L’Europe vassalisée dans l’escalade… jusqu’au Pacifique

Publié le 14 juillet 2023
La photo de groupe à Vilnius comble d’aise Joe Biden. Il peut remercier la Russie d’avoir agressé sa proche voisine. Tant d’heureuses retombées pour les USA! La grande famille de l’OTAN ne cesse de s’élargir. La Suède, merci Erdogan, un jour l’Ukraine... quand Zelensky calmera son impatience. Et les amis asiatiques se rapprochent, se laissent entraîner: la Corée du Sud, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande renforcent les «partenariats». Assez loin de l’Atlantique nord... Pour narguer la Chine. Selon les vœux de Washington.

La ministre suisse de la Défense, Viola Amherd, aurait tant aimé figurer sur la photo. Elle multiplie les accords et les rapprochements avec l’OTAN. Au nom bien sûr de la sécurité. Comme si les troupes russes qui peinent à défendre leurs positions devant leur porte étaient en mesure, avec ou sans le fantasque Prigojine, de se pointer jusqu’à Romanshorn… En attendant, nous dépensons des milliards pour avions et blindés américains. Les embrassades diplomatiques à Washington, cela n’a pas de prix. Soyons sérieux: dans les décennies qui viennent, la Russie, très affaiblie dans sa substance, ne présente plus de dangers pour l’Europe occidentale, sinon celui de la guerre nucléaire qui serait suicidaire et reste très improbable.

Mais quand on est embarqué dans le récit dit occidental, plus rien n’arrête les fantasmes. Et l’on se laisse aller aux facilités d’une vassalisation paresseuse. Ce que font les Européens. Coupables de n’avoir pas percé l’abcès ukrainien dès 2014, laissant saborder les sages accords de Minsk sans réagir. Tout s’est mis dès lors en place pour la tragédie. Le suivisme de l’Europe afflige ceux qui ont cru qu’elle avait droit à une parole propre, à une défense de ses intérêts, différents de ceux des Etats-Unis. Elle qui a poursuivi un idéal de paix après les abominations du XXème siècle ne tient plus que des discours belliqueux. Creusant ainsi l’écart avec les vastes parties du monde qui refusent les leçons de morale d’un Occident pour le moins pas innocent.

Ainsi il est assez pitoyable d’entendre les balbutiements des Européens à propos de la livraison, par les USA, des bombes à sous-munitions. Une arme abominable interdite par 150 pays. Le président allemand, par exemple, qui a signé cet accord à l’époque, assure que l’Allemagne n’en livrera pas mais «comprend» la décision américaine. Les vassaux se prennent parfois les pieds dans le tapis. Quant à Emmanuel Macron qui a mis en garde plus d’une fois contre les risque d’un conflit mondial, qui a rappelé la nécessité de songer au futur du voisinage avec la Russie, cet homme intelligent décide, pour se faire bien voir à Vilnius, de fournir des missiles à longue portée à l’Ukraine qui pourrait s’en servir bien au-delà de ses frontières. Ces contradictions enlèvent évidemment tout crédit aux dires européens. Mais la suzeraineté américaine est si confortable pour les soumis. Tous, – ou presque – nous nous y sommes faits depuis longtemps. L’extra-territorialité du système dollar, avec l’application des sanctions de Washington, limite les échanges bancaires jusqu’à l’intérieur de la Suisse!

Mais le plus important est à venir. Les Etats-Unis sont obnubilés par la Chine, plus que par la Russie en fait. Ils font monter la tension, quitte à l’apaiser par brefs épisodes. D’où leur volonté d’étendre le cercle des alliés de l’OTAN jusqu’au Pacifique. Ceux-ci ne sont pas nombreux, pas les plus grands acteurs de cette partie du monde. Mais il s’agit de les embrigader. Même la Corée du Sud, jusque là réticente à appliquer les sanctions anti-russes, a dû céder. Et pour cause, elle a 28’500 soldats américains sur son sol.

L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) n’est pas un instrument de défense collective comme elle le prétend mais un outil politique au service de la puissance des Etats-Unis. Ils feignent de consulter les membres mais gardent le dernier mot. Cela devient de plus en plus évident. Et cet outil va servir aussi en Asie. Comme il avait servi lors de la désastreuse guerre d’Afghanistan. Les Chinois ne s’y sont pas trompés. Ils ont vigoureusement réagi à ce renforcement d’une alliance hostile à leurs frontières.

Tout cela selon les ordres et les plans de Washington. Avec l’accord, bon gré mal gré, des Européens qui devront renoncer, sur ce terrain là aussi, à porter une parole différente. Quitte à ce que le grand jeu américain mette en danger leurs propres intérêts.

La vieille Europe, si fatiguée à tant d’égards, divisée en son sein sur le degré de servilité, parviendra-t-elle un jour à secouer celle-ci? Rien ne l’indique pour l’heure. Si l’on songe que la présidente de la Commission de l’UE, l’ineffable Ursula van der Leyen, pourrait succéder à Jens Stoltenberg à la tête de l’OTAN… La démonstration serait faite. Une info récente vient d’ailleurs de l’apporter. L’UE a nommé comme économiste en chef de la concurrence à la Commission européenne… une spécialiste américaine, Fiona Scott Morton, qui avait la responsabilité de la loi anti-trust dans l’administration Obama. Elle se penchera sur les abus de pouvoir des GAFAS! Ceux-ci seront rassurés. L’Europe aux ordres ne les inquiétera pas trop.

Quand nous réveillerons-nous? Où sont les Européens qui ne perdent pas l’espoir d’un avenir plus digne? Au nom de cette civilisation qui nous est chère. Au nom de la paix. Ce mot banni des discours de Vilnius.

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