Santé: et les voisins? Comment font-ils?

Publié le 29 septembre 2023
Quand une énorme machine grince depuis trente ans, quand ses coûts grimpent et grimpent jusqu’à faire souffrir ses usagers, le bon sens dicterait d’en changer le modèle. En Suisse, non. L’assurance-maladie est un monument écrasant que l’on n’arrive même plus à retaper ici et là. Et si l’on allait voir ailleurs comment cela se passe chez des voisins comparables? Histoire de piquer des idées, de préparer une véritable réforme.

Le malheureux Alain Berset part, comme ses prédécesseurs, sur un aveu d’échec. Il accuse le Parlement, les groupes d’intérêts mais tient dur comme fer au système, déconseille vivement d’en changer. Avis partagé par tous les acteurs de la santé. Car en fait, comme le dit avec audace le président du Centre, Gerhard Pfister, «personne n’a vraiment intérêt à baisser les coûts». Médecins, hôpitaux, cantons, assurances, tout un monde tire profit, à hue et à dia, du colosse tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Seuls les assurés contraints de payer râlent, s’indignent. En vain.

Se gargariser dans la conviction d’avoir «le meilleur réseau de soins du monde» – ce qui reste à prouver – ne suffit plus à justifier le statu quo. Le plus cher en tout cas en Europe. Comment cela se passe-t-il dans des pays plus ou moins comparables par la taille et le fonctionnement démocratique? Comme l’Autriche, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et d’autres.

Les systèmes diffèrent. Caisse unique ici, là caisses locales ou associatives régies par la loi. Partout existe aussi la possibilité de compléter l’assurance de base par des complémentaires. Mais toujours, quelques principes posent le cadre. Et ils diffèrent des nôtres.

Partout les assurés paient en fonction de leurs revenus. Quasiment partout les employeurs ajoutent une contribution à celle des salariés, comme cela se passe chez nous pour l’AVS. Partout les pouvoirs publics, à quelque échelon que ce soit, ont pleinement la main sur la machine. Dans le cas, comme celui de l’Autriche par exemple, où il existe de nombreuses caisses locales et professionnelles, la loi définit strictement les règles de fonctionnement. Pas question de les voir s’affronter à coup de marketing, de voir leurs patrons s’attribuer des rémunérations de ministres, pas question de les laisser gérer leurs réserves à leur guise. La concurrence entre elles est un leurre, une aberration.

Caisse unique ou pas, caisse publique ou pas, ce n’est pas forcément le débat. L’urgence est d’amener le principe de justice sociale: chacun paie selon ses moyens. Il est intolérable que la femme de ménage débourse la même prime de base que le milliardaire. Ensuite, pour une vraie sécurité sociale, envisager une contribution de l’employeur. On entend déjà les hauts cris!

Enfin un détail qui n’en est pas un. Partout autour de nous, l’assurance de base couvre les soins dentaires et les lunettes. Quand on voit tant de gens renoncer au dentiste faute de moyens, la Suisse n’a pas de quoi être trop fière de son système.

Ce propos élémentaire, on ne l’entend pas. Nous restons le nez collé sur la machine grinçante sans songer qu’elle pourrait être revue de fond en comble. La gauche préfère soutenir l’initiative «Maximum 10% du revenu pour les primes d’assurance-maladie». Quelques rares voix socialistes commencent à demander enfin que ces primes soit fixées en fonction du revenu. Elles ne sont guère relayées. Pourtant si l’on y songe, ce serait le moyen de soulager enfin les classes moyennes, les plus affectées, le moyen de faire payer une contribution même minime, même symbolique, aux plus défavorisés. Alors qu’aujourd’hui, cantons et Confédération doivent totalement prendre en charge les coûts d’assurance-maladie pour un habitant sur quatre, parfois un sur trois. Rien que pour les cantons romands, 2,8 milliards à cette fin! Au bout du compte, avec les contributions augmentées des plus aisés, les budgets publics pourraient bien sortir gagnants de la petite révolution.

Bien sûr il s’agit aussi de réformer, outre l’assurance, le fonctionnement-même de la galaxie des soins. Eviter les visites médicales qui doublonnent, contenir les prix excessifs des médicaments, etc… On connaît tous ces vœux raisonnables jamais réalisés du fait d’un Parlement paralysé par les lobbies antagonistes et manipulateurs. Sur ce terrain aussi, aller voir ailleurs comment les autres se débrouillent ferait du bien à tous les discoureurs patentés qui opposent, chacun pour soi, leurs prétendues solutions et finalement laissent tout en place. Jusqu’à la prochaine explosion de colère.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet

Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables

En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir (...)

Patrick Morier-Genoud
Accès libre

PFAS: un risque invisible que la Suisse préfère ignorer

Malgré la présence avérée de substances chimiques éternelles dans les sols, l’eau, la nourriture et le sang de la population, Berne renonce à une étude nationale et reporte l’adoption de mesures contraignantes. Un choix politique qui privilégie l’économie à court terme au détriment de la santé publique.

L’identité numérique, miracle ou mirage?

Le 28 septembre, les Suisses se prononceront à nouveau sur l’identité numérique (e-ID). Cette fois, le Conseil fédéral revient avec une version révisée, baptisée «swiyu», présentée comme une solution étatique garantissant la souveraineté des données. Mais ce projet, déjà bien avancé, suscite des inquiétudes quant à son coût, sa gestion, (...)

Anne Voeffray

Les délires d’Apertus

Cocorico! On aimerait se joindre aux clameurs admiratives qui ont accueilli le système d’intelligence artificielle des hautes écoles fédérales, à la barbe des géants américains et chinois. Mais voilà, ce site ouvert au public il y a peu est catastrophique. Chacun peut le tester. Vous vous amuserez beaucoup. Ou alors (...)

Jacques Pilet

Tchüss Switzerland?

Pour la troisième fois en 20 ans, le canton de Zurich envisage de repousser au secondaire l’apprentissage du français à l’école. Il n’est pas le seul. De quoi faire trembler la Suisse romande qui y voit une «attaque contre le français» et «la fin de la cohésion nationale». Est-ce vraiment (...)

Corinne Bloch
Accès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger

Jean-Stéphane Bron plaide pour une diplomatie «de rêve»

Plus de vingt ans après «Le Génie helvétique» (2003), puis avec l’implication politique élargie de «Cleveland contre Wall Street» (2010), le réalisateur romand aborde le genre de la série avec une maestria impressionnante. Au cœur de l’actualité, «The Deal» développe une réflexion incarnée, pure de toute idéologie partisane ou flatteuse, (...)

Jean-Louis Kuffer

Un tunnel bizarroïde à 134 millions

Dès le mois prochain, un tunnel au bout du Léman permettra de contourner le hameau des Evouettes mais pas le village du Bouveret, pourtant bien plus peuplé. Un choix qui interroge.

Jacques Pilet

Ma caisse-maladie veut-elle la peau de mon pharmacien?

«Recevez vos médicaments sur ordonnance par la poste», me propose-t-on. Et mon pharmacien, que va-t-il devenir? S’il disparaît, les services qu’ils proposent disparaîtront avec lui. Mon seul avantage dans tout ça? Une carte cadeau Migros de trente francs et la possibilité de collecter des points cumulus.

Patrick Morier-Genoud

Droits de douane américains: une diplomatie de carnotzet et de youtse

Le déplacement de Karin Keller-Sutter et de Guy Parmelin aux Etats-Unis, pour tenter d’infléchir la décision d’une taxe supplémentaire de 39 % pour les exportations suisses, a été un aller-retour aussi furtif qu’inutile, la honte en rabe. L’image de nos représentants à Washington, l’air perdu, penauds et bafouillants, fixe définitivement (...)

Jamal Reddani

Cachez ces mendiants que je ne saurais voir!

Après une phase que l’on dira «pédagogique», la Ville de Lausanne fait entrer en vigueur la nouvelle loi cantonale sur la mendicité. Celle-ci ne peut désormais avoir lieu que là où elle ne risque pas de déranger la bonne conscience des «braves gens».

Patrick Morier-Genoud

La Suisse ne dit pas non aux armes nucléaires

Hiroshima, qui commémorait le 6 août les 80 ans de la bombe atomique, appelle le monde à abandonner les armes nucléaires. Mais les Etats sont de moins en moins enclins à y renoncer.

Jacques Pilet