Mode d’emploi du président Ueli Maurer à l’usage de quelques chefs et cheffes d’Etat

Publié le 3 janvier 2019
Vous aurez peut-être l’occasion de recevoir ou de rencontrer en Suisse le président de la Confédération, M. Ueli Maurer. Même si vous n’attachez pas à votre entretien une importance de portée historique, vous devriez savoir deux ou trois choses sur lui...

D’abord, c’est un homme politique qui déclare vouloir voyager le moins possible dans sa fonction. Il veut incarner la patrie helvétique dans sa configuration originelle. Telle que Victor Hugo la résumait en 1859: «La Suisse trait sa vache et vit paisiblement. Sa blanche liberté s’adosse au firmament». Ueli Maurer n’a sans doute pas lu ces lignes, car son français est fort rudimentaire, mais elles lui plairaient.

C’est pourquoi il a déclaré lors de ses vœux du 1er janvier 2019: «Ma vache en bois symbolise les valeurs de la Suisse». En brandissant la statuette fétiche qui orne son bureau. Il a certes empoigné aussi son smartphone pour illustrer son ouverture au progrès technologique dont il se méfie cependant plus que des ruminants.

Dans le même discours, il a mentionné son «scepticisme à l’égard des puissants». Dirigeants de grandes puissances, ne le prenez pas contre vous. Il vous faut savoir que, pour notre président, le monde idéal ne serait composé que de petits pays. Toute grandeur, qu’elle soit politique ou pire, visionnaire, suscite chez lui une moue de paysan contrarié. La paysannerie est plus pour lui que son milieu d’origine, c’est son idéal de vie. Un conseil: ne vous embarquez pas dans les grands discours avec lui. Il se méfie de la rhétorique. Et si vous tenez à découvrir le pays, demandez-lui d’aller visiter des fermes et des manœuvres militaires, c’est ce qu’il préfère. Si vous voulez vraiment visiter les hauts lieux de la technologie, il vous confiera à son camarade de parti, paysan comme lui, (en fait vigneron), un certain Parmelin, qui lui aussi est peu porté sur le verbe et qui cependant est ministre de l’Economie et des Sciences. 

Autre recommandation: ne cherchez pas à saluer sa femme. Elle n’apparaît quasiment jamais en public. Elle a élevé six enfants. Elle vous aurait pourtant intéressé(e)s car l’air du large, elle connaît. Elle a passé son enfance au Ghana où ses parents étaient missionnaires évangéliques.

Mais il nous faut adapter le propos à chacun et chacune. 

La photo officielle 2019 du Conseil fédéral. © Chancellerie fédérale suisse

Monsieur le président des Etats-Unis, si vous voulez vous montrer aimable avec le nôtres, sachez cette histoire peu connue, révélée par le magazine L’Hebdo en 2008. C’est à l’aéroport de Seattle que Ueli Maurer a rencontré sa femme Anne-Claude! Elle travaillait aux Etats-Unis comme jeune fille au pair. Et lui, lecteur passionné de Jack London, était parti sur les traces de son grand-père qui fut chercheur d’or en Alaska. Le couple naissant échangea ses premiers mots en anglais avant de se rendre compte que tous deux parlaient le dialecte suisse alémanique. 

Monsieur le président de la République française, autant vous le dire tout de suite, le nôtre n’éprouve aucune sympathie pour votre pays. Il le cachera mais ne vous étonnez pas de son air bougon. Pour lui, la France reste la «grande nation» comme on la désigne souvent en Suisse alémanique. Avec un sourire ironique et méfiant. Et vous, personnellement, avec vos études et vos airs supérieurs, c’est à peu près tout ce à quoi notre homme est allergique. Son ami Albert Rösti, président de son parti, a déclaré récemment qu’il se sentait «assez proche» des gilets jaunes. C’est dire qu’il vaudra mieux éviter le sujet. Même si, par un hasard peu probable, vous abordiez un de ses thèmes favoris: la démocratie directe. Ueli Maurer lui voue un culte et vous, cela ne vous enthousiasme guère. 

