La désastreuse politique d’Ignazio Cassis

D’ordinaire prompt à condamner les atteintes au droit humanitaire, à la justice internationale, notre pays se discrédite aux yeux du monde. Pas un mot du DFAE pour condamner fermement le massacre délibéré d’une population, bombardée, affamée, chassée de son territoire. Pas un discours clair pour condamner l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie, les tirs et les incursions armées sur le Liban et la Syrie, les appels à la guerre contre l’Iran. Tout pays a le droit de se défendre. Mais aujourd’hui, on n’en est plus là. Le gouvernement «messianique» de Netanyahou revendique ouvertement l’extension territoriale d’Israël. Se taire, en l’occurrence, c’est en fait prendre position en faveur de l’agresseur. C’est fermer les yeux devant un terrorisme d’Etat.
Le parti pris personnel de Cassis en faveur d’Israël
Les intégristes de la neutralité diront que nous n’avons pas à nous mêler de cela. Mais alors pourquoi accumuler, même à bon droit, les sanctions contre la Russie qui a violé la frontière de l’Ukraine? Il arrive un moment où le «deux poids deux mesures» devient intenable. Plusieurs pays européens ont non seulement condamné la politique actuelle d’Israël mais l’ont sanctionnée. L’Espagne, l’Irlande, la Norvège, les Pays-Bas. Et des voix s’élèvent au Parlement européen pour que soit mis en question l’accord extrêmement favorable entre l’Etat juif et l’UE. Démarche qu’approuve jusqu’à Emmanuel Macron. Dans son long entretien télévisé de mardi, il a déclaré que la politique de Netanyahou est «une honte». Une part, certes très minoritaire, de l’opinion publique israélienne, ainsi qu’une part de la disposera juive s’indignent elles aussi non moins fort.
Si la Suisse a une tout autre attitude, cela est dû d’abord à la position personnelle d’Ignazio Cassis. Avant d’entrer au gouvernement il était membre actif du groupe parlementaire d’amitié Suisse-Israël dont la mission est, dans le texte: «Représenter les positions israéliennes dans les domaines de la politique, de l’économie, de la société et de la culture.» Devenu conseiller fédéral, il n’a pas dévié d’un pouce. Quant aux diplomates qui l’entourent, ils suivent ou sont mis à l’écart. Alignés couverts. Ils sont pourtant nombreux d’une grande compétence, à l’esprit plus fin que leur patron. On l’a vu avec la brillante prestation de l’ambassadeur suisse auprès des Nations Unies qui a reçu chez lui, à Cologny, Chinois et Américains renouant enfin leurs contacts.
Cafouillage général sur l’accord bilatéral avec l’UE
Sur la guerre en Ukraine, l’approche de notre ministre est tout aussi simpliste, partiale. Avec de vaines initiatives et des discours bégayants. Comme s’il s’effrayait aussitôt du peu qu’il dit et qu’il fait. Même résultat que sur le Moyen-Orient: de ce côté la tradition helvétique des bons offices est enterrée. Ce sont d’autres, puissants ou pas, qui s’activent.
Autre cafouillage d’Ignazio Cassis, infiniment moins tragique mais sur un sujet qui touche tous les Suisses: la relation avec l’Union européenne. Ce conseiller fédéral a manifestement horreur de l’aborder. Il se dit en faveur de la conclusion d’un nouvel accord bilatéral mais il ne plaide pas avec conviction et clarté. En face, les adversaires de tout rapprochement avec nos voisins ont commencé leur campagne. Outre leur ritournelle idéologique habituelle et «souverainiste», ils avancent souvent des arguments forts, à considérer sérieusement. Qu’il s’agirait de contre-carrer avec des faits. Or non seulement le Tessinois ne le fait guère mais tout le Conseil fédéral patauge. Montrer le projet encore secret à deux représentants de chaque parti, quelle idée rocambolesque… et peu démocratique. Tout aussi bizarroïde, la proposition de soumettre l’accord au vote par chapitres séparés, en plusieurs fois. Alors que c’est le tout qui se tient ou pas, qui passera ou pas. L’UE ne fera pas le détail.
Ces cachotteries sur ce qui se prépare ne font que renforcer les opposants. La polémique autour des modalités du vote appelle aussi une explication plus claire. Citoyens et citoyennes sont tous égaux. Exiger la majorité des cantons, c’est bafouer celle du peuple. C’est donner plus de poids à un suffrage d’Uri ou de Schwytz qu’à celui d’un Genevois, d’un Vaudois ou d’un Bâlois. Cette nécessité du double oui se justifie pour ce qui est de la répartition des pouvoirs intérieurs au sein de la Confédération. Elle n’a rien à faire dans un référendum comme celui qui nous attend, comparable à tous ceux qui balisent notre vie démocratique. Personne, en haut lieu, n’a clairement posé cette argumentation.
Et ça risque de durer jusqu’en 2028!
Bref, l’affaire est mal partie. Les milieux économiques et universitaires entre autres ont du souci à se faire. Croire qu’en cas d’échec tout continuera comme aujourd’hui, c’est une illusion. Au plan pratique tout un chacun subirait tôt ou tard les conséquences d’un échec des bilatérales. Débouchés limités, augmentation du chômage, manque de main d’œuvre qualifiée, dans le médical notamment. Est-il si difficile de faire la part des choses? On peut d’un côté s’offusquer de tel ou tel dérapage de la politique menée à Bruxelles, dont la plupart ne nous concerne pas, et reconnaître par ailleurs la nécessité de maintenir des ponts concrets avec ce voisinage si proche.
Faute d’avocats convaincants, la politique du Conseil fédéral risque la claque dans les urnes. Il en sortirait encore affaibli au chapitre des relations internationales. Alors qu’aujourd’hui déjà, il fait une si piteuse mine à cet égard. Les fortes figures du passé, il y en eut tant, n’ont-elles donc laissé aucun héritier d’envergure? On a le temps de ruminer la question: Ignazio Cassis souhaite rester en poste jusqu’en 2028.
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