Le combat de Salman Rushdie, un Quichotte voltairien

Publié le 13 septembre 2024
Dans un premier récit détaillé, à glacer le sang, de la tentative d’assassinat qu’il a subie le 12 août 2022, puis au fil d’une remémoration de son retour à la vie, secondé par les siens (dont l’admirable Eliza Griffiths, son épouse), et plus largement ensuite dans la réflexion que lui inspire un acte apparemment dément quoique soumis à la logique implacable des fous de Dieu islamistes, Salman Rushdie, avec «Le couteau», laisse entrevoir, avec la possibilité d’une seconde chance, une espérance vitale.

27 secondes. C’est à peu près le temps qu’il vous faut, précise Salman Rushdie, pour dire le Notre Père ou réciter un sonnet de Shakespeare. Et l’écrivain en sait quelque chose et y a même perdu un œil, vu que c’est exactement 27 secondes qu’a duré l’attaque sauvage qu’il a subie le 12 novembre 2022 à 10h45 du matin sur la scène de l’amphithéâtre de Chautauqua, 27 secondes qui auraient dû lui être fatales après la quinzaine de coups de couteau qui lui lacérèrent le visage, le torse et les membres, jusqu’au moment où son agresseur fut maîtrisé et menotté par un policier passant par là en l’absence, par ailleurs, de tout dispositif de sécurité. 
27 secondes chronométrées: la scène a donc été filmée par tel ou telle des plus de mille spectateurs présents pour entendre la conférence de l’auteur des Versets sataniques – entre vingt autres livres –, censé parler des villes-refuges pouvant accueillir, aux States, des écrivains menacés dans leur propre pays, initiative à laquelle Rushdie avait participé entre autres nombreuses activités solidaires, et voilà que le refuge présumé était devenu le piège tendu par un forcené de 24 ans qui avouerait plus tard qu’il n’avait jamais lu que deux ou trois pages des écrits de ce mécréant et vu deux ou trois vidéos sur Youtube consacrées au même «hypocrite», comme il qualifierait Salman Rushdie, décidément pas «une bonne personne», donc à supprimer au nom du Dieu superbon…
L'extravagante fiction du réel
Entre les 27 secondes qu’a duré l’exécution ratée et les trente-trois ans de tribulations vécues par Salman Rushdie depuis sa condamnation à mort, en février 1989, par le Grand Inquisiteur chiite Rouhollah Moussavi Khomeini, un abîme fantastique s’est creusé à la barbe posthume de l’ayatollah défunt (il est mort en juin 1989), dans lequel u...

Ce contenu est réservé aux abonnés

En vous abonnant, vous soutenez un média indépendant, sans publicité ni sponsor, qui refuse les récits simplistes et les oppositions binaires.

Vous accédez à du contenu exclusif :

  • Articles hebdomadaires pour décrypter l’actualité autrement

  • Masterclass approfondies avec des intervenants de haut niveau

  • Conférences en ligne thématiques, en direct ou en replay

  • Séances de questions-réponses avec les invités de nos entretiens

  • Et bien plus encore… 

Déjà abonné ? Se connecter

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Culture

Ecrivaine, éditrice et engagée pour l’Ukraine

Marta Z. Czarska est une battante. Traductrice établie à Bienne, elle a vu fondre son activité avec l’arrivée des logiciels de traduction. Elle s’est donc mise à l’écriture, puis à l’édition à la faveur de quelques rencontres amicales. Aujourd’hui, elle s’engage de surcroît pour le déminage du pays fracassé. Fête (...)

Jacques Pilet

Quand notre culture revendique le «populaire de qualité»

Du club FipFop aux mémorables albums à vignettes des firmes chocolatières NPCK, ou à ceux des éditions Silva, en passant par les pages culturelles des hebdos de la grande distribution, une forme de culture assez typiquement suisse a marqué la deuxième décennie du XXe siècle et jusque dans la relance (...)

Jean-Louis Kuffer

Quentin Mouron ressaisit le bruit du temps que nous vivons

Avec «La Fin de la tristesse», son onzième opus, le romancier-poète-essayiste en impose par sa formidable absorption des thèmes qui font mal en notre drôle d’époque (amours en vrille, violence sociale et domestique, confrontation des genres exacerbée, racisme latent et dérives fascisantes, méli-mélo des idéologies déconnectées, confusion mondialisée, etc.) et (...)

Jean-Louis Kuffer

«L’actualité, c’est comme la vitrine d’une grande quincaillerie…»

Pendant de nombreuses années, les lecteurs et les lectrices du «Matin Dimanche» ont eu droit, entre des éléments d’actualité et de nombreuses pages de publicité, à une chronique «décalée», celle de Christophe Gallaz. Comme un accident hebdomadaire dans une machinerie bien huilée. Aujourd’hui, les Editions Antipode publient «Au creux du (...)

Patrick Morier-Genoud

Quand Max Lobe dit le Bantou s’en va goûter chez Gustave Roud…

«La Danse des pères», septième opus de l’écrivain camerounais naturalisé suisse, est d’abord et avant tout une danse avec les mots, joyeuse et triste à la fois. La «chose blanche» romande saura-t-elle accueillir l’extravagant dans sa paroisse littéraire? C’est déjà fait et que ça dure! Au goûter imaginaire où le (...)

Jean-Louis Kuffer

Une peur de plus en France: l’islamisme. Ou simplement l’islam?

A trop attiser la peur et la haine, les dirigeants et médias français risquent d’en oublier l’attachement républicain à la liberté des opinions et des croyances, lequel doit aussi s’affirmer. Haut et fort.

Jacques Pilet

Deux écrivains algériens qui ne nous parlent que de l’humain

Kamel Daoud, avec «Houris» (Prix Goncourt 2024) et Xavier Le Clerc (alias Hamid Aït-Taleb), dans «Le Pain des Français», participent à la même œuvre de salubre mémoire en sondant le douloureux passé, proche ou plus lointain, de leur pays d’origine. A l’écart des idéologies exacerbées, tous deux se réfèrent, en (...)

Jean-Louis Kuffer

La saignée de l’affreux «Boucher» tient de l’exorcisme vital

A partir de faits avérés, la prolifique et redoutable Joyce Carol Oates brosse, de l’intérieur, le portrait d’un monstre ordinaire de la médecine bourgeoise, qui se servait des femmes les plus démunies comme de cobayes utiles à ses expériences de réformateur plus ou moins «divinement» inspiré. Lecteurs délicats s’abstenir…

Jean-Louis Kuffer

L’Amérique de Trump risque-t-elle de comploter contre elle-même?

Une fiction historico-politique mémorable de Philip Roth, «Le complot contre l’Amérique», évoquant le flirt du héros national Charles Lindbergh, «présidentiable», avec le nazisme, et deux autres romans récents de Douglas Kennedy et Michael Connelly, incitent à une réflexion en phase avec l’actualité. Est-ce bien raisonnable?

Jean-Louis Kuffer

Miguel Bonnefoy enlumine la légende vécue des siens

Fabuleuse reconnaissance en filiation, «Le rêve du jaguar», dernier roman du jeune Franco-Vénézuélien déjà couvert de prix, est à la fois un grand roman familial à la Garcia Marquez (ou à la Cendrars) et un cadeau princier à la langue française, dont l’écriture chatoie de mille feux poétiques accordés à (...)

Jean-Louis Kuffer

Quand la lettre et l’esprit de grands livres sont magnifiés sur les écrans

Deux chefs-d’œuvre de la littérature contemporaine, «Expiation» d’Ian McEwan, et «Cent ans de solitude» de Gabriel Garcia Marquez, passent au grand et au petit écran avec un rare bonheur. L’occasion de se poser quelques questions sur les transits souvent hasardeux des adaptations de toute sorte…

Jean-Louis Kuffer

Un OVNI littéraire tombe sur la Suisse. Gros dégâts

Les Editions Zarka publient «Samira au pouvoir» de la mystérieuse Daniela Cattin, une autrice jurassienne, parait-il. L’intrigue de son récit débute le 1er août, sur la prairie du Grütli, avec la découverte d’un mort nu, percé à l’arbalète, attaché contre un arbre.

Jacques Pilet

Notre inavouable nostalgie du sacré

Des films et des séries à gros budget ont récemment mis en scène et dramatisé des institutions qui, dans un passé encore proche, étaient entourées d’un sacre absolu, comme la papauté ou la monarchie anglaise. Ils masquent mal notre nostalgie collective.

David Laufer

Le monde est un grand hôpital où l’on soigne toujours à tâtons

«Tout dire sur la médecine vécue au quotidien, où cauchemar est plus fréquent que victoire, il y a un siècle comme ce matin»: c’est le propos de Vikenti Veressaïev dans ses Notes d’un médecin, prisées par le public russe (et Tolstoï et Tchékhov à l’unisson) mais suscitant la fureur de (...)

Jean-Louis Kuffer

Syrie: surprises, surprises

Retournement total et inattendu en Syrie. Les explosions de joie des exilés – ils sont 65’000 en Suisse – sont bien compréhensibles. Il faut être naïf, cependant, pour croire qu’ils rentreront en nombre dans leur pays effondré. Et il pourrait en arriver d’autres, craignant, eux, la mainmise islamiste. Comment rester (...)

Jacques Pilet

Lire «Vivre», de Boualem Sansal, participe de sa libération

L’arrestation du grand écrivain algérien, le 16 novembre dernier à Alger, relève à la fois de l’infamie et de la logique d’Etat, s’agissant d’un opposant déclaré plus virulent même qu’un Salman Rushdie. Mais comment enfermer ses livres? Et que pèsent les décisions de mafieux gouvernementaux dans la balance des destinées (...)

Jean-Louis Kuffer