Contrats de vaccination: et les clauses de responsabilité?

Publié le 12 janvier 2024
Des milliards ont été dépensés de manière opaque pour conclure les contrats d’achat des doses de vaccin anti-Covid. Les sommes exactes sont tenues secrètes, mais pas seulement: l’exonération de responsabilité des groupes pharmaceutiques est aussi l’objet d’un silence pesant.

Urs P. Gasche, article publié sur Infosperber le 8 janvier 2024, traduit et adapté par BPLT


Comme Infosperber depuis quelque temps déjà, le Sonntags-Blick à son tour, le 7 janvier dernier, a dénoncé le fait que l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) refuse obstinément de communiquer les prix qu’il a payés pour les 61 millions de doses de vaccins de six firmes pharmaceutiques. Et ce, contre la volonté expresse d’Adrian Lobsiger, le préposé fédéral à la protection des données et à la transparence.

Selon l’OFSP, le «secret professionnel, commercial ou de fabrication» des entreprises pharmaceutiques a plus de poids que l’intérêt public à la transparence des prix. De plus, les «intérêts de politique étrangère» de la Suisse s’opposeraient à une divulgation.

Dans les contrats déclassifiés, l’OFSP a noirci non seulement toutes les informations sur les prix et les conditions de paiement, mais aussi toutes les informations sur l’exonération de la responsabilité des groupes pharmaceutiques. Il ressort d’un projet de contrat divulgué que les gouvernements ont exonéré les fabricants de vaccins de «toutes les prétentions imaginables en matière de responsabilité du fait des produits». C’est ce qu’a déclaré le professeur Walter Fellmann de l’université de Lucerne à propos du projet de contrat divulgué. La responsabilité porte notamment sur les dommages à long terme que pourraient causer les vaccins.

L’OFSP a tenté d’occulter ce fait en se référant à la loi suisse sur la responsabilité du fait des produits. Infosperber avait documenté cette tactique d’enfumage en août 2022. Voici à nouveau l’essentiel de l’article publié à l’époque.

L’OFSP a trompé le public sur les clauses de responsabilité

L’OFSP estime que le droit du public d’être informé s’il doit répondre de dommages avec l’argent des contribuables est moins digne de protection que le secret commercial des groupes privés.

Selon la loi sur la responsabilité du fait des produits, les groupes pharmaceutiques ne doivent prendre en charge que les coûts des dommages dus à des erreurs de production.

Dès le milieu de l’année 2021, Infosperber avait informé du projet de contrat secret de Pfizer avec l’Etat albanais. L’élément central du projet de contrat de Pfizer était l’exclusion totale de toute conséquence en matière de responsabilité. On peut supposer que Pfizer a également imposé des clauses identiques dans les contrats avec la Suisse et l’Allemagne. Aujourd’hui encore, les autorités refusent de divulguer ces clauses de responsabilité.

Le projet de contrat de Pfizer avec l’Albanie, qui n’a été révélé que grâce à un lanceur d’alerte, contient une obligation de silence que le gouvernement doit respecter jusqu’à dix ans après l’expiration du contrat.

L’OFSP de son côté n’a pas voulu confirmer ou infirmer que Pfizer avait imposé dans le contrat avec la Suisse une telle obligation.

Tactique d’enfumage

Lorsqu’il a été question de la responsabilité des fabricants de vaccins pour les dommages sanitaires encore inconnus, l’OFSP a botté en touche. A plusieurs reprises, la loi sur la responsabilité du fait des produits (LRFP) a été avancée comme argument. Ainsi l‘OFSP a répondu en ces termesà une question d’Infosperber sur la responsabilité en cas de «dommages vaccinaux imprévus» le 11 août 2021:

«Pour le fabricant, c’est la LRFP qui s’applique […] Nous pouvons simplement réaffirmer que les contrats que la Confédération conclut avec les fabricants de vaccins n’éliminent pas la responsabilité du fabricant et ne créent pas de responsabilité de la Confédération. Toutefois, dans le cadre de la prise en charge des coûts sur la base de la loi sur les épidémies LEp, la Confédération est habilitée à convenir avec les fabricants de compenser dans certains cas les dommages qu’ils subissent au titre de leur responsabilité civile».

Au lieu d’une réponse claire, un enfumage: personne ne peut «éliminer la responsabilité civile juridique du fabricant». Mais il s’agit de la responsabilité financière. C’est pourquoi la déclaration de l’OFSP était une tromperie du public. Celui-ci comprend par responsabilité que les fabricants sont également responsables financièrement des dommages consécutifs. Or, les groupes se sont entièrement libérés de cette responsabilité financière dans les contrats mentionnés. 

Infosperber avait également qualifié de «falsification» la présentation de l’OFSP, selon laquelle un fabricant de vaccins serait responsable des dommages sanitaires causés par son vaccin sur la base de la LRFP. Il s’agit en effet d’erreurs dans le processus de production.

Mais cette loi ne prévoit aucune responsabilité pour les dommages consécutifs graves qui n’étaient pas prévisibles lors de l’autorisation du vaccin. Elle exclut explicitement toute responsabilité si «l’état des connaissances scientifiques et techniques ne permettait pas de déceler le défaut au moment de la mise en circulation du produit». C’est le cas pour tous les dommages consécutifs aux vaccins, qui n’étaient pas détectables avec les très courtes études d’autorisation.

Dans un commentaire sur les clauses d’exclusion de la LRFP, le professeur Walter Fellmann de l’université de Lucerne écrivait: «Le fabricant n’est pas responsable des propriétés nocives d’un produit qui, bien qu’objectivement présentes au moment de la mise en circulation de ses produits, n’étaient pas reconnaissables en l’état des connaissances scientifiques et techniques de l’époque».

Concernant le contrat que la Commission européenne a conclu avec AstraZeneca: «L’exonération [des frais de responsabilité] couvre toutes les réclamations imaginables en matière de responsabilité du fait des produits».

Et concernant les clauses du projet de contrat de Pfizer avec l’Albanie:  «Le contrat de Pfizer contient également une clause d’exemption complète couvrant les réclamations en responsabilité du fait des produits».

Mais l’OFSP a donné à plusieurs reprises la fausse impression que les fabricants de vaccins pourraient passer à la caisse si les vaccins entraînaient des dommages inattendus pour la santé. Comme en témoigne l’information originale de l’OFSP:

«La loi sur la responsabilité du fait des produits s’applique aux fabricants… Les contrats que la Confédération conclut avec les fabricants de vaccins n’éliminent pas la responsabilité du fabricant».

De la poudre aux yeux. La loi est certes «applicable» aux dommages que les fabricants pouvaient prévoir, dans le sens où les personnes lésées peuvent intenter une action en responsabilité civile contre les fabricants. Seulement, l’Etat doit payer aux fabricants de vaccins toutes les conséquences financières des procédures judiciaires, des règlements et des jugements. Il n’y a pas d’actions en responsabilité pour lesquelles les fabricants de vaccins doivent répondre financièrement – du moins si la Suisse et l’Allemagne ont signé matériellement les mêmes clauses d’exonération de responsabilité que dans les contrats mentionnés ci-dessus. Et c’est ce que l’on peut supposer, ce qui expliquerait aussi le strict maintien du secret.

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