Quand le trou noir de notre corps donne du sens à l’écriture

Publié le 29 mars 2024
L’infarctus de l’un, et l’AVC de l’autre, ont suscité deux écrits relevant de la meilleure littérature. Sous la plume du fameux écrivain hongrois Péter Nádas, avec «La mort seul à seul», c’est le récit clinique saisissant d’une crise cardiaque lente à venir et d’autant plus violente par ses effets; et Bastien Hauser, dans son premier roman, «Une singularité», pousse encore plus loin l’observation scientifico-fantasmagorique d’un accident cérébral. Deux approches «cosmiques» du corps confronté à ses fins.

«Ma mère a donné naissance au corps, et moi je donne naissance à ma mort», écrit Péter Nádas, citant Samuel Beckett, au fil des pensées que, lucide en diable, il ne cesse de développer, comme dédoublé depuis qu’un vague malaise, la sensation malgré le jour d’été splendide que tout se met à clocher, puis un début de douleur, et la peur éprouvée par le corps de sentir cette douleur l’envahir, et ensuite une sueur et un dégoût inaccoutumé (ce bol de bouillon qui sent la charogne et qu’on ne touchera pas au risque de se faire remarquer dans ce restaurant bon genre), le refus d’admettre que ça lui arrive à lui (l’incongruité d’avouer sa faiblesse quand on est un garçon bien éduqué pratiquant son jogging), puis l’évidence criante d’une gueule de déterré devant son miroir, et l’accélération des phénomènes, l’appel au secours et l’ambulance, l’arrivée à l’hosto et les gesticulations grossières d’une infirmière qui «en a vu d’autres» – tout ça pour l’extérieur alors que dedans c’est le vertige, la totale remise en question de ce qu’on a été au vu de ce qu’on est en train de vivre sans pouvoir le partager – et pourtant le miracle est là, les mots cristallisent les sensations et les émotions, et ce qui pourrait n’être qu’un récit-témoignage de plus (après tous ceux qu’on a lus sur le cancer et le sida, entre tant d’autres «descentes aux enfers» du corps) devient, sous le regard hypersensible de celui qui est seul à vivre ce qu’il vit, nous confrontant à ce que nous sommes seuls à pouvoir le recevoir comme personne, que nous ayons vécu l’infarctus ou pas, le cancer ou pas, le sida ou la peur de tout ça. 
A très fines petites touches, parfois sur deux ou trois lignes par page, alternant avec de plus amples développements où tous les aspects d’une vie et de ce qui en fait l’unicité, ...

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