Publié le 16 mai 2025
Le silence assourdissant sur l’horreur de Gaza et l’expansionnisme violent d’Israël démolit la crédibilité internationale de la Suisse. Par ailleurs le dossier de la mise à jour des relations bilatérales avec l’UE est conduit avec une telle maladresse que les adversaires de l’accord ont bon espoir de faire couler le bateau. Jamais la diplomatie helvétique n’a été dirigée par un si nuisible ministre.

D’ordinaire prompt à condamner les atteintes au droit humanitaire, à la justice internationale, notre pays se discrédite aux yeux du monde. Pas un mot du DFAE pour condamner fermement le massacre délibéré d’une population, bombardée, affamée, chassée de son territoire. Pas un discours clair pour condamner l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie, les tirs et les incursions armées sur le Liban et la Syrie, les appels à la guerre contre l’Iran. Tout pays a le droit de se défendre. Mais aujourd’hui, on n’en est plus là. Le gouvernement «messianique» de Netanyahou revendique ouvertement l’extension territoriale d’Israël. Se taire, en l’occurrence, c’est en fait prendre position en faveur de l’agresseur. C’est fermer les yeux devant un terrorisme d’Etat. 

Le parti pris personnel de Cassis en faveur d’Israël

Les intégristes de la neutralité diront que nous n’avons pas à nous mêler de cela. Mais alors pourquoi accumuler, même à bon droit, les sanctions contre la Russie qui a violé la frontière de l’Ukraine? Il arrive un moment où le «deux poids deux mesures» devient intenable. Plusieurs pays européens ont non seulement condamné la politique actuelle d’Israël mais l’ont sanctionnée. L’Espagne, l’Irlande, la Norvège, les Pays-Bas. Et des voix s’élèvent au Parlement européen pour que soit mis en question l’accord extrêmement favorable entre l’Etat juif et l’UE. Démarche qu’approuve jusqu’à Emmanuel Macron. Dans son long entretien télévisé de mardi, il a déclaré que la politique de Netanyahou est «une honte». Une part, certes très minoritaire, de l’opinion publique israélienne, ainsi qu’une part de la disposera juive s’indignent elles aussi non moins fort. 

Si la Suisse a une tout autre attitude, cela est dû d’abord à la position personnelle d’Ignazio Cassis. Avant d’entrer au gouvernement il était membre actif du groupe parlementaire d’amitié Suisse-Israël dont la mission est, dans le texte: «Représenter les positions israéliennes dans les domaines de la politique, de l’économie, de la société et de la culture.» Devenu conseiller fédéral, il n’a pas dévié d’un pouce. Quant aux diplomates qui l’entourent, ils suivent ou sont mis à l’écart. Alignés couverts. Ils sont pourtant nombreux d’une grande compétence, à l’esprit plus fin que leur patron. On l’a vu avec la brillante prestation de l’ambassadeur suisse auprès des Nations Unies qui a reçu chez lui, à Cologny, Chinois et Américains renouant enfin leurs contacts. 

Cafouillage général sur l’accord bilatéral avec l’UE

Sur la guerre en Ukraine, l’approche de notre ministre est tout aussi simpliste, partiale. Avec de vaines initiatives et des discours bégayants. Comme s’il s’effrayait aussitôt du peu qu’il dit et qu’il fait. Même résultat que sur le Moyen-Orient: de ce côté la tradition helvétique des bons offices est enterrée. Ce sont d’autres, puissants ou pas, qui s’activent. 

Autre cafouillage d’Ignazio Cassis, infiniment moins tragique mais sur un sujet qui touche tous les Suisses: la relation avec l’Union européenne. Ce conseiller fédéral a manifestement horreur de l’aborder. Il se dit en faveur de la conclusion d’un nouvel accord bilatéral mais il ne plaide pas avec conviction et clarté. En face, les adversaires de tout rapprochement avec nos voisins ont commencé leur campagne. Outre leur ritournelle idéologique habituelle et «souverainiste», ils avancent souvent des arguments forts, à considérer sérieusement. Qu’il s’agirait de contre-carrer avec des faits. Or non seulement le Tessinois ne le fait guère mais tout le Conseil fédéral patauge. Montrer le projet encore secret à deux représentants de chaque parti, quelle idée rocambolesque… et peu démocratique. Tout aussi bizarroïde, la proposition de soumettre l’accord au vote par chapitres séparés, en plusieurs fois. Alors que c’est le tout qui se tient ou pas, qui passera ou pas. L’UE ne fera pas le détail.

Ces cachotteries sur ce qui se prépare ne font que renforcer les opposants. La polémique autour des modalités du vote appelle aussi une explication plus claire. Citoyens et citoyennes sont tous égaux. Exiger la majorité des cantons, c’est bafouer celle du peuple. C’est donner plus de poids à un suffrage d’Uri ou de Schwytz qu’à celui d’un Genevois, d’un Vaudois ou d’un Bâlois. Cette nécessité du double oui se justifie pour ce qui est de la répartition des pouvoirs intérieurs au sein de la Confédération. Elle n’a rien à faire dans un référendum comme celui qui nous attend, comparable à tous ceux qui balisent notre vie démocratique. Personne, en haut lieu, n’a clairement posé cette argumentation.

Et ça risque de durer jusqu’en 2028!