Monsieur le président de la Fédération de Russie, rassurez-vous, notre président n’a jamais dit de mal de vous en public. Mais n’oubliez pas son scepticisme envers les puissants. Il s’entendra mieux avec Donald Trump qu’avec vous. Ne l’entraînez pas dans des considérations géostratégiques. La politique étrangère n’a jamais été son fort. Il laisse cela à son collègue tessinois, fort proche de ses visions. Pas besoin de vous en dire plus. Vos diplomates et vos discrets envoyés spéciaux vous racontent tout. Et la Suisse, bien qu‘elle boude vos amis à Davos, est le cadet de vos soucis.

Monsieur le président de la Commission européenne, vous préférez embrasser les femmes, mais de grâce, ne manifestez aucune familiarité à Ueli Maurer, même pas une main sur l’épaule. Cela le mettrait hors de lui. Vous savez sans doute que notre président nourrit une profonde détestation de l’Union européenne depuis ses débuts en politique. Ce n’est pas un eurosceptique mais un europhobe. Vous êtes l’incarnation du casse-tête de la Suisse, de la menace, du piège historique. Pour lui, Bruxelles, c’est le Moscou soviétique de la guerre froide. Ne croyez pas que sa fonction de ministre des finances l’amènera à de meilleurs sentiments. Si le rejet de l’accord préparé nous cause des difficultés, cela ne lui fera ni chaud ni froid. 

Madame la Chancelière de République fédérale allemande, vous connaissez la Suisse mieux qu’aucun des présidents voisins. Plus rien ne vous étonne. Même pas notre homme à la vache sceptique. Mais touchez en deux mots à la femme qui vous succédera peut-être dans votre haute fonction, votre amie Annegret Kramp-Karrenbauer. Elle vient de Sarre, loin de la Suisse, près de la France, et elle nous connaît peu. Elle découvrira que la Suisse alémanique, malgré la proximité des langues, a un rapport avec l’Allemagne «compliqué» comme on dit sur les profils Facebook. Fait de proximité et de distance. Expliquez-lui aussi ce qu’est l’UDC dont certains leaders n’ont pas caché leur sympathie sur l’AFD nationaliste qui vous donne du fil à retordre et l’auraient même aidée financièrement.

Mesdames, Messieurs, que cette mise en garde ne vous alarme pas trop. Notre président n’a pas plus de pouvoir que les autres membres du collège. Mais il exprime un courant, une attitude helvétique non majoritaire mais dominante aujourd’hui au gouvernement. Plus que froid face au rapprochement européen, de plus en plus distant dans les organisations internationales. Ne vous laissez pas attendrir par la vache en bois. Ecoutez aussi ceux, nombreux, qui ne veulent pas rejoindre son troupeau. 


Regardez l’allocution d’Ueli Maurer à l’occasion du Nouvel an:

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch

Une société de privilèges n’est pas une société démocratique

Si nous bénéficions toutes et tous de privilèges, ceux-ci sont souvent masqués, voir niés. Dans son livre «Privilèges – Ce qu’il nous reste à abolir», la philosophe française Alice de Rochechouart démontre les mécanismes qui font que nos institutions ne sont pas neutres et que nos sociétés sont inégalitaires. Elle (...)

Patrick Morier-Genoud

Sorj Chalandon compatit avec les sinistrés du cœur

Après «L’enragé» et son mémorable aperçu de l’enfance vilipendée et punie, l’écrivain, ex grand reporter de Libé et forte plume du «Canard enchaîné», déploie une nouvelle chronique, à résonances personnelles, dont le protagoniste, après la rude école de la rue, partage les luttes des militants de la gauche extrême. Scénar (...)

Jean-Louis Kuffer

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan
Accès libre

L’individualisme, fondement démocratique, selon Tocqueville

Notre démocratie est en crise, comment la réinventer? Que nous enseignent ceux qui, au cours des âges, furent ses concepteurs? Pour le penseur français Alexis de Tocqueville (1805-1859), l’individualisme et l’égalisation des conditions de vie sont deux piliers essentiels de la démocratie.

