste impassible dans ce cas alors qu’elle impose depuis des années des sanctions à la Russie pour l’annexion de la Crimée. Celle-ci, justifiée historiquement, s’était faite avec l’approbation de la population. C’était illégal, mais compréhensible. Au Moyen-Orient, la situation est toute autre. Infiniment plus lourde de risques. 

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

La flottille qui sauve l’honneur

Les 40 bateaux chargés d’aide humanitaire en route vers Gaza sont porteurs d’une forte leçon. Alors que les gouvernements occidentaux et arabes feignent de croire à un pseudo plan de paix discuté sans les victimes de cette guerre effroyable, les quelque 500 personnes embarquées en dépit des risques, tiennent bon. (...)

Jacques Pilet

Une société de privilèges n’est pas une société démocratique

Si nous bénéficions toutes et tous de privilèges, ceux-ci sont souvent masqués, voir niés. Dans son livre «Privilèges – Ce qu’il nous reste à abolir», la philosophe française Alice de Rochechouart démontre les mécanismes qui font que nos institutions ne sont pas neutres et que nos sociétés sont inégalitaires. Elle (...)

Patrick Morier-Genoud

La stratégie de Netanyahu accélère le déclin démocratique d’Israël

Le quotidien israélien «Haaretz» explique comment l’ancien Premier ministre Naftali Bennett met en garde les forces de sécurité et les fonctionnaires contre une possible manipulation du calendrier électoral et la mainmise de Netanyahu sur l’appareil sécuritaire.

Patrick Morier-Genoud
Accès libre

Superintelligence américaine contre intelligence pratique chinoise

Alors que les États-Unis investissent des centaines de milliards dans une hypothétique superintelligence, la Chine avance pas à pas avec des applications concrètes et bon marché. Deux stratégies opposées qui pourraient décider de la domination mondiale dans l’intelligence artificielle.

Sorj Chalandon compatit avec les sinistrés du cœur

Après «L’enragé» et son mémorable aperçu de l’enfance vilipendée et punie, l’écrivain, ex grand reporter de Libé et forte plume du «Canard enchaîné», déploie une nouvelle chronique, à résonances personnelles, dont le protagoniste, après la rude école de la rue, partage les luttes des militants de la gauche extrême. Scénar (...)

Jean-Louis Kuffer

Censure et propagande occidentales: apprendre à les débusquer

Les affaires encore fraîches des drones russes abattus en Pologne et du bombardement israélien au Qatar offrent de belles illustrations du fonctionnement de la machine de guerre informationnelle dans nos pays démocratiques. Il existe en effet une matrice de la propagande, avec des scénarios bien rôdés, qu’on peut voir à (...)

Guy Mettan

Un dialogue de sourds

La télévision alémanique a diffusé un débat sur le thème «Israël va-t-il trop loin?» entre deux anciens diplomates suisses et deux soutiens d’Israël. Les participants ont échangé leurs points de vue, parfois extrêmes, sans réussir à se mettre d’accord.

Marta Czarska

Netanyahu veut faire d’Israël une «super Sparte»

Nos confrères du quotidien israélien «Haaretz» relatent un discours du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui évoque «l’isolement croissant» d’Israël et son besoin d’autosuffisance, notamment en matière d’armement. Dans un éditorial, le même quotidien analyse ce projet jugé dangereux et autodestructeur.

Simon Murat

Coulisses et conséquences de l’agression israélienne à Doha

L’attaque contre le Qatar du 9 septembre est le cinquième acte de guerre d’Israël contre un Etat souverain en deux ans. Mais celui-ci est différent, car l’émirat est un partenaire ami de l’Occident. Et rien n’exclut que les Américains aient participé à son orchestration. Quant au droit international, même le (...)

Jean-Daniel Ruch

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet

La fin du sionisme en direct

La guerre totale menée par Israël au nom du sionisme semble incompréhensible tant elle délaisse le champ de la stratégie politique et militaire pour des conceptions mystiques et psychologiques. C’est une guerre sans fin possible, dont l’échec programmé est intrinsèque à ses objectifs.

David Laufer
Accès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan
Accès libre

L’individualisme, fondement démocratique, selon Tocqueville

Notre démocratie est en crise, comment la réinventer? Que nous enseignent ceux qui, au cours des âges, furent ses concepteurs? Pour le penseur français Alexis de Tocqueville (1805-1859), l’individualisme et l’égalisation des conditions de vie sont deux piliers essentiels de la démocratie.

Bon pour la tête
Accès libre

La politique étrangère hongroise à la croisée des chemins

Pour la première fois en 15 ans, Viktor Orban est confronté à la possibilité de perdre le pouvoir, le parti d’opposition de Peter Magyar étant en tête dans les sondages. Le résultat pourrait remodeler la politique étrangère de la Hongrie, avec des implications directes pour l’Union européenne.

Bon pour la tête