Est-ce qu’un coup de force du pouvoir exécutif installe de manière durable un régime autoritaire? Le cas de la Tunisie

Publié le 4 novembre 2022
La Suisse n’échappe pas à la tendance de nombreux gouvernements démocratiques: suspendre le régime de droit usuel en proclamant un état d’urgence. Elle l’a fait pendant la crise sanitaire et vient de le faire en vue d’une attendue crise énergétique. Examinons ici la très récente application de l’état d’urgence en Tunisie, pour voir dans quelle mesure une telle suspension des droits démocratiques installe de manière irréversible un régime autoritaire.

La période du rêve démocratique tunisien issu de la Révolution des œillets de 2011 est révolue, mais il n’est pas dit qu’un pouvoir autoritaire le remplace de manière durable. Cela dépendra de la réaction de la population.
Le coup de force et la nouvelle Constitution du Président Saïed
Depuis la fin de la période coloniale, et jusqu’en 2011, la République tunisienne a connu un régime politique régi par une Constitution, où la figure du Président était centrale. Le premier Président, Habib Bourguiba, élu en 1957, a été remplacé en 1987 par Zine El-Abidine Ben Ali, après un coup d’Etat. En 2011, la Révolution des œillets a conduit au départ de Ben Ali, à qui les insurgés ont reproché de gouverner de manière trop autoritaire. Après un long processus de discussion entre les différents acteurs de la vie publique issus de la Révolution, la Constitution de 2014 introduisait en Tunisie un régime démocratique parlementaire, dans lequel une pluralité de partis pouvaient s’exprimer, et où le pouvoir était réparti entre la présidence, le gouvernement et le parlement. 
La surprise fut réelle lorsqu’en juillet 2021, le quatrième Président tunisien, Kaïs Saïed, pourtant démocratiquement élu en 2019, a décrété l’état d’urgence. Saïed a procédé par étapes: le 25 juillet 2021, il suspend le parlement, et s'autoproclame le leader du pays et chef de son parti; il concentre les pouvoirs sur lui, en se positionnant en législateur, puis en mars 2022 il dissout le parlement; en juillet 2022, il réussit à faire adopter par référendum une nouvelle Constitution, qui lui donne les pleins pouvoirs. 
Ces décisions n’étaient pas fondées en droit: Saïed a bien invoqué l’Art. 80 de la Constitution de 2014, mais n’en a pas respecté les conditions d’application; il s’est placé dans le cadre des textes, m...

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