Le mondialisme à hue et à dia

Publié le 11 avril 2025
Ce mot, mondialisme, désigne une idéologie. Celle d’en finir avec le pouvoir des nations, d’en transférer les compétences à des organisations internationales, d’ouvrir les frontières. Cette doctrine a enflammé les débats ces dernières années à travers ses pourfendeurs, les souverainistes de gauche et de droite. Et voilà que Trump débarque et fracasse la vision que l’on avait du commerce international. Comment s’y retrouver?

Beaucoup, parmi ceux qui voient dans la frontière nationale la réponse à tous les défis, avaient de la sympathie pour Trump, mais là, c’est un peu trop. Ils ne cachent pas leur trouble. Ceux qui au contraire rêvent d’un monde ouvert le plus librement possible aux échanges, pas seulement économiques, sont atterrés. Ils doivent bien reconnaître que le commerce international débridé a inquiété non seulement un Américain sur deux mais bien des peuples européens. D’autant plus que l’organe chargé de poser quelques règles contre les abus, pour l’équité entre grands et petits pays, l’OMC sise à Genève, a été de facto privée de ses pouvoirs depuis 2017. Bref, il s’agit de revoir la question de fond sans préjugés, avec calme et réalisme. En dépassant les émotions du moment devant les abîmes et les rebonds des bourses. Même si ce tohu-bohu fait et fera mal. Les chantres du protectionnisme comme ceux du libre-échange doivent ouvrir les yeux sur le fait que les Etats-Unis, depuis fort longtemps, dictent leur vision politique et économique partout où ils le peuvent, par tous les moyens.

Et comme un pied de nez aux tenants de la globalisation, voilà que l’on apprend que Klaus Schwab, sa figure emblématique, se retire du WEF de Davos! Sans lien avec les décisions de Trump, mais en raison d’accusations de harcèlements et discriminations dans son équipe. Tiens, tiens, cela n’a pas fait grand bruit. 

Trump va vers la tempête

On ne va pas broder ici sur les effets de la hausse massive et universelle des droits de douane américains, abondamment commentée. Même si elle est repoussée de quelques mois (sauf pour la Chine), elle plonge le monde dans l’inconnu. Avec des dégâts partout, aux Etats-Unis aussi. Il est assez clair que cette avalanche de taxes ne suffira pas à combler le déficit gigantesque des States ni à permettre de baisser les charges fiscales comme espéré. Quant à la réindustrialisation, il ne suffit pas de la décréter. C’est un effort à long terme, un besoin de compétences pas faciles à trouver. De plus toute fabrication sophistiquée exige des composants rares que l’on trouve surtout… en Chine. 

Trump va vers la tempête. Des sénateurs de son camp grognent. Elon Musk s’oppose à lui et préfère les traités de libre-échange. Bien d’autres acteurs économiques partagent cet avis. L’affrontement particulièrement violent avec la Chine fait peur. Suspense. Les deux géants souffriront de cette guerre, devenue une obsession américaine. Quelle qu’en soit l’issue elle aura de puissants effets, directs ou indirects, sur la géopolitique mondiale. Partout.

Et nous, Européens?

Si longtemps habitués à applaudir et à suivre le méga-pouvoir de Washington en tout, nous voilà ébaubis. Qu’il est touchant, ce Monsieur Ermotti, big boss de l’UBS qui avoue: «Je n’aurais jamais cru un tel dérapage possible!» Il n’avait pas vu le programme de Trump, pas compris que c’est celui-ci qui décide en fait de l’avenir de sa banque fièrement implantée à New York. 

Nous cherchons tous à tâtons la bonne réponse à la provocation, entre effets de manches et quêtes de compromis. D’avis fort divers. Le choc sera-t-il salutaire ou empirera-t-il les difficultés économiques à long terme? 

Plus de 70 pays se sont pressés en hâte à Washington pour négocier des arrangements. Ce qui met Trump en joie: «Ils viennent tous me lécher le cul!», constate-t-il avec son élégance habituelle. Outre la riposte sur les taux pratiqués en retour, il y aurait pourtant d’autres réponses.

A commencer par l’intensification des relations, des accords avec les vastes parts du monde qui se tiennent à distance du règne américain. Les BRICS et d’autres. La Suisse s’y emploie à raison. Avec la Chine, l’Inde, l’Amérique du sud. Peu avec l’Afrique. Et pourquoi pas avec la Russie? L’abcès ukrainien s’apaisera tôt ou tard. La géographie et l’histoire parlent. L’Europe, seule certitude, restera toujours plus proche que l’Amérique. Elle a son avenir «de l’Europe à l’Oural» comme disait de Gaulle. Reprendre le commerce de ce côté, réouvrir les gazoducs Nord Stream, cela donnerait de l’air à nos économies, pas seulement en Allemagne. Ce serait plus futé que d’acheter en douce l’énergie proscrite via l’Inde avec surcoûts.

 Une telle audace n’est pas pour demain à en juger les discours martiaux de Macron, Starmer et consorts, les va-t-en-guerre exaltés qui permettent à leurs protégés ukrainiens de tirer des missiles sur Moscou et préparent l’envoi de troupes pour affronter les Russes. Autre suspense peu rassurant.

Les Européens doivent se serrer les coudes et libérer leurs audaces

Comment regagner notre indépendance face à l’Empire américain? Commençons par acheter nos avions de chasse en Europe plutôt que les siens qu’il contrôle à distance. Et surtout tentons de limiter la tutelle des GAFAM et autres puissants acteurs qui gèrent nos mails, nos données, nos systèmes d’IA… L’Europe est davantage qu’un marché de 450 millions d’habitants. Elle est riche d’un considérable potentiel de savoir et de créativité. Avec un atout en plus: un climat de liberté. Celle-ci est certes amochée ici et là mais reste bien plus grande que dans le reste du monde.

Comment se donner le courage des sursauts nécessaires dans la tempête? En se serrant les coudes en Europe, en libérant nos audaces, en parcourant le monde en quête de partenaires. Un conseil, entre nous et sourire en coin: se souvenir que les horlogers jurassiens vendaient leurs montres en Chine au 18e siècle déjà. Ils n’avaient pas la partie facile non plus. Dès 1774, Jaquet-Droz a établi des liens avec Canton et a rapidement gagné les faveurs de la cour impériale chinoise. D’accord, cela se gâte maintenant de ce côté. Mais le goût des marques de luxe reste présent partout, avec ou sans surtaxe. Courage, l’industrie suisse, si on la soutient au besoin, tiendra le coup. Et toute la barque helvétique aussi. 

 

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