Olaf Scholz: «le pathos de la sobriété ostentatoire»

Publié le 10 décembre 2021
Le nouveau chancelier d’Allemagne est plutôt bien vu par les voisins. Mais peu connu des francophones. Le correspondant du «Tagesanzeiger» à Berlin en fait un portrait piquant. Quel parcours!

«Cela fait presque un demi-siècle qu’Olaf Scholz fait de la politique, et un regard sur ses débuts indique combien de temps s’est écoulé. Des photos montrent un jeune socialiste hambourgeois à la crinière bouclée, avec une veste en cuir et des lunettes d’intellectuel, qui pense que le « capitalisme monopoliste d’Etat » est à bout de souffle et se bat pour le surmonter. Dans des articles qu’il écrit pour des publications de gauche, ce futur juriste fustige l’OTAN comme étant « agressivement impérialiste » et l’Allemagne comme étant « le bastion européen du grand capital ». Au début des années 1980, le Juso (jeune socialiste) proteste dans la rue contre les plans de réarmement d’Helmut Schmidt, le chancelier de son propre parti. Schmidt, qui gouverne alors avec les libéraux, place « le maintien nu du pouvoir au-dessus de toute forme de débat sur le fond ». Ce sont à peu près les mêmes mots que le vice-chancelier a dû entendre ces dernières années de la part de ses propres jeunes socialistes, qui l’ont accusé de trahir les idéaux de gauche. Le jeune Scholz s’est rapidement « désintoxiqué » des rituels idéologiques, comme il l’a dit lui-même un jour. La politique locale et son travail d’avocat pour les syndicats lui ont appris une autre primauté: celle du réalisable et du progrès, petit mais quantifiable. Aujourd’hui, Scholz cite Schmidt, l’ennemi de sa jeunesse politique, comme un modèle. Schmidt, le chancelier de crise des années 1970, était lui aussi un hanséatique, un homme politique froid, pragmatique, parfois hautain, qui s’entendait bien avec le FDP et réprimandait les critiques de gauche en disant que ceux qui avaient des « visions » devaient aller chez le médecin.»

L’expérience et le professionnalisme du nouveau chancelier ne sont contestés par personne. Longtemps maire de Hambourg, secrétaire général du SPD sous Schröder, puis ministre pendant six ans aux côtés d’Angela Merkel. Dont il a beaucoup appris. «Comme Merkel, il sait se taire et attendre – jusqu’à ce qu’une décision soit mûre.»

Pas de défauts, vraiment? Le journaliste du TAZ, Daniel Eigenmann, qui observe le personnage depuis 2015 à Berlin, n’est pas tendre: «Cet homme petit et mince au crâne dégarni ne semble pas seulement cassant, ennuyeux, sans humour et sans émotion, il insiste même sur ce point. Il revendique le « charisme du réalisme », a-t-il dit un jour. Mieux vaut être fiable qu’éblouissant, c’est ce qui caractérisait déjà Merkel. Comme la stoïcienne d’Uckermark, il cultive le pathos de la sobriété ostentatoire. Mais contrairement à Merkel, il est aussi considéré en petit comité comme prétentieux, donneur de leçons et arrogant. Scholz est probablement souvent le plus intelligent dans la pièce, disent les gens qui le connaissent bien. Mais il aime aussi le faire sentir aux autres. Cela n’a jamais été le cas avec Merkel.»


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