Bon pour la tête
Accès libre

La politique étrangère hongroise à la croisée des chemins

Pour la première fois en 15 ans, Viktor Orban est confronté à la possibilité de perdre le pouvoir, le parti d’opposition de Peter Magyar étant en tête dans les sondages. Le résultat pourrait remodeler la politique étrangère de la Hongrie, avec des implications directes pour l’Union européenne.

Bon pour la tête
Accès libre

Les fonds cachés de l’extrémisme religieux et politique dans les Balkans

L’extrémisme violent dans les Balkans, qui menace la stabilité régionale et au-delà, n’est pas qu’idéologique. Il sert à générer des profits et est alimenté par des réseaux financiers complexes qui opèrent sous le couvert d’associations de football, d’organisations humanitaires et de sociétés actives dans la construction, l’hôtellerie ou le sport. (...)

Bon pour la tête

Les empires sont mortels. Celui de Trump aussi

Dans mon précédent papier, j’ai tenté de montrer comment la république impériale américaine (selon le titre d’un livre de Raymond Aron publié en 1973 déjà!) était en train de se transformer en empire autoritaire et velléitaire sous la férule Sa Majesté Trump 1er. Bonne nouvelle: les empires sont mortels et (...)

Guy Mettan
Politique

France-Allemagne: couple en crise

De beaux discours sur leur amitié fondatrice, il y en eut tant et tant. Le rituel se poursuit. Mais en réalité la relation grince depuis des années. Et aujourd’hui, l’ego claironnant des deux dirigeants n’aide pas. En dépit de leurs discours, Friedrich Merz et Emmanuel Macron ne renforcent pas l’Europe.

Jacques Pilet

Retour à l’îlot de cherté au détriment des consommateurs suisses

Lors de la session parlementaire de juin, nous assisterons à une attaque hypocrite et malheureuse contre le droit de la concurrence. Car si les «libéraux du dimanche» ̶ comme on les appelle désormais ̶ prônent la libre concurrence le dimanche, ils font en réalité pression contre elle le reste de (...)

Bon pour la tête
Accès libre

Extrémistes? Fachos? Pro-russes? La valse des étiquettes

Ces deux évènements donnent à réfléchir. Les services de renseignement allemands déclarent le principal parti d’opposition, l’AfD, «extrémiste de droite attesté». En Roumanie, le candidat «antisystème» arrive en tête du premier tour des élections présidentielles. Il est étiqueté «extrême-droite» et «pro-russe». Deux questions à se poser. Ces formations menacent-elles la (...)

Jacques Pilet

Affaire Vara: telle est prise qui… Tel est pris aussi

Les vacances à Oman de la conseillère d’Etat neuchâteloise Céline Vara lui valent un tombereau de reproches. Il s’agit pourtant d’un problème purement moral qui pourrait très bien revenir en boomerang vers celles et ceux qui l’agitent. Ce billet d’humeur aurait aussi pu être titré «fétichisation des convictions politiques».

Patrick Morier-Genoud
Accès libre

«Make Religion Great Again»: la place de la religion dans l’Etat trumpien

Le 7 février dernier, Donald Trump a créé au sein de la Maison Blanche un «bureau de la foi», chargé de renforcer la place de la religion aux Etats-Unis. Que signifie la création de cette nouvelle instance, et que dit-elle de l’administration Trump 2?

Bon pour la tête
Accès libre

Psyché et géopolitique

Le célèbre Emmanuel Todd, auteur de «La défaite de l’Occident» paru l’année dernière chez Gallimard et traduit en 23 langues, analyse le monde en démographe, en historien, en raisonneur. L’autre jour il disait cependant sa perplexité devant la fièvre belliciste qui se manifeste en Europe. Il se demandait s’il ne (...)

Jacques Pilet

«Le trumpisme est-il un fascisme?»

La tornade Donald Trump fait chavirer l’Amérique et l’Europe. Moins de deux mois après son retour à la Maison Blanche, le président renverse des conventions diplomatiques vieilles de plusieurs siècles et bouscule dans son propre pays des institutions centenaires. Faut-il y voir comme les historiens Robert Paxton et Stéphane Audoin-Rouzeau (...)

Bon pour la tête