Bref, l’affaire est mal partie. Les milieux économiques et universitaires entre autres ont du souci à se faire. Croire qu’en cas d’échec tout continuera comme aujourd’hui, c’est une illusion. Au plan pratique tout un chacun subirait tôt ou tard les conséquences d’un échec des bilatérales. Débouchés limités, augmentation du chômage, manque de main d’œuvre qualifiée, dans le médical notamment. Est-il si difficile de faire la part des choses? On peut d’un côté s’offusquer de tel ou tel dérapage de la politique menée à Bruxelles, dont la plupart ne nous concerne pas, et reconnaître par ailleurs la nécessité de maintenir des ponts concrets avec ce voisinage si proche. 

Faute d’avocats convaincants, la politique du Conseil fédéral risque la claque dans les urnes. Il en sortirait encore affaibli au chapitre des relations internationales. Alors qu’aujourd’hui déjà, il fait une si piteuse mine à cet égard. Les fortes figures du passé, il y en eut tant, n’ont-elles donc laissé aucun héritier d’envergure? On a le temps de ruminer la question: Ignazio Cassis souhaite rester en poste jusqu’en 2028. 

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin
Politique

Moldavie: victoire européenne, défaite démocratique

L’Union européenne et les médias mainstream ont largement applaudi le résultat des élections moldaves du 28 septembre favorable, à 50,2 %, à la présidente pro-européenne Maia Sandu. En revanche, ils ont fait l’impasse sur les innombrables manipulations qui ont entaché le scrutin et faussé les résultats. Pas un mot non (...)

Guy Mettan
Politique

La flottille qui sauve l’honneur

Les 40 bateaux chargés d’aide humanitaire en route vers Gaza sont porteurs d’une forte leçon. Alors que les gouvernements occidentaux et arabes feignent de croire à un pseudo plan de paix discuté sans les victimes de cette guerre effroyable, les quelque 500 personnes embarquées en dépit des risques, tiennent bon. (...)

Jacques Pilet
Sciences & Technologies

Facture électronique obligatoire: l’UE construit son crédit social chinois

Le 1er janvier 2026, la Belgique deviendra l’un des premiers pays de l’UE à mettre en place l’obligation de facturation électronique imposée à toutes les entreprises privées par la Commission européenne. Il s’agit d’une atteinte majeure aux libertés économiques et au principe de dignité humaine, soutenu par l’autonomie individuelle. Outre (...)

Frédéric Baldan

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet

La stratégie de Netanyahu accélère le déclin démocratique d’Israël

Le quotidien israélien «Haaretz» explique comment l’ancien Premier ministre Naftali Bennett met en garde les forces de sécurité et les fonctionnaires contre une possible manipulation du calendrier électoral et la mainmise de Netanyahu sur l’appareil sécuritaire.

Patrick Morier-Genoud

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet

Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables

En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir (...)

Patrick Morier-Genoud

Censure et propagande occidentales: apprendre à les débusquer

Les affaires encore fraîches des drones russes abattus en Pologne et du bombardement israélien au Qatar offrent de belles illustrations du fonctionnement de la machine de guerre informationnelle dans nos pays démocratiques. Il existe en effet une matrice de la propagande, avec des scénarios bien rôdés, qu’on peut voir à (...)

Guy Mettan

Un dialogue de sourds

La télévision alémanique a diffusé un débat sur le thème «Israël va-t-il trop loin?» entre deux anciens diplomates suisses et deux soutiens d’Israël. Les participants ont échangé leurs points de vue, parfois extrêmes, sans réussir à se mettre d’accord.

Marta Czarska

Netanyahu veut faire d’Israël une «super Sparte»

Nos confrères du quotidien israélien «Haaretz» relatent un discours du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui évoque «l’isolement croissant» d’Israël et son besoin d’autosuffisance, notamment en matière d’armement. Dans un éditorial, le même quotidien analyse ce projet jugé dangereux et autodestructeur.

Simon Murat

Coulisses et conséquences de l’agression israélienne à Doha

L’attaque contre le Qatar du 9 septembre est le cinquième acte de guerre d’Israël contre un Etat souverain en deux ans. Mais celui-ci est différent, car l’émirat est un partenaire ami de l’Occident. Et rien n’exclut que les Américains aient participé à son orchestration. Quant au droit international, même le (...)

Jean-Daniel Ruch

L’identité numérique, miracle ou mirage?

Le 28 septembre, les Suisses se prononceront à nouveau sur l’identité numérique (e-ID). Cette fois, le Conseil fédéral revient avec une version révisée, baptisée «swiyu», présentée comme une solution étatique garantissant la souveraineté des données. Mais ce projet, déjà bien avancé, suscite des inquiétudes quant à son coût, sa gestion, (...)

Anne Voeffray

Les délires d’Apertus

Cocorico! On aimerait se joindre aux clameurs admiratives qui ont accueilli le système d’intelligence artificielle des hautes écoles fédérales, à la barbe des géants américains et chinois. Mais voilà, ce site ouvert au public il y a peu est catastrophique. Chacun peut le tester. Vous vous amuserez beaucoup. Ou alors (...)

Jacques Pilet

Le voyage chahuté d’Ursula

Il est fait grand bruit autour d’une fable alarmiste, d’un incident minuscule lors du vol de la présidente de la Commission européenne entre la Pologne et la Bulgarie: la perturbation du GPS attribuée à la Russie et facilement surmontée comme cela est possible sur tous les avions. Quasiment rien en (...)

Jacques Pilet