Néandertal pourrait venir au secours de la santé de Sapiens

Publié le 11 août 2023
Le magazine «Nature» explique comment des bioingénieurs ont utilisé l'intelligence artificielle pour ramener des molécules d'entre les morts. Dans des protéines de l’homme de Néandertal et de l’homme de Denisova, ils en ont identifié qui sont capables de nous aider à lutter contre des infections pour lesquelles les antibiotiques actuels deviennent moins performants.

L’homme de Néandertal a disparu il y a plusieurs millénaires – il y a peut-être 30’000 ans – mais le voilà aujourd’hui qui vient au secours de la santé de son cousin Sapiens – nous, avec lequel il a cohabité avant de lui laisser toute la place sur la planète Terre. Un autre de nos «cousins» lui aussi disparu vers la même époque, l’homme de Denisova, pourrait également nous donner un coup de main. 

C’est au moyen de l’intelligence artificielle que des scientifiques essaient de trouver des protéines de Néandertal et de Denisova, ceci dans le but de ressusciter des antibiotiques «éteints». «Nos recherches consistent à ramener des molécules du passé afin de résoudre des problèmes actuels», explique Cesar de la Fuente, coauteur de l’étude et bioingénieur à l’université de Pennsylvanie. Une étude publiée le 28 juillet dans Cell Host & Microbe

Inspirer de nouveaux médicaments

Nature explique: «Pour réaliser cette « dé-extinction » moléculaire, les chercheurs ont examiné des données de protéines provenant à la fois de l’homme moderne et de nos parents disparus depuis longtemps, les Néandertaliens et les Denisoviens. Ils ont ainsi pu identifier des molécules capables de tuer des bactéries pathogènes, ce qui pourrait inspirer de nouveaux médicaments pour traiter les infections humaines.»

Le magazine rappelle que le développement des antibiotiques s’est ralenti au cours des dernières décennies et que la plupart de ceux aujourd’hui prescrits sont sur le marché depuis plus de 30 ans. Or, les bactéries résistantes aux antibiotiques sont de plus en plus nombreuses. «Les protéines des espèces disparues pourraient constituer une ressource inexploitée pour le développement d’antibiotiques.» 

Cesar de la Fuente est très optimiste, expliquant que «trouver et tester des médicaments à l’aide de l’intelligence artificielle ne prend que quelques semaines. En revanche, il faut de trois à six ans pour découvrir un seul nouvel antibiotique avec les anciennes méthodes.»

Des résultats mitigés

Les essais réalisés en laboratoire sur des souris ont pourtant eu des résultats mitigés. «Les chercheurs ont testé des dizaines de peptides (de courtes chaînes d’acides aminés) pour voir s’ils pouvaient tuer des bactéries. Ils ont ensuite sélectionné six peptides puissants – quatre provenant de Sapiens, un de Néandertal et un de Denisova – et les ont administrés à des souris infectées par la bactérie Acinetobacter baumannii, une cause fréquente d’infections hospitalières chez l’homme. Les six peptides ont stoppé la croissance de la bactérie dans le muscle de la cuisse, mais aucun ne l’a tuée. Cinq des molécules ont tué les bactéries se développant dans les abcès cutanés, mais les doses utilisées étaient « extrêmement élevées », explique Nathanael Gray, biologiste chimiste à l’Université de Stanford.»

Un algorithme à améliorer

Selon Cesar de la Fuente, l’adaptation des molécules les plus efficaces pourrait permettre de créer des versions plus performantes. Et la modification de l’algorithme pourrait améliorer l’identification des peptides antimicrobiens en réduisant le nombre de faux positifs. «Même si l’algorithme que nous avons utilisé n’a pas produit de molécules extraordinaires, je pense que le concept et le cadre représentent une nouvelle façon d’envisager la découverte de médicaments», a affirmé le chercheur.

Nathanael Gray, lui, trouve l’idée générale intéressante, mais il pense que «tant que l’algorithme ne sera pas en mesure de prédire avec plus de succès les peptides cliniquement pertinents, la dé-extinction moléculaire n’aura pas un grand impact sur la découverte de médicaments».

Euan Ashley, un spécialiste de la génomique et de la santé de précision à l’université de Stanford, en Californie, se réjouit de son côté de cette nouvelle approche dans le domaine peu étudié de la mise au point d’antibiotiques. «Cesar de la Fuente et ses collègues m’ont persuadé que plonger dans le génome humain archaïque était une approche intéressante et potentiellement utile.»

Même s’il semble y avoir encore loin de la coupe aux lèvres, voilà un exemple d’utilisation positive de l’intelligence artificielle.


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