L’homme est un ours pour l’homme

Publié le 23 décembre 2022
L'Iranien Jafar Panahi a encore une fois défié le régime des mollahs avec «Aucun ours», qui le voit tourner un film par procuration en Turquie depuis un village frontalier. Une étonnante et amère mise en abyme.

Les plus grands festivals ont pris l'habitude de le primer quoi qu'il livre, ne serait-ce que pour soutenir son acte de résistance. Mais il faut bien avouer que les derniers films de l'inarrêtable Jafar Panahi depuis son interdiction de tournage de 2011 et son assignation à résidence par la justice des mollahs iraniens n'ont plus vraiment été à la hauteur des sommets atteints avec Le Cercle (2000) et Sang et Or (2003). On admire le courage, l'ingéniosité du dispositif ou la subtilité du propos tout en s'ennuyant un peu. Malgré tout, de Ceci n'est pas un film à Trois visages en passant par Pardé et Taxi Téhéran, on sentait notre cinéaste clandestin s'enhardir, ayant trouvé la parade pour continuer malgré tout. Et cette fois, plus besoin de lui trouver d'excuses: Prix spécial du jury à Venise, Aucun ours est vraiment un film formidable, qui s'attaque de front à un mal endémique dans son pays: le double langage et l'hypocrisie. Un mal dont l'auteur, 60 ans, ne se disculpe pas lui-même!
Entre Iran et Turquie
Lorsque le film débute, on comprend vite que la scène de rue piétonne tranquille, où les femmes ne sont pas voilées, ne se joue pas en Iran mais en Turquie voisine. Par quel miracle? Une voix hors champ interromp bientôt les protagonistes, un couple confronté à un problème de passeports: il s'agit en fait d'un tournage. Après quoi un lent zoom arrière recadre un écran d'ordinateur depuis lequel Jafar Panahi, resté coincé en Iran, dirige les opérations via son assistant. Eh oui, comme autrefois Yilmaz Güney, le grand cinéaste turc réalisant Yol (Palme d'Or à Cannes en 1982) par procuration depuis sa prison! Quant à lui au bénéfice d'un régime de semi-liberté, sans même parler de l'Internet apparu depuis, voilà que Panahi en propose une mise en abyme.
Mais son intelligenc...

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