Les défis de la gouvernance démocratique au Pérou

Publié le 3 février 2023
Nous accueillons ici la réaction de l’ambassadeur du Pérou en Suisse à l’interview de l’ex-président Castillo et de son avocat, publiée la semaine dernière.

Luis Castro Joo, Ambassadeur du Pérou auprès de la Confédération suisse


Lire aussi«Comment on m’a jeté en prison». Entretien avec le président péruvien Pedro Castillo et son avocat


Berne, le 31 janvier 2023

Le 7 décembre dernier, le Président de l’époque, Pedro Castillo, a organisé un coup d’Etat au Pérou en annonçant, à la télévision publique, la dissolution anticonstitutionnelle du Congrès de la République et en ordonnant aux forces de sécurité d’y intervenir, ainsi que d’intervenir dans le système judiciaire, le ministère public, la Cour constitutionnelle, les entités chargées d’enquêter sur les allégations de corruption et de crime organisé visant l’ancien Président, et le Conseil national de la justice.

Les institutions publiques compétentes de l’Etat péruvien (forces armées, police nationale, pouvoir législatif, pouvoir judiciaire, Cour constitutionnelle, Bureau d’Ombudsmann, ministère public) ont rejeté le coup d’Etat. Dans ces circonstances, le Congrès, usant de ses pouvoirs constitutionnels, a approuvé la vacance du poste du président Castillo, et le pouvoir judiciaire a ordonné sa détention préventive pour la commission présumée du crime de rébellion, tel que défini dans notre système juridique. La vice-présidente de l’époque, Madame Dina Boluarte, a assumé la présidence de la République par mandat constitutionnel le 7 décembre, et l’ordre constitutionnel a été rétabli pacifiquement au Pérou.

Cependant, cette crise politique a donné lieu à diverses manifestations de protestation dans différentes régions du pays qui comprenaient, d’une part, des revendications légitimes pour combler les écarts économiques et sociaux qui reflètent une dette historique accumulée au fil des ans et, d’autre part, des manifestations qui ont dénaturé le droit de protester pacifiquement et se sont transformées en actes de violence, avec des attaques et des destructions d’infrastructures publiques (notamment les chemins de fer, les aéroports), de sièges d’entités publiques (commissariats de police, système judiciaire, ministère public) et des fermetures de routes, menaçant la gouvernance démocratique et l’Etat de droit.

En conséquence des manifestations violentes, des dizaines de ressortissants sont morts, endeuillant tout le pays, et des centaines de personnes ont été blessées, des civils comme des policiers. Par l’intermédiaire de ses hautes autorités, le gouvernement péruvien a profondément regretté la perte de vies humaines. Ces événements font l’objet d’une enquête de la part des organes compétents, qui jouissent d’une liberté et d’une autonomie constitutionnelles totales pour découvrir la vérité, et faire en sorte que les responsables soient jugés et punis conformément à la loi, et que les familles des victimes soient indemnisées.

Dans cette situation difficile, le Pérou réaffirme son engagement envers la promotion et le respect des droits de l’homme en tant que composante essentielle de la démocratie. A cet égard, en signe d’ouverture et de transparence, à l’invitation du gouvernement péruvien, des délégations de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) et un envoyé spécial du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) se sont rendus au Pérou et ont bénéficié des plus grandes facilités possibles pour l’accomplissement de leur mission, y compris des déplacements dans le pays et des entretiens avec des fonctionnaires du gouvernement, des membres du Congrès, des entités publiques et des représentants d’organisations de la société civile. La CIDH et le HCDH présenteront tous deux leurs rapports et conclusions dans les semaines à venir, qui seront dûment évalués par le Pérou.

Plus récemment, le 25 janvier, le Pérou a présenté à la communauté internationale ses politiques en faveur du respect de ses obligations en matière de droits de l’homme, dans le cadre du mécanisme d’examen périodique universel (EPU) du Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève.

Pour surmonter ces défis à la gouvernance démocratique au Pérou, il faut instaurer un large dialogue, rechercher des accords et respecter l’Etat de droit. 

Dans le cadre du sommet de la Communauté des Etats d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), qui s’est tenu le 24 janvier à Buenos Aires, en Argentine, la ministre péruvienne des Affaires étrangères, l’ambassadrice Ana Cecilia Gervasi, a assuré que le gouvernement péruvien était disposé à faire tout son possible pour rétablir la confiance par le dialogue et mettre fin aux confrontations qui ne mènent à rien.

Dans cette perspective, il faut noter qu’à l’initiative de l’Exécutif et en réponse partielle aux demandes d’une importante partie des manifestations, le 20 décembre dernier, le Congrès avait approuvé les élections anticipées pour avril 2024. En raison de la nature de l’amendement constitutionnel, un second vote est en attente au Congrès, qui devra atteindre une majorité qualifiée (87 voix sur 130 possibles) afin de confirmer les élections anticipées.

Cependant, cette semaine, le Congrès a inscrit à son ordre du jour une nouvelle proposition pour les élections présidentielles et législatives qui se tiendront en octobre de cette année. Il est à espérer qu’une date pour les élections sera bientôt fixée, afin que le peuple péruvien puisse décider de son avenir dans la paix et la liberté, sans interférence. La préservation de la démocratie et de l’Etat de droit au Pérou est essentielle.